L’Union nationale des fermiers (UNF) est une organisation à adhésion directe et volontaire composée de familles agricoles canadiennes partageant les mêmes objectifs. Les membres de l’UNF croient que les problèmes auxquels les fermiers font face les concernent tous et que les fermiers produisant des cultures différentes doivent agir de concert afin de promouvoir des solutions efficaces. L’UNF s’efforce de favoriser l’élaboration de politiques sociales et économiques qui permettront de faire en sorte que les fermes familiales demeurent les principaux producteurs de denrées alimentaires au Canada. L’UNF intervient activement depuis plus de quatre décennies dans les enjeux liés aux politiques relatives au transport des grains. L’organisation est heureuse de transmettre le mémoire ci-après concernant le projet de loi C-49, Loi sur la modernisation des transports.
Nos observations tourneront autour des modifications à apporter au projet de loi C-49, qui sont les suivantes :
- supprimer les changements apportés aux obligations de transporteur public de la Loi sur les transports au Canada;
- conserver la définition de wagon-trémie gouvernemental dans la Loi sur les transports au Canada;
- ajouter l’obligation d’effectuer un examen complet du calcul des coûts aux termes du revenu admissible maximal de la Loi sur les transports au Canada;
- conserver le maximum de 15 % de participation d’une personne au capital des Chemins de fer nationaux du Canada (CN) aux termes de la Loi sur la commercialisation du CN;
- modifier la Loi sur les transports au Canada afin de rétablir la possibilité pour un groupe de producteurs agricoles de présenter une requête visant l’installation d’un nouveau site de chargement des wagons du producteur;
- modifier l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada afin d’actualiser la Politique nationale des transports du Canada.
Obligations de transporteur public
Depuis 1909, les obligations de transporteur public des compagnies de chemin de fer du Canada les ont forcées à déplacer les wagons dûment chargés de leur point de départ à leur point de destination en temps opportun. Les obligations de transporteur public tiennent compte du rôle crucial que joue le transport ferroviaire dans l’économie, et en particulier pour les expéditeurs de marchandises en vrac n’ayant pas d’autre choix (expéditeurs captifs). Les chemins de fer doivent leur existence à l’État, qui leur fournit l’environnement physique et réglementaire nécessaire à leurs activités. En retour, les compagnies de chemin de fer sont tenues de fournir leurs services à tous les expéditeurs du pays, peu importe l’emplacement de l’installation de chargement et le nombre de wagons à déplacer.
À l’heure actuelle, la Loi sur les transports au Canada énonce très clairement ce que sont les obligations de transporteur public des compagnies de chemin de fer (articles 113 et 114) et, en cas de plainte d’un expéditeur à propos du niveau de service (article 116), l’Office des transports du Canada est tenu d’établir si l’obligation de transporteur public a été satisfaite ou pas. C’est clair et net.
Le projet de loi C-49 modifie l’article 116, permettant à l’Office des transports du Canada (OTC) de réduire les obligations des compagnies de chemin de fer. Il énonce que l’OTC peut décider qu’une compagnie de chemin de fer s’acquitte de ses obligations en matière de service si elle offre « le niveau de services le plus élevé qu’elle peut raisonnablement fournir dans les circonstances ». Le projet de loi C-49 énumère les facteurs que l’OTC devrait prendre en compte, notamment le transport en cause, le caractère raisonnable des demandes de l’expéditeur pour le transport en cause ainsi que les renseignements que l’Office estime pertinents. Donc, en cas de plainte relative au niveau de service, le projet de loi C-49 donnerait à l’OTC la latitude, plutôt que trancher par un oui ou par un non sur le caractère satisfaisant du service fourni, de répondre par « presque » ou par « non, mais vous avez au moins fait un effort ». Les compagnies de chemin de fer ne seraient alors plus dans l’obligation de fournir un service complet à tous les Canadiens et certains expéditeurs devraient se contenter d’un service médiocre ou n’auraient aucun service.
Notre inquiétude est que la marge de manœuvre et la latitude que le projet de loi C-49 permet donneront aux compagnies de chemin de fer la possibilité de faire leur choix parmi les expéditeurs et les emplacements.
L’omission d’offrir un service complet pourrait être justifiée en prétendant que les exigences de l’expéditeur étaient déraisonnables ou que les circonstances ont empêché la compagnie de chemin de fer d’offrir un service en temps opportun, ou un service tout simplement.
