La proposition de réglementation de l’ACIA sur l’édition de gènes ne repose pas sur des bases scientifiques et n’est pas transparente
Le Canada est en train de décider comment réglementer les plantes génétiquement modifiées – et propose en grande partie de ne pas le faire. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) est responsable de la réglementation des plantes génétiquement modifiées (GM) en matière de sécurité environnementale en vertu du Règlement de la Loi sur les semences – Partie V. Ce règlement définit ce qui est considéré comme une « plante à caractères nouveaux » (VCN) et comment les VCN sont réglementés. L’ACIA propose une nouvelle interprétation qui exempterait d’emblée de nombreuses plantes génétiquement modifiées et en exempterait d’autres à l’avenir. Les orientations réglementaires proposées tournent le dos à la science, permettent aux entreprises de biotechnologie de déterminer la sécurité et laissent les fermières, les futurs régulateurs et le public dans l’ignorance.
Actuellement, toutes les plantes génétiquement modifiées sont réglementées en tant que VCN et doivent être approuvées par l’ACIA avant d’être disséminées dans l’environnement. Toutefois, l’ACIA propose maintenant d’exempter la plupart des nouvelles plantes génétiquement modifiées créées par édition de gènes. Si cette nouvelle interprétation est adoptée, les entreprises pourront vendre la plupart des semences génétiquement modifiées sans fournir de données à l’ACIA ni même informer le régulateur, le public ou les fermières que les semences sont génétiquement modifiées. (Santé Canada propose une modification similaire afin de se retirer le pouvoir de réglementer la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux de la plupart des plantes génétiquement modifiées).
Cela signifie que les développeurs de plantes (principalement de grandes entreprises de biotechnologie) décideront eux-mêmes si leur produit répond aux critères de réglementation. Ces critères permettraient d’exempter les plantes génétiquement modifiées si elles ne contiennent pas d’ADN étranger et si l’entreprise ne s’attend pas à ce que les plantes aient un impact négatif sur l’environnement. Si l’ACIA a déjà approuvé un caractère, même s’il s’agit d’un autre type de culture, la version génétiquement modifiée ne sera pas soumise à la réglementation. Chaque nouveau trait approuvé par l’ACIA ouvrira la porte à de nouvelles dérogations, réduisant au fil du temps la surveillance réglementaire de l’Agence.
L’édition de gènes peut modifier la fonction de l’ADN d’une plante en réduisant au silence ou en forçant l’expression de gènes spécifiques, en supprimant des gènes et/ou en modifiant l’emplacement des gènes dans le génome et/ou en ajoutant de nouvelles séquences génétiques à des endroits spécifiques. La plupart des plantes génétiquement modifiées seront produites en utilisant une séquence « éditeur » composée d' »ADN étranger » (provenant d’une autre espèce) pour modifier l’ADN de la plante, puis en retirant l’ADN « éditeur » après qu’il a modifié le génome.
Exempter les plantes génétiquement modifiées au motif qu’elles ne contiennent pas d’ADN étranger revient à assimiler l’absence d’ADN étranger à l’absence de risque. Elle nie également le processus scientifique, qui crée constamment de nouvelles connaissances et compréhensions. En déréglementant progressivement les produits issus du génie génétique, l’ACIA aurait de moins en moins accès aux données, ce qui rendrait impossible l’examen scientifique des impacts à l’avenir.
Au lieu d’exiger des évaluations gouvernementales de la sécurité environnementale, l’ACIA suggère que les développeurs de plantes puissent demander des lettres officielles de l’ACIA pour confirmer le statut d’exemption de leur produit, et que ces lettres puissent être confidentielles. Les entreprises pourraient les utiliser pour promouvoir leurs intérêts commerciaux tout en évitant la divulgation publique de leur demande et des produits concernés.
Les plantes génétiquement modifiées ne sont pas acceptées par tous les consommateurs et certains importateurs peuvent exiger des autorisations gouvernementales rigoureuses. La proposition de l’ACIA d’exempter de la réglementation de nombreuses plantes génétiquement modifiées signifie également qu’il n’y aura pas d’obligation de notification au public. Les fermières ne sauraient pas si leurs nouvelles semences sont compatibles avec le marché auquel elles sont destinées, risquant ainsi de voir rejetées les cargaisons canadiennes dont on sait ou dont on soupçonne qu’elles contiennent des variétés génétiquement modifiées.
Comme le canola, le maïs et le soja génétiquement modifiés aujourd’hui, les plantes génétiquement modifiées seront couvertes par des brevets. Un petit nombre d’entreprises mondiales détiennent les brevets fondamentaux de l’édition de gènes. Corteva (anciennement Dow/Dupont/Pioneer) détient les droits exclusifs pour les applications CRISPR/Cas dans les principales cultures et utilise sa « communauté de brevets » pour contrôler l’accès des autres entreprises et des chercheurs à la technologie.
Les céréales telles que le blé et l’orge, le lin, la caméline, les pommes de terre, les cultures horticoles et les légumineuses telles que les pois, les haricots et les lentilles sont susceptibles de faire l’objet d’une édition génétique et donc d’être brevetées. Les fermières qui cultivent des variétés brevetées génétiquement modifiées ne seront pas autorisées à utiliser des semences conservées à la ferme, mais devront acheter des semences chaque année et payer des redevances au détenteur du brevet.
La politique de longue date de la Nationale des Fermiers stipule que « tous les Canadiens, qu’ils soient fermiers ou non, doivent s’engager dans un débat éclairé sur la modification génétique des aliments. Les citoyens doivent examiner les aliments génétiquement modifiés (GM) dans le contexte social, historique, environnemental, économique et éthique le plus large possible. À l’issue de ce débat, ce sont les citoyens, et non les entreprises qui font la promotion de ces produits, qui doivent décider d’accepter ou de rejeter les aliments génétiquement modifiés ». Ni la consultation de l’ACIA ni celle de Santé Canada ne prévoient un débat public sérieux sur ce moyen puissant de modifier la génétique des plantes. Dans l’intervalle, l’UNF appelle à une réglementation gouvernementale complète et transparente de toutes les plantes génétiquement modifiées, y compris celles créées par édition de gènes.
L’ACIA a invité le public à faire part de ses commentaires par le biais d’un questionnaire en ligne comportant un espace pour les questions ouvertes ou en envoyant ses commentaires au Bureau de la biosécurité végétale à l’adresse suivante : PBO@inspection.gc.ca . Le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB) a produit un guide du RCAB pour le questionnaire de l’ACIA afin d’aider les membres du public à apporter une contribution significative. La date limite pour la consultation de l’ACIA est le 16 septembre.
Par Cathy Holtslander, directrice de la recherche et de la politique de l’UNF
Pour plus d’informations :
Réseau canadien d’action sur les biotechnologies – Information sur l’édition de gènes