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Libre-échange, Canada rural et comment empêcher le Canada d’être victime d’un Trump

Au cours des décennies qui ont suivi la signature de l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE), puis de l’ALENA, l’agriculture canadienne a connu une évolution importante. Il existait autrefois une multitude de moteurs économiques locaux et régionaux diversifiés. Aujourd’hui, nous avons un modèle de production de matières premières à bas prix, axé sur l’exportation, qui s’adapte à tous les cas de figure. Les besoins en capitaux des exploitations agricoles ont explosé, comme en témoigne la dette agricole massive de 90 milliards de dollars. Les investisseurs non agricoles contrôlent de plus en plus de terres agricoles au Canada. La production – par exploitation, par hectare et par travailleur – continue d’augmenter. Cette production est devenue de plus en plus dépendante des exportations et du transport, la déréglementation induite par l’ALENA ayant accéléré la consolidation et la propriété transnationale des installations de manutention et de transformation. Le nombre de fermières diminue de façon inquiétante, mais les gouvernements et la plupart des groupements de producteurs agricoles et des sociétés agro-industrielles restent euphoriques face à chaque accord commercial signé et à l’augmentation des exportations.

Ce qui manque dans ce tableau, ce sont quelques faits qui donnent à réfléchir.

Les coopératives agricoles de manutention et de transformation, autrefois puissantes, ont été démantelées et absorbées par une poignée de sociétés transnationales. 80 % de la capacité des terminaux de Vancouver était auparavant détenue et exploitée par les pools des Prairies. Aujourd’hui, tout appartient au secteur privé. Avec la disparition de la Commission canadienne du blé, il n’y a pas de véritable participation économique des fermières au-delà de la ferme, ni d’arbitre pour discipliner les chemins de fer. Les fermières des Prairies, qui dirigeaient autrefois la majorité de l’industrie céréalière du Canada, n’ont plus de lien direct avec les clients et les utilisateurs finaux qui paient la valeur marchande réelle de leur produit.

Dans le cadre de l’ALENA, le système réglementaire canadien a facilité l’intégration nord-américaine de l’abattage, de la transformation et de la commercialisation de la viande de porc et de bœuf, au détriment des transformateurs et des négociants régionaux et locaux, ainsi que des emplois qu’ils fournissaient. Malgré les accords commerciaux, les exportations canadiennes restent désavantagées par les coûts de transport.

À l’exception des secteurs soumis à la gestion de l’offre et d’un bref pic après 2009, le revenu agricole net global corrigé de l’inflation est lamentable. Les communautés agricoles du Canada souffrent d’un déclin économique chronique. Cette situation a été camouflée par des emplois manufacturiers non agricoles dans le centre du Canada et des emplois dans le secteur des ressources dans l’ouest du pays, mais ces emplois ne sont plus faciles à obtenir. Le déclin de l’économie rurale canadienne n’est pas souvent évoqué, mais quatre décennies de pertes – de silos, de services ferroviaires, de concessionnaires de machines, de fabrication, de transformation, de fournisseurs d’intrants, de services communautaires essentiels et de points de vente au détail – n’ont cessé de diminuer la qualité de la vie rurale. Les coupes opérées par le gouvernement dans les installations de recherche agricole, la sélection végétale publique, l’ARAP et les services de vulgarisation du gouvernement ont encore aggravé les perspectives. Le déclin du Canada rural est frappant et ne reçoit que peu d’attention par rapport à la qualité de vie rurale dans d’autres pays développés.

La dépendance croissante du Canada à l’égard des importations de denrées alimentaires est un autre fait qui donne à réfléchir. Nous pouvons cultiver bon nombre de ces produits, mais nous avons perdu notre propre marché parce que les accords commerciaux aident les entreprises alimentaires intégrées à opérer au-delà des frontières, ce qui fait baisser les prix pour les producteurs tout en contrôlant les prix à la consommation. Les accords commerciaux récompensent également la surtransformation des aliments en remplaçant les ingrédients de base par des graisses, des huiles végétales, de la lécithine de soja, de l’amidon de maïs, du fructose et des substances laitières modifiées moins chères, d’où la tristement célèbre surconsommation d’aliments transformés en Amérique du Nord. Si le libre-échange favorise l’efficacité, comme on le prétend, pourquoi l’écart entre les prix à la ferme et à l’épicerie ne cesse-t-il de se creuser ?

Le président Trump vilipende le Mexique pour la perte d’emplois américains, mais oublie de mentionner les entreprises américaines qui ont afflué dans les maquiladoras mexicaines pour profiter de normes de travail et environnementales peu contraignantes. L’ALENA a permis aux États-Unis d’inonder le Mexique de maïs, de porc, de poulet, de bœuf et de produits laitiers fortement subventionnés, détruisant ainsi les moyens de subsistance de millions de fermiers mexicains. Nombre d’entre eux ont ensuite émigré (souvent illégalement) pour devenir une main-d’œuvre surexploitée dans les champs, les usines et les abattoirs américains.

Le président Trump trouvera probablement des raisons de rejeter les produits canadiens traversant la frontière, il est donc très important que le Premier ministre Trudeau se prépare au pire et fasse preuve de la plus grande diplomatie dans ses relations avec l’administration Trump.

Il est important de comprendre que l’ALENA n’a jamais été l’œuf d’or que ses promoteurs prétendaient qu’il était, pas plus que les autres accords de libre-échange signés depuis. L’ALENA a causé beaucoup de dégâts à l’économie rurale canadienne et le président Trump va probablement ajouter encore plus de problèmes. La dernière chose dont le Canada rural a besoin, c’est de nouveaux cadeaux aux États-Unis pour tenter de persuader les Américains de ne pas se retirer de l’accord. Il est temps pour notre Premier ministre de cesser de sacrifier les moyens de subsistance des fermiers canadiens et de commencer à réparer les dommages causés par ces accords afin que nos marchés nationaux et internationaux puissent fonctionner de manière à rendre l’agriculture à nouveau rentable.

Le déclin de l’économie rurale canadienne doit être inversé. Si le Premier ministre Trudeau veut empêcher l’élection d’un dirigeant canadien semblable à Trump dans trois ans, il devra commencer à réparer les choses dans le Canada rural. Nous avons besoin d’un programme pour l’agriculture qui fasse de la qualité de vie rurale et des exploitations familiales viables la priorité.

Jan Slomp
About the author

Jan Slomp

Jan Slomp and his spouse, Marian, have been dairy farmers since 1979, first in their native Netherlands and from April 1989 until 2015, in Alberta. They recently moved to BC and set up a new farm on Vancouver Island.

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