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Op Ed : La semence est la clé du royaume

Par Cathy Holtslander

Cet éditorial a été publié à l’origine par le Centre canadien de politiques alternatives sur The Monitor Online.

Le 31 mars, la nouvelle représentante des États-Unis pour le commerce (USTR), Katherine Tai, a publié le rapport 2021 National Trade Estimate (NTE) qui détaille les barrières commerciales perçues comme significatives pour les exportations américaines.

Onze pages sont consacrées au Canada, y compris une section sur notre système de réglementation des semences.

« Pour de nombreuses grandes cultures, la loi canadienne sur les semences interdit généralement la vente ou la publicité pour la vente au Canada, ou l’importation au Canada, de toute variété de semences qui n’est pas enregistrée auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) », indique le rapport. « Toutefois, certains s’inquiètent de la lenteur et de la lourdeur du système d’enregistrement des variétés, qui désavantagent les exportations de semences et de céréales américaines vers le Canada.

L’USTR problématise en outre le système de classement des semences prévu par la loi sur les grains du Canada, qui, selon lui, est discriminatoire à l’égard des variétés américaines. « L’USMCA comprend un engagement à discuter des questions liées aux systèmes de réglementation des semences », déclare le représentant américain au commerce (USTR). « Les États-Unis continueront à discuter avec le Canada des mesures à prendre pour moderniser et rationaliser le système canadien d’enregistrement des variétés.

La réputation du Canada en matière d’exportations de céréales de haute qualité et d’excellence de notre système alimentaire est le résultat de plus d’un siècle de résistance des fermiers et de l’opinion publique aux puissants intérêts du commerce des céréales. La Commission canadienne des grains (CCG) et la Commission canadienne du blé (CCB), aujourd’hui démantelée, sont nées du conflit inhérent entre les fermières et le commerce des grains.

La lutte pour le contrôle du système céréalier et l’accès à la richesse créée par les fermières n’a jamais cessé. Aujourd’hui, les arènes comprennent la modernisation de la réglementation de la loi sur les semences et la révision de la loi sur les grains du Canada, pour laquelle « tout est sur la table », nous dit-on. Les enjeux sont importants pour l’ensemble de notre système agricole et alimentaire.

Les sociétés céréalières prédatrices n’ont rien de nouveau pour les fermières canadiennes. Au début des années 1900, les fermières étaient entièrement à la merci des sociétés de silos-élévateurs qui pouvaient et voulaient les tromper en déclassant les céréales qu’elles livraient. Les fermières devaient soit accepter un prix injustement bas, soit ramener les céréales à la maison et essayer de les vendre un autre jour. C’était le cas jusqu’à ce que la CCG soit créée en 1912 pour administrer la Loi sur les grains du Canada (LGC).

La Commission a pour mandat de réglementer le système de manutention des grains du Canada dans l’intérêt des producteurs de grains et de maintenir des normes de qualité pour les grains nationaux et exportés du Canada. La CCG équilibre le pouvoir entre le commerce des céréales et les fermiers individuels et empêche la corruption dans l’ensemble du système de manutention des céréales.

Depuis 1912, les gouvernements ont généralement compris qu’il était dans l’intérêt public de soutenir les revenus des fermières et de garantir la qualité des céréales canadiennes produites sur le territoire national et exportées. Pourtant, lorsque l’ACEUM a été négociée, le Canada a inclus un cadeau qui porte gravement atteinte à notre système.

Comment ACEUM change la manutention des grains

L’article 3.A.4 (céréales) de l’ACEUM exige que le Canada traite le blé cultivé aux États-Unis de la même manière que le blé cultivé au Canada en ce qui concerne le classement lorsqu’il est livré aux silos au Canada. Cette mesure permet d’accéder au système canadien de manutention des céréales pour le blé cultivé aux États-Unis, ce qui permet de le traiter comme s’il était cultivé au Canada et de l’exporter dans des cargaisons identifiées comme canadiennes.