Les expéditeurs captifs, y compris les expéditeurs de grain, seraient les premiers à souffrir de l’affaiblissement de ces obligations. Les installations des régions plus éloignées et les plus petits expéditeurs, tels que les sites de chargement des wagons du producteur, seraient les plus vulnérables aux retards et à l’incertitude, peut-être même à l’abandon complet. Tant les producteurs agricoles livrant leur grain à ces sites que les clients domestiques de ces expéditeurs (tels que les provenderies, usines de trituration et minoteries) subiraient un tort, au détriment des économies locales de chacun.
Si les changements proposés sont promulgués, il n’y a aucun doute que le CN et le CP mettront à l’épreuve les nouvelles règles en réduisant le service au niveau qu’elles jugent « raisonnable ». La difficulté et le coût du dépôt d’une plainte sur le niveau de service sont tels que seuls les plus gros expéditeurs pourraient initier une contestation. La réduction du service causerait le plus de tort à ceux qui sont le moins à même de tenir tête aux compagnies de chemin de fer. L’assouplissement des obligations de transporteur commun n’entraînerait pas seulement un moins bon service, mais une reconfiguration physique du réseau ferroviaire du Canada visant à servir les intérêts privés du CN et du CP. Nous avons déjà assisté à une contraction importante du réseau et à un regroupement des points de livraison dans le cadre du système réglementé actuel. Sans le service ferroviaire garanti par les obligations de transporteur public actuelles, les régions agricoles pour lesquelles le coût du transport est le plus élevé pourraient très bien perdre tout service, ce qui entraînerait l’abandon des fermes et le dépeuplement. Un tel résultat n’est pas dans l’intérêt public et on ne devrait pas laisser le sort des régions rurales entre les mains des compagnies de chemin de fer.
Sanctions réciproques
Lorsqu’on examine la question des sanctions réciproques en cas d’inexécution par les compagnies de chemin de fer ou les expéditeurs, il est important de se rappeler que les producteurs agricoles n’ont pas le statut d’expéditeur aux termes de la Loi sur les transports au Canada. Quand un producteur agricole livre son grain au silo d’une société céréalière, son contrôle sur le grain et son intérêt dans le grain cessent. C’est la société céréalière, et non pas le producteur agricole, qui est l’expéditeur au titre de la Loi. Les droits, avantages, sanctions et obligations des expéditeurs ne concernent pas le producteur qui vend son grain aux sociétés céréalières.
Le projet de loi C-47 instaure des sanctions réciproques entre les compagnies de chemin de fer et les sociétés céréalières en fonction d’un raisonnement selon lequel le coût des sanctions liées à l’inexécution incitera les deux parties à une plus grande discipline. Nous sommes moins qu’optimistes à propos de l’efficacité de ces mesures. Les producteurs agricoles ont besoin du système des silos et des compagnies de chemin de fer pour déplacer leur grain jusqu’aux marchés et sont le maillon le moins influent de la chaîne de valeur. Le coût de toute sanction imposée aux sociétés céréalières sera en fin de compte refilé aux producteurs par les sociétés céréalières via le prix du grain rendu (un escompte non réglementé déduit du prix du grain à l’achat). Le coût des sanctions imposées aux compagnies de chemin de fer sera compensé au moyen des frais de réservation des wagons, d’une réduction des prix incitatifs et des autres mécanismes dont les compagnies de chemin de fer peuvent se servir. Les producteurs agricoles continueront à payer la facture associée à l’inexécution d’une partie ou de l’autre. Comme les producteurs agricoles défraient, en fin de compte, le coût du transport, la réglementation des tarifs applicables au transport des marchandises et l’application intégrale des obligations de transporteur public sont nécessaires dans l’intérêt public et afin d’assurer un traitement équitable aux producteurs agricoles.
Revenu admissible maximal
Nous sommes heureux de constater que le projet de loi C-49 ne propose aucun changement majeur au revenu admissible maximal (RAM). Les producteurs agricoles sont preneurs de prix lorsqu’ils vendent leur grain et les sociétés céréalières sont des expéditeurs captifs. Toute augmentation du prix du transport des marchandises est absorbée par les producteurs agricoles, les sociétés céréalières (les expéditeurs) récupérant cette dépense en réduisant le prix payé aux producteurs agricoles pour le grain. La réglementation des tarifs applicables au transport des marchandises est nécessaire afin d’empêcher les sociétés céréalières et les compagnies de chemin de fer de se servir de leur pouvoir monopolistique pour obtenir plus que leur part équitable de la valeur du grain cultivé par les producteurs agricoles.
Nous pressons le Comité d’adopter des modifications au projet de loi C-49 afin d’exiger un examen complet du calcul des prix des compagnies de chemin de fer et une révision de la formule de calcul du RAM afin de permettre une baisse des prix si/quand les coûts (tel que celui du carburant) diminuent.
