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La fusion Bunge-Viterra a des conséquences dramatiques pour les fermières canadiennes

Cinq entreprises connues sous le nom de « groupe ABCD » contrôlent 90 % du commerce mondial des céréales – et le groupe B est sur le point de devenir beaucoup plus important.

B comme Bunge, qui a annoncé qu’il était en train d’acheter Viterra. Les autres sociétés ABCD sont ArcherDaniels Midland, Cargillet Louis Dreyfus, qui dominent le commerce des céréales depuis plus d’un siècle, la société chinoise COFCOayant rejoint la liste plus récemment. Au Canada, cinq entreprises ont dominé le secteur de l’élévation et de la manutention des céréales entre le début des années 2000 et 2015 : Cargill, Viterra, Richardson, Paterson et Parrish & Heimbecker. En 2015, après que le gouvernement Harper a donné à Bunge et à la Saudi Agricultural and Livestock Investment Company (SALIC) les actifs de l’ancienne Commission canadienne du blé, la nouvelle société G3 s’est hissée à la cinquième place. Viterra est actuellement une filiale du conglomérat suisse Glencore, est détenue à 40 % par l’Office d’investissement du Fonds de pension du Canada et a son siège à Regina, en Saskatchewan. L’acquisition de Viterra par Bunge lui permettrait de se hisser à la première place au Canada et à la troisième place, derrière Cargill et COFCO, sur la scène mondiale.

Viterra et G3 dominent le marché du blé, tandis que Bunge domine le marché du canola, du soja et du maïs. En les combinant, une seule entreprise dispose d’un pouvoir de marché considérable sur les plus grandes cultures produites et exportées par le Canada.

Jusqu’en 1997, les fermières détenaient près de 60 % du système de manutention des céréales du Canada par l’intermédiaire de leurs coopératives et, jusqu’en 2012, elles contrôlaient toutes les exportations de blé et d’orge des Prairies par l’intermédiaire de la Commission canadienne du blé, dirigée par les fermières. Avec les fermières aux commandes, les bénéfices des ventes revenaient à nos communautés rurales et étaient les moteurs de la prospérité rurale.

Les récentes consultations publiques sur la politique de concurrence du Canada ont mis en évidence ses lacunes et ses insuffisances. Ensuite, l’UNF a demandé des changements qui garantiraient que le Bureau de la concurrence empêche les fusions nuisibles, notamment en interdisant les fusions qui aboutissent à ce qu’une entreprise détienne plus de 20 % de parts de marché dans un secteur donné, et en empêchant les entreprises d’utiliser leur position dominante pour exploiter les acteurs plus petits, entre autres recommandations.

Le ratio CR-4 – ratio de concentration à quatre entreprises – correspond à la part de marché des quatre plus grandes entreprises d’un marché. Si le CR-4 est inférieur à 40 %, un secteur de marché est considéré comme concurrentiel ; si le CR-4 est supérieur, on peut s’attendre à un comportement anticoncurrentiel. Les gains d’efficacité résultant des économies d’échelle ne sont pas partagés avec les clients, mais capturés sous forme de bénéfices et utilisés pour accélérer encore la consolidation. Si la fusion Bunge-Viterra se concrétise, le ratio CR-4 devrait dépasser 80 % dans le secteur de la manutention des céréales au Canada.

Aujourd’hui, les fermières produisent des quantités plus importantes et des produits de plus grande valeur que jamais, mais la grande majorité de la richesse créée dans nos fermes est désormais accaparée par les négociants de l’ABCD et les entreprises très concentrées dans le domaine des intrants, du matériel agricole, de la finance et de la transformation des aliments. Jusqu’à présent, leur pouvoir de marché n’a pas été limité par la politique de concurrence du Canada. Les fusions passées examinées par le Bureau de la concurrence n’ont fait que déplacer des actifs entre des acteurs déjà puissants. L’écart croissant entre la valeur créée par les fermières et la valeur que nous recevons du marché se chiffre en milliards de dollars chaque année, accéléré par l’écart de pouvoir de marché entre les fermières et les multinationales avec lesquelles elles doivent traiter.

Compte tenu de l’échec du Bureau de la concurrence à empêcher la consolidation rapide du pouvoir de marché dans le secteur canadien des céréales et des oléagineux, la Nationale des Fermiers encourage le gouvernement fédéral à faire une contre-offre pour acheter Viterra et remettre ses actifs sous le contrôle des fermiers et des travailleurs canadiens par l’intermédiaire d’une nouvelle coopérative. Cela serait dans l’intérêt national, en assurant la sécurité alimentaire et en maintenant les recettes des exportations de céréales et d’oléagineux au sein de l’économie canadienne.

