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Article d’opinion : Le paradoxe de la gestion de l’offre de pétrole et de produits laitiers souligne la nécessité d’une nouvelle orientation politique

Le 2 décembre, le gouvernement de l’Alberta a annoncé qu’il imposerait une discipline de production aux compagnies pétrolières de la province afin de ramener le prix du pétrole bitumineux au-dessus de son coût de production. Cette décision fait suite à une décote de plus de 50 dollars par baril par rapport au pétrole West Texas Intermediate de qualité supérieure. La chute des prix conduirait bientôt les compagnies pétrolières à se désinvestir ou à faire faillite, ce qui entraînerait du chômage et une baisse de l’activité économique. En intervenant, le gouvernement de l’Alberta contribue à la rentabilité et à la viabilité du secteur pétrolier. Dans les 24 heures qui ont suivi l’annonce, le prix du pétrole bitumineux a doublé.

Moins d’une semaine après que l’Alberta a sorti son économie de la crise en mettant en place une gestion de l’offre pour l’industrie pétrolière, le gouvernement fédéral a annoncé un autre programme de « compensation » pour les fermières laitières.

Les fermières laitières canadiennes ont été privées de 3,5 % de notre marché laitier au profit des fromages européens dans le cadre de l’AECG, de 3,5 % supplémentaires au profit des pays du Partenariat transpacifique, et dans le cadre de l’ACEUM, les fermières laitières perdront 3,9 % supplémentaires du marché canadien. L’ACEUM supprime également la capacité de notre secteur laitier à contrer le dumping agressif de l’industrie laitière américaine sur les ingrédients laitiers à haute teneur en protéines au Canada, et il donne aux États-Unis le pouvoir de surveiller et d’approuver les changements apportés à la politique laitière canadienne. Le programme de « compensation » de 98 millions de dollars dressera inévitablement les fermières les unes contre les autres, car les fonds sont destinés à l’automatisation et à l’informatisation des exploitations, afin d’augmenter la production dans un marché en perte de vitesse. C’est la recette de la consolidation des exploitations, de la dépression des prix, de la perte d’emplois, d’une spirale descendante dans les économies locales et d’une dépossession accrue de la prochaine génération d’aspirants fermiers.

Il est difficile d’imaginer comment il est possible de compenser les dommages causés par les récents accords commerciaux. Lorsque le gouvernement de l’Alberta intervient pour organiser la gestion de l’offre pour les producteurs de pétrole, pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il tant de mal à comprendre son importance pour l’agriculture ?

L’empressement à signer l’ACEUM, profondément défectueux, doit être considéré à la lumière du rapport Barton.

Peu après les élections fédérales de 2015, le ministre des Finances Morneau a créé le Conseil consultatif sur la croissance économique et nommé Dominic Barton, directeur général mondial de McKinsey & Company, à sa présidence. Dans son rapport de février 2017, le Conseil affirme que l’agriculture canadienne a un potentiel sous-exploité et recommande de le « libérer » en éliminant les barrières commerciales, en facilitant les investissements des entreprises et en stimulant la production pour l’exportation. De telles mesures fonctionnent manifestement très bien pour augmenter les rendements du capital-risque, des marchés boursiers et d’autres produits financiers dérivés privilégiés par les sociétés d’investissement internationales – et qui profitent clairement à une élite internationale triée sur le volet.

Barton recommande le contraire de la gestion de l’offre. Il préconise d’augmenter la production pour exporter davantage quel que soit le prix, tout en facilitant les importations des mêmes produits. Il s’agit non seulement d’un mécanisme de dépression des prix qui nuit aux fermières, mais aussi d’une baisse de la qualité, car les accords commerciaux abaissent les normes afin d’ouvrir la porte à davantage d’importations. Les entreprises qui manipulent, négocient et vendent des produits de base agricoles bénéficient des plans de Barton, tout comme les vendeurs d’intrants. Le gouvernement canadien a trouvé de l’argent pour récompenser les fermières qui investissent dans la production alors que le marché est déprimé et après avoir réduit une nouvelle fois le marché disponible via l’ACEUM. Mais quel entrepreneur se développe lorsque le marché évalue ses produits à un niveau inférieur au coût de production ?

Il est facile de suivre des conseils intéressés et de croire les promesses de Barton. En revanche, il faut une compréhension visionnaire de l’économie réelle pour formuler des recommandations qui profitent réellement à toutes les couches de la société et qui répondent aux besoins urgents d’atténuer le changement climatique et de prévenir l’épuisement des ressources.

Les gouvernements canadiens doivent mettre de côté les indicateurs concoctés qui assimilent la santé économique à des résultats positifs pour les marchés boursiers et les grandes institutions financières. Examinez plutôt les conditions de vie réelles des fermières et des autres petites entreprises qui sont essentielles pour le Canada rural. Parcourez la campagne de n’importe quelle province et vous verrez les résultats de gouvernements canadiens mal avisés : des décennies de déclin rural inutile et socialement destructeur.

Détournez l’attention de Barton et examinez plutôt les politiques mises en œuvre par le président américain Franklin D. Roosevelt pour comprendre ce qui stimule réellement l’économie rurale. Après des années de prix très bas pour les produits agricoles, le ministre américain de l’agriculture Henry A. Wallace a mis en place la parité des prix pour tous les produits agricoles en 1932. Cela a permis d’inverser une spirale descendante chronique et de relancer un moteur économique local. La tarification paritaire assurait aux fermières un revenu comparable à celui des travailleurs syndiqués de l’industrie. Les transformateurs et les négociants étaient taxés lorsqu’ils payaient aux fermières des prix inférieurs au coût de production calculé. Les fonds collectés étaient utilisés pour payer les fermières afin qu’elles ne produisent pas le produit jusqu’à ce que les prix atteignent ou dépassent le coût de production. Ces mesures ont donné aux fermières un pouvoir de marché en leur donnant des signaux corrects pour produire plus ou moins en fonction de l’offre et de la demande. Depuis 1969, la gestion de l’offre canadienne fonctionne comme l’intervention de Wallace en matière de prix de parité.

Depuis le milieu des années 1980, avec le cycle de l’Uruguay du GATT qui a donné naissance à l’OMC, les accords de libre-échange n’ont cessé d’augmenter la production agricole, tandis que les revenus nets des agriculteurs ont diminué. Les politiques mises en œuvre pour l’agriculture canadienne en général sont désastreuses et les indemnités offertes aux fermières laitières sont insultantes. Il est temps de freiner le déclin des zones rurales canadiennes, de faire demi-tour sur l’USCMA et d’arrêter de sacrifier l’économie rurale.

Jan Slomp, fermière laitière de l’île de Vancouver, est une ancienne présidente de l’Union Nationale des Fermiers.

Jan Slomp
About the author

Jan Slomp

Jan Slomp and his spouse, Marian, have been dairy farmers since 1979, first in their native Netherlands and from April 1989 until 2015, in Alberta. They recently moved to BC and set up a new farm on Vancouver Island.

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