Pourquoi les fermiers ne célèbrent-ils pas le cinquième anniversaire de l’AECG ?
Le 21 septembre a marqué le cinquième anniversaire de l’application provisoire de l’accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne. L’Union Nationale des Fermiers (UNF) n’est pas surprise que les fermiers ne soient pas satisfaits des résultats.
Les négociations sur le chapitre agricole ont été tendues au point qu’il a été l’un des derniers domaines à faire l’objet d’un accord. Dans les médias, ces questions ont été présentées comme un compromis entre un accès plus large de l’UE à notre marché des produits laitiers soumis à la gestion de l’offre et un accès plus large de l’UE au marché du bœuf canadien.
Certains commentateurs politiques ont cherché à marquer des points en présentant cette prétendue impasse comme un conflit entre les éleveurs de l’Ouest et les producteurs laitiers de l’Ontario et du Québec. L’UNF avait une analyse plus sophistiquée, qui s’est avérée exacte avec le temps.
Tout au long des négociations de l’AECG (2009-15), l’UNF a souligné l’opposition de longue date de l’UE à l’utilisation d’hormones dans la production de bœuf et de certaines substances utilisées pour le lavage des carcasses, et le fait que le secteur canadien du bœuf est étroitement intégré au marché américain, qui ne connaît pas ces restrictions.
De même, l’UE interdit l’utilisation d’un médicament stimulant la croissance des porcs, qui est toujours autorisé au Canada bien qu’il ne soit plus utilisé à grande échelle. L’Europe est largement autosuffisante en viande bovine et est un exportateur majeur de viande porcine, de sorte qu’il n’y avait pas vraiment d’espace de marché disponible pour les producteurs canadiens, même s’ils étaient en mesure de répondre aux exigences de l’UE.
L’UE a aboli son système de quotas de stabilisation du marché pour la production laitière en 2015, avant la finalisation de l’AECG. Cette situation a provoqué une crise due à la surproduction, les fermières essayant de vendre plus de lait pour compenser la chute rapide des prix. La recherche d’un débouché en accédant à une partie du marché laitier canadien a été facile à vendre pour les politiciens de l’UE, mais cela n’a pas résolu le problème structurel créé lors de la déréglementation de leur système.
Lors de l’obtention d’une fuite du texte de l’AECG en 2014, Ann Slater, alors vice-présidente des politiques de l’UNF, avait fait les commentaires suivants :
« Alors que le gouvernement prétend que l’AECG permet aux fermières d’accéder aux marchés [European], l’AECG ne change rien à l’engagement de l’Europe d’éviter les aliments fabriqués à partir de cultures génétiquement modifiées, le bœuf élevé aux hormones et le porc élevé avec des stimulateurs de croissance. Pourtant, l’AECG retire aux producteurs laitiers canadiens l’équivalent de toute la production laitière de la Nouvelle-Écosse en autorisant l’augmentation des importations en franchise de droits de fromage en provenance de l’UE, fortement subventionnée. L’AECG donne à l’Europe une part importante de notre marché, et les fermières canadiennes reçoivent des promesses vides en retour. »
Aujourd’hui, nous pouvons constater à quel point ces promesses étaient vides. Par exemple :
- La production canadienne de fromage a cessé de croître en 2017, tandis que la consommation totale de fromage des Canadiens et nos importations en provenance d’Europe ont augmenté. Entre 2016 et 2021, la population du Canada a augmenté de trois millions de personnes, mais le nombre de nos vaches laitières n’a pas augmenté, les coûts ont augmenté et près de 1 700 fermières laitières ont perdu leurs moyens de subsistance. Le coût humain du stress et des pertes subis par ces fermières ne peut être quantifié.
- L’AECG n’a pas modifié l’interdiction de longue date de l’UE sur le bœuf produit avec l’utilisation d’hormones. Malgré l’AECG qui a fait passer l’accès en franchise de droits du Canada de 23 200 à 50 000 tonnes, les exportations de bœuf (sans hormones) du Canada vers l’UE n’étaient que de 1 418 tonnes en 2021, alors que nous avons importé plus de 16 000 tonnes de bœuf de l’UE.
- L’AECG a ajouté 80 549 tonnes de porc au précédent quota en franchise de droits de 7 000 tonnes du Canada, qui était déjà disponible dans le cadre de l’OMC. Pourtant, en 2021, le Canada n’a exporté que 568 tonnes de viande de porc vers l’UE, soit une baisse de près de 90 % par rapport aux 5 000 tonnes exportées vers l’UE en 2011.
- Lors de la négociation de l’AECG, les exportations européennes de viande de porc représentaient plus du double de la production totale du Canada. Aujourd’hui, l’UE exporte deux fois et demie la production totale du Canada.
- Avant l’AECG, l’UE fournissait déjà au Canada 3 % de notre fromage, soit 13 400 tonnes, par le biais d’une exemption tarifaire fondée sur l’OMC. À partir de 2022, l’AECG permet à l’UE de fournir 16 000 tonnes supplémentaires en franchise de droits. En 2021, le Canada a produit 592 370 tonnes de fromages de toutes sortes, tandis que l’UE a exporté 1 385 135 tonnes de fromages, dont 26 070 tonnes vers le Canada, ce qui représente une hausse significative par rapport aux 15 269 tonnes exportées en 2016.
Le processus de négociation de l’AECG s’est déroulé à huis clos, de sorte que nous ne saurons probablement jamais comment ces mesures agricoles ont figuré dans la stratégie globale du Canada. L’accès à notre marché laitier a peut-être été présenté comme une récompense pour des concessions dans un secteur non agricole et n’avait rien à voir avec l’accès au marché de la viande bovine et porcine.
En tout état de cause, le résultat n’était pas difficile à prévoir. Il suggère que, plutôt que « l’AECG ne tient toujours pas toutes ses promesses », comme le disait un récent article deWestern Producer, l’AECG ne peut pas et ne pourra jamais tenir les promesses faites aux secteurs du bœuf et du porc. En revanche, elle continuera à porter gravement préjudice à nos fermières laitières.
Une petite consolation est l’engagement du gouvernement fédéral à ne pas céder davantage de notre marché laitier dans les négociations post-Brexit avec le Royaume-Uni. Par ailleurs, le projet de loi C-216, présenté par le député du Bloc Québécois Louis Plamondon, qui vise à interdire toute nouvelle cession des marchés des produits laitiers, de la volaille et des œufs du Canada dans le cadre de futurs accords commerciaux, a été adopté en deuxième lecture en 2021 avec le soutien de tous les partis, à l’exception des conservateurs. Ce projet de loi a été rétabli et devrait, espérons-le, être adopté lors de la prochaine session parlementaire.
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Cathy Holtslander est directrice de la recherche et de la politique à la Nationale des Fermiers. Son travail comprend l’analyse des implications des accords commerciaux internationaux pour les fermières et les communautés rurales, ainsi que la promotion d’alternatives. Elle participe au projet de recherche sur le commerce et l’investissement de l’ACCP. Op Ed initialement publié sur le blog de l’ACCP, The Monitor.