En 2018, le gouvernement du Canada a acheté l’oléoduc Trans Mountain, qui n’était pas encore construit, pour 4,5 milliards de dollars, et a investi environ 21,5 milliards de dollars dans sa construction depuis lors. Le gouvernement a prouvé qu’il avait la capacité financière de réaliser des investissements importants. Contrairement au gazoduc, le réseau Viterra existe et fonctionne. Pour un prix d’achat de seulement 8,2 milliards de dollars américains (10,9 milliards de dollars canadiens) – soit un coût annuel net de 3,94 dollars canadiens par acre de terre agricole canadienne sur 30 ans – le Canada posséderait la huitième plus grande société de négoce de céréales au monde. Au lieu d’attendre que le Bureau de la concurrence cède des parts de Viterra, G3 et Bunge aux autres grands acteurs de l’industrie céréalière, le gouvernement fédéral pourrait créer une véritable concurrence dans le secteur en veillant à ce que les fermiers qui produisent les matières premières possèdent et contrôlent les actifs qu’ils ont créés et récupèrent le pouvoir de marché nécessaire pour sauvegarder les intérêts des fermiers sur le marché international.

 


Fiche d’information :

L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada achète 40 % de Glencore Agri

par Cathy Holtslander, DIrecteur de la recherche et des politiques de l’UNF, publié en juin 2016 dans le Bulletin UNF -.
https://www.nfu.ca/publications/union-farmer-newsletter-june-2016/.

Le 6 avril 2016, l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC) a conclu un accord pour acquérir une participation de 40 % dans Glencore Agri, la division agricole de Glencore International, pour un montant de 2,5 milliards de dollars américains.

En 2012, la CCPIB s’est fixé pour objectif d’investir 5 milliards de dollars dans l’agriculture, en se concentrant sur l’achat de terres agricoles au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Brésil. L’OIRPC a décrit cet investissement comme « ayant historiquement fourni des rendements stables et constituant une nouvelle source de diversification pour le fonds RPC ». L’OIRPC estime que l’augmentation de la population et des revenus dans certaines économies en développement entraînera une hausse de la demande de produits agricoles. L’OIRPC possède aujourd’hui 120 000 acres aux États-Unis et, en 2014, a acheté 115 000 acres en Saskatchewan. En 2015, le gouvernement de la Saskatchewan a bloqué les projets d’achat de la CCPIB en modifiant la loi provinciale sur la sécurité des terres agricoles (Farmland Security Act). La prise de participation dans Glencore Agri accélère la stratégie d’investissement de l’OIRPC dans l’agriculture en élargissant son champ d’action au-delà des seules propriétés foncières. L’accord avec Glencore permet à CCPIB de prendre des participations dans 667 000 acres de terres agricoles en Australie, au Kazakhstan, en Ukraine et en Argentine.

La transaction Glencore-CPPIB place le public canadien dans une relation quelque peu troublante avec les fermières, car le succès de notre fonds de pension national dépendra, dans une certaine mesure, de la maximisation des revenus de Glencore aux dépens des fermières des Prairies. L’ironie est d’autant plus grande qu’une grande partie des actifs agricoles de Glencore ont été créés grâce au travail des fermières qui ont réussi à mieux contrôler leur propre destin économique en organisant des sociétés coopératives de commercialisation et de manutention des céréales afin de ne pas être obligées de traiter avec le commerce privé des céréales.

La Grain Growers Grain Company, créée au Manitoba il y a 110 ans, a été la première grande coopérative céréalière fermière des Prairies. En 1912, elle manutentionne 28 millions de boisseaux de céréales, compte 27 000 membres et dispose d’un terminal à Thunder Bay (alors Fort William). En 1911, la Saskatchewan Cooperative Elevator Company est créée et en 1913, l’Alberta Cooperative Elevator Company voit le jour. L’organisation albertaine s’est jointe à la Grain Growers Grain Company pour former United Grain Growers, ou UGG, en 1917. Les pools de blé de la Saskatchewan et de l’Alberta ont été créés en 1923 ; l’année suivante, le pool de blé du Manitoba a été mis en place. En 1926, les membres de la Saskatchewan Cooperative Elevator Company votent en faveur de sa vente au Pool. Les fermières ont réussi à obtenir la création de la Commission canadienne du blé à guichet unique en 1935. Les coopératives céréalières des Prairies ont fonctionné pendant des décennies comme des entreprises dirigées par des fermières qui ont associé tous leurs membres à leur réussite.

L’accord de libre-échange de 1989 avec les États-Unis, l’ALENA en 1994 et la fin de l’avantage lié au taux de fret du Pas du Nid-de-Corbeau en 1995 ont entraîné des changements majeurs dans l’économie agricole des Prairies. Plusieurs coopératives se sont agrandies par le biais de fusions et/ou se sont restructurées en réponse à la situation émergente. En 1993, l’UGG s’est restructurée pour permettre la vente en bourse d’une partie de ses actions. En 1996, le Saskatchewan Wheat Pool s’est restructuré de la même manière, bien que seuls les membres fermiers aient le droit de vote. En 1998, les pools de l’Alberta et du Manitoba ont fusionné pour former Agricore Cooperative Limited. En 2001, UGG et Agricore ont fusionné pour former Agricore United.