Lorsque le Canada a mis en œuvre l’ACEUM via le projet de loi C-4 en mars 2020, la Loi sur les grains du Canada a été modifiée pour rendre non seulement le blé, mais aussi toutes les céréales originaires des États-Unis, éligibles au grade le plus élevé possible, ce qui va au-delà de ce qu’exige l’ACEUM. Étant donné que les variétés de blé doivent satisfaire aux normes de la Commission des céréales en matière de qualité d’utilisation finale pour pouvoir être enregistrées (et donc bénéficier d’un grade attractif), l’USTR considère désormais notre système d’enregistrement des variétés de semences comme un obstacle.

En prévision de cela, l’article 3.A.4 de l’ACEUM stipule également qu’à la demande des États-Unis, le Canada « discutera des questions liées au fonctionnement d’un système national de classement des grains ou de classes de grains, y compris les questions liées au système de réglementation des semences associé au fonctionnement d’un tel système, par l’intermédiaire des mécanismes existants ».

Les multinationales du secteur des céréales et des semences aimeraient pouvoir opérer au Canada sans restriction. Ils voudraient se débarrasser des normes de qualité indépendantes, réduire leurs propres coûts, acheter les céréales des fermières pour moins cher et faire payer les semences plus cher aux agriculteurs.

La suppression du système canadien d’enregistrement des variétés permettrait aux sociétés céréalières d’acheter n’importe quelle variété de céréales américaines proposée dans le système canadien de manutention des céréales, de la mélanger à des céréales cultivées au Canada et de l’exporter sous la marque canadienne. Les négociants en céréales américains deviendraient des profiteurs de notre système de contrôle de la qualité, solide et centenaire, qui différencie les céréales canadiennes sur les marchés mondiaux. Toutefois, cette bonne réputation ne sera bientôt plus d’actualité. Mélangées à des céréales américaines et sans enregistrement des variétés, les céréales « canadiennes » seraient obligées d’accepter des prix plus bas pour s’assurer une part de marché.

Les retombées de l’affaiblissement du système céréalier canadien

La suppression de la frontière pour les ventes de céréales inciterait les compagnies ferroviaires transportant les céréales américaines vers le nord à faire pression pour éliminer les tarifs réglementés de transport des céréales au Canada, connus sous le nom de MRE (Maximum Revenue Entitlement) ou de plafond de recettes. Les taux de fret augmenteraient, car les marchandises en vrac de plus grande valeur l’emportent facilement sur les céréales pour l’accès aux wagons. La baisse des prix des céréales et l’augmentation du coût du fret entraîneraient le déplacement d’un plus grand nombre de fermières et de fermiers, qui seraient remplacés par des sociétés d’investissement en terres agricoles utilisant de la main-d’œuvre sous contrat sur de plus grandes étendues de terres.

Les multinationales du secteur des semences voudraient également mettre fin à notre système d’enregistrement des variétés. Ils pourraient alors vendre des variétés sélectionnées pour des marchés plus importants, tels que les États-Unis et l’Europe, sans prouver qu’elles fonctionneront dans nos conditions de culture. Les fermiers ne disposeraient plus de données indépendantes sur lesquelles fonder leurs décisions d’achat de semences et devraient absorber le risque d’une mauvaise récolte due à des semences inadaptées.

Les entreprises pourraient passer des contrats avec des producteurs de semences dans des pays où les coûts sont moindres et importer les semences au Canada. Nos producteurs de semences indépendants seraient bientôt acculés à la faillite. Il serait de plus en plus difficile pour nos institutions publiques de sélection végétale de survivre dans ces circonstances, malgré leur capacité à développer des semences de haute qualité pour les conditions de croissance canadiennes.

La loi sur les céréales du Canada et la loi sur les semences (et ses règlements) ont constitué la base solide de l’agriculture de mémoire d’homme. Il est facile de les prendre pour acquis et de croire que la situation est tout simplement naturelle. Pourtant, ces politiques et réglementations ne seraient pas attaquées si elles ne permettaient pas de contrôler efficacement le pouvoir des entreprises.

Le rapport de l’USTR suggère que les multinationales des céréales et des semences se préparent à nouveau à livrer bataille contre des institutions publiques de longue date, des pratiques gouvernementales et des traditions qui ont bien servi les fermières canadiennes. Si l’ACEUM oblige le Canada à discuter des dernières plaintes de l’USTR, rien n’oblige le gouvernement à céder plus de terrain qu’il ne l’a déjà fait.