Un examen complet du calcul des prix est nécessaire afin d’améliorer la transparence et de rendre le RAM de nouveau équitable, compte tenu de l’importante restructuration du réseau ferroviaire intervenue depuis le dernier examen du calcul des prix. Il est nécessaire de remanier la formule de calcul des coûts afin de permettre des rajustements à la baisse du prix global lorsque le prix des composantes diminue. Il faut prévoir un mécanisme d’arbitrage afin de régler les écarts en matière de prix et de niveau de service. Les petits expéditeurs doivent avoir accès à la justice par un moyen moins coûteux que les tribunaux afin de pouvoir contester de manière efficace les devis déraisonnables dont les compagnies de chemin de fer se servent pour exercer une discrimination indue à l’endroit de certains emplacements et réduire ainsi le service en vue de réaliser des économies.
Nous observons aussi que le projet de loi C-49 supprime le terme « wagon-trémie du gouvernement » de l’article 147 (Définitions) ainsi que des articles concernant l’indice des prix composites afférent au volume. Le projet de loi C-49 ajoute à l’indice le coût de l’obtention de wagons détenus par le secteur privé et le coût de l’entretien de ces wagons. L’ajout de ces coûts à l’indice des prix composites afférent au volume signifie qu’ils seront défrayés par les producteurs agricoles sous la forme d’une augmentation du prix du transport des marchandises. Le producteur agricole paiera, mais n’aura aucun pouvoir décisionnel sur le prix des wagons privés achetés ou loués par les compagnies de chemin de fer. Cela ouvre la porte à un abus de pouvoir des compagnies de chemin de fer et des constructeurs de wagons, qui surfactureront la livraison des
wagons-trémies.
Nous recommandons de modifier le projet de loi C-49 de manière à ne plus supprimer le terme « wagon-trémie du gouvernement » des Définitions et de sorte que le gouvernement fédéral poursuive le renouvellement du parc de wagons-trémies à titre de projet d’infrastructure publique financé par des fonds publics. Cela maximiserait l’avantage pour le public.
Les autres expéditeurs captifs, tels que les producteurs de potasse et de pétrole, fournissent leurs propres wagons. Ces industries sont centralisées tant sur le plan de la géographie que sur celui du contrôle, ce qui facilite l’investissement dans un parc de wagons et son administration. Les installations de chargement du grain sont éparpillées et le nombre d’expéditeurs est suffisamment grand pour rendre problématique la coordination du renouvellement d’un parc. Le programme du RAM couvre à l’heure actuelle l’entretien des wagons-trémies. Il serait avisé de conserver l’entretien des wagons dans la formule aussi longtemps que le gouvernement possède des wagons-trémies. L’investissement de fonds publics, provinciaux ou fédéraux, dans le renouvellement du parc, est aussi avisé. Cela favoriserait l’équité entre les expéditeurs utilisant le système et éviterait une concurrence coûteuse et l’accaparement des wagons par des intérêts privés. La propriété publique des nouveaux wagons en réduirait le coût, car les gouvernements peuvent obtenir des prêts aux meilleurs taux. Le produit de la location des wagons appartenant au secteur public retournerait au gouvernement et pourrait être réinvesti dans des initiatives appropriées favorisant les intérêts des producteurs. Un investissement dans le renouvellement du parc de wagons-trémies constituerait un investissement approprié dans l’infrastructure du Canada, ce qui est une priorité du gouvernement fédéral.
Loi sur la commercialisation du CN
Le projet de loi C-49 augmenterait de 15 à 25 % la proportion d’actions avec droit de vote que peut détenir une seule personne. Le CN était une société d’État jusqu’à sa privatisation en 1997. Cela a fait controverse, car les chemins de fer sont une infrastructure essentielle et la propriété publique du CN avait une valeur stratégique pour l’économie canadienne. On s’était inquiété à l’époque du contrôle de cet actif crucial. La limite imposée à la concentration de l’actionnariat visait à apaiser ces inquiétudes. Cette limite est maintenant assouplie.
Le CN est une entreprise prospère et n’a aucune difficulté à attirer des investisseurs. La modification permettant à une personne de contrôler jusqu’à 25 % des actions avec droit de vote semble être une réponse aux pressions politiques du milliardaire américain Bill Gates, dont l’entreprise et la fondation détiennent actuellement près de 15 % du CN. Il n’apparaît pas approprié pour notre gouvernement de répondre aux manœuvres de couloir d’un des hommes les plus riches du monde en lui offrant la possibilité d’augmenter son contrôle du réseau ferroviaire du Canada.