Dans le cadre d’une décision très controversée, le Saskatchewan Wheat Pool s’est restructuré en société commerciale en 2005 et a cessé d’être une coopérative. Lorsqu’elle a racheté Agricore United en 2007, la société fusionnée s’est rebaptisée Viterra. À ce moment-là, les actifs combinés d’Agricore United et de Sask Wheat Pool comprenaient sept terminaux d’exportation, plus de la moitié de la capacité portuaire de Thunder Bay et de Vancouver et 58 % de la capacité de manutention des céréales de l’Ouest. La quasi-totalité de cette valeur a été créée par des fermiers travaillant ensemble selon le principe « un membre, une voix » pour renforcer leur pouvoir de marché et créer de la richesse dans l’intérêt de tous. Ce succès témoigne de l’efficacité des coopératives à trouver l’équilibre entre les intérêts collectifs et individuels tout en rassemblant et en déployant des ressources pour créer des résultats utiles.

Le Bureau de la concurrence a approuvé la fusion Pool-Agricore à condition que Viterra réduise sa position dominante au Canada en vendant à Cargill le terminal de Vancouver et certains silos à grains et en vendant un certain nombre de silos à Richardson International. Cargill est l’une des quatre multinationales qui dominent le commerce mondial des céréales. Richardson est la plus grande société céréalière privée du Canada et a été l’un des négociants privés qui ont incité les fermiers à développer les coopératives il y a un siècle.

En 2012, le gouvernement fédéral a démantelé la Commission canadienne du blé à guichet unique dirigée par les fermiers. Cela a été un facteur clé dans la décision de Glencore International, une société multinationale d’exploitation minière, de négoce de métaux, de pétrole et de matières premières basée en Suisse, de racheter Viterra dans le cadre d’une transaction de 6,1 milliards de dollars. À cette époque, Viterra avait également acquis d’importantes capacités australiennes, notamment 109 silos à grains, huit terminaux portuaires, 17 dépôts de vente au détail et six malteries.

L’approbation de l’acquisition de Glencore par le Bureau canadien de la concurrence a obligé Viterra à vendre la plupart de ses activités de vente au détail d’intrants agricoles à Agrium et 23 % de ses actifs de manutention et de transformation des céréales au Canada à Richardson International. Agrium avait récemment acquis l’Australian Wheat Board (AWB) lors de sa privatisation en 2010. Elle a conservé les activités de vente au détail d’intrants de l’AWB et a immédiatement vendu le secteur de la manutention des céréales à Cargill. Aujourd’hui, Agrium est le plus grand détaillant d’intrants agricoles au monde, ainsi qu’un important fabricant d’engrais et une société d’extraction de potasse. Viterra reste le plus grand manutentionnaire de céréales du Canada, avec une capacité de stockage de 1,8 million de tonnes.

À la mi-2015, Glencore était endettée à hauteur de 30 milliards de dollars en raison d’une forte baisse des prix des minerais. En septembre, elle a annoncé son intention de vendre certains de ses actifs agricoles afin de maintenir sa cote de crédit. Le 6 avril 2016, elle a accepté de vendre 40 % des parts de sa division agricole à l’OIRPC pour un montant de 2,5 milliards de dollars américains. L’OIRPC a devancé les fonds souverains de Singapour, du Qatar et de la Saudi Arabian Livestock Investment Corporation (qui s’est associée à Bunge pour créer G3 et reprendre les actifs de l’ancienne Commission canadienne du blé en 2015). L’OIRPC est représenté au conseil d’administration de Glencore Agri et a le pouvoir de choisir d’acheter davantage de parts ou de lancer une offre publique de vente de ses actions.

En mai 2016, les médias ont rapporté que Glencore Agri pourrait vendre 9,9 % supplémentaires de son capital. Les ventes d’actifs agricoles aideront Glencore à réduire sa dette, mais la société pourrait avoir l’intention d’utiliser l’argent pour investir dans des infrastructures physiques, telles que des installations de stockage, afin de pouvoir acheter davantage de céréales lorsque les prix sont bas pour les conserver et les vendre lorsque les prix augmentent. Avec une capacité de stockage suffisamment élevée, une telle stratégie aurait également pour effet de faire baisser les prix pour les fermières.

La résistance des fermiers au commerce privé des céréales, avec le développement des coopératives céréalières et la création de la Commission canadienne du blé à guichet unique, montre comment les agriculteurs ont obtenu un pouvoir économique important en travaillant ensemble sur le plan économique et politique. Depuis le début des années 1990, la richesse qu’ils ont créée sous la forme de grandes entreprises et institutions a été accaparée par des intérêts privés à la suite de décisions politiques nationales et internationales qui donnent la priorité à la propriété et au contrôle du secteur céréalier par les entreprises.

Il est peut-être préférable que ce soit l’OIRPC, plutôt qu’un fonds souverain étranger tel que SALIC, qui ait acquis la participation de 40 % dans Glencore Agri. Cependant, les intérêts de l’OIRPC sont désormais alignés sur ceux de Glencore, qui cherche à maximiser les bénéfices des actionnaires, ce qui renforce encore un système qui exige que certains perdent pour que d’autres gagnent.