Nous pressons le Comité de modifier le projet de loi C-49 en supprimant l’article 60 et de laisser ainsi inchangée la Loi sur la commercialisation du CN.
Moratoire sur les sites de chargement des wagons du producteur et possibilité de demander l’ouverture de nouveaux sites
Le droit des producteurs à commander et à charger des wagons afin d’expédier leur grain vers un terminal, un silo de transformation ou un autre consignataire a été instauré en guise de contrepoids nécessaire au pouvoir des sociétés céréalières et des compagnies de chemin de fer. Les dispositions relatives à l’expédition via les wagons du producteur assurent que les producteurs agricoles ont accès au transport ferroviaire et à une solution de rechange pour livrer leur grain aux élévateurs à grains. Ce droit doit non seulement exister sur papier, mais se concrétiser dans la pratique.
Nous demandons donc au Comité de modifier le projet de loi C-49 afin d’annuler le pouvoir des compagnies de chemin de fer de fermer des sites de chargement des wagons et de rétablir le droit pour un groupe de 10 producteurs de présenter une requête afin de construire un site de chargement de wagons du producteur. Cela assurerait que les producteurs agricoles, et non pas les compagnies de chemin de fer, puissent décider de la disponibilité de l’option de chargement de wagons du producteur.
L’allocation et le placement en temps opportun des wagons aux sites de chargement des wagons du producteur et le mouvement à point nommé des wagons du producteur jusqu’à leur destination pourraient se régler par le rétablissement de la disposition réglementaire prescrivant que les wagons du producteur soient prioritaires dans le cadre de l’allocation des wagons et par l’imposition aux compagnies de chemin de fer de sanctions financières augmentant progressivement en cas d’omission de déplacer les wagons jusqu’à destination en temps opportun.
Nous désirons faire observer au Comité que l’UNF a aussi recommandé de modifier la Loi sur les grains du Canada afin de créer une fonction indépendante de receveur des wagons du producteur. Cet organe aurait le pouvoir de négocier la vente des wagons du producteur auprès des terminaux réceptionnaires et veillerait à la promptitude du déchargement et du classement. Il serait responsable de la répartition des grains entre les divers terminaux, mais la propriété du grain ne serait transférée à ces terminaux qu’une fois le receveur des wagons du producteur satisfait de tous les éléments de la transaction, y compris le poids, le grade et le paiement. Grâce à un receveur des wagons du producteur indépendant, l’option des wagons du producteur acquerrait une plus grande force réglementaire permettant aux producteurs agricoles de compenser le déséquilibre existant entre eux et les sociétés céréalières ainsi que les compagnies de chemin de fer, conformément à l’intention ayant présidé à sa création.
Politique nationale des transports
La Politique nationale des transports en vigueur accorde une place indue « à la concurrence et aux forces du marché » et renonce par là au rôle légitime des gouvernements responsables et démocratiques de prendre des décisions cruciales à propos du régime sous lequel le système des transports devrait fonctionner afin de promouvoir l’intérêt public. Dans sa présente version, la politique favorise et facilite l’utilisation des actifs ferroviaires la plus profitable pour le secteur privé. Elle devrait plutôt être conçue de manière à favoriser les intérêts économiques de toute la société canadienne, y compris les producteurs agricoles.
Nous pressons le Comité d’adopter des modifications à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada afin d’assurer que la Politique nationale des transports énonce la nécessité de contrer les changements climatiques en réduisant l’utilisation des carburants fossiles et les émissions de gaz à effet de serre au sein du réseau des transports ainsi que de privilégier le transport ferroviaire afin d’améliorer l’efficience de l’économie canadienne. Il faut renverser la tendance vers des sites de chargement du grain moins nombreux, plus gros et à haute capacité. Il faut plutôt davantage de points de correspondance, de sites de chargement des producteurs, d’embranchements et de voies ferrées d’intérêt local afin de réduire la distance parcourue par camion et promouvoir l’utilisation du chemin de fer pour les mouvements des marchandises et des passagers.
Il faut régir et réglementer activement l’infrastructure cruciale que constituent les compagnies de chemin de fer dans le plus grand intérêt de la société canadienne. Les compagnies de chemin de fer tireraient aussi avantage de cette approche. Une société saine et vivante générera un vaste éventail d’activités économiques au sein des collectivités réparties dans tout le pays, qui ont toutes besoin du lien et du soutien que leur assure le système des transports.
Respectueusement soumis,
Union nationale des fermiers Le 15 septembre 2017