Alimentation et agriculture – Les leçons de la pandémie
Avec la crise du corona virus qui sévit actuellement sur notre planète, en tant que fermiers et consommateurs, nous devrions être prêts à soutenir les autorités sanitaires partout dans le monde. Cette situation est également propice à une réflexion sur le système alimentaire existant et sur une nouvelle approche.
À ce jour, nous ne disposons que de peu d’informations sur les origines de ce micro-organisme qui, nous dit-on, est le résultat de la mutation d’un virus d’origine animale. Beaucoup pensent qu’elle pourrait provenir de chauves-souris, de chiens ou d’autres animaux domestiques, alors qu’un nombre croissant de personnes attribuent à l’agriculture et à l’élevage intensifs les nombreuses dérives virales auxquelles nous assistons depuis quelques années.
Je n’ai aucune formation qui me permettrait de confirmer la véracité ou la fausseté de ces allégations. Cependant, même si nous ne savons que peu de choses sur les mutations virales, nous connaissons bien les faits entourant l’émergence des virus dans les élevages intensifs au cours des 40 dernières années.
Je pourrais vous parler du syndrome dysgénésique et respiratoire porcin, communément appelé SDRP. Avant l’avènement d’un vaccin et la possibilité d’acheter des animaux testés négatifs, ce virus a eu le temps d’imposer un terrible tribut aux exploitations porcines dans de nombreuses régions de la planète : des milliers de jeunes porcs sont morts prématurément et des troupeaux entiers de reproducteurs sont tombés malades.
Je pourrais également évoquer le syndrome de la vache folle qui déclenche la maladie de Creutzfeldt-Jakob lorsqu’il se transmet à l’homme. Connue sous le nom de tremblante, cette maladie a d’abord été associée aux élevages d’ovins, puis s’est propagée aux vaches après avoir muté, à une époque où la principale préoccupation était d’augmenter les profits et où les vaches étaient nourries d’abats de moutons comme source de protéines bon marché.
Qu’en est-il de la fièvre aphteuse ? Cette maladie, qui a pris d’assaut l’Angleterre au début des années 2000, a provoqué l’abattage de milliers d’animaux biongulés et la perte de millions de dollars pour les producteurs agricoles.
Le scénario est similaire pour le parvovirus porcin, qui a frappé les producteurs au début de la décennie et a fortement ralenti la croissance des porcs avant la découverte d’un vaccin qui en a atténué les effets.
Ajoutez à ce triste bilan la diarrhée épidémique porcine, une maladie que l’on croyait bien maîtrisée et qui est pourtant réapparue dans les troupeaux de porcs canadiens il y a quelques années. L’épidémie s’est propagée d’un animal à l’autre à la suite de l’utilisation du sang des truies abattues – un produit aux grandes propriétés immunologiques – dans les aliments destinés aux pouponnières. Pour l’instant, le seul remède connu consiste à abattre tous les porcelets du troupeau infecté et à transformer quelques petits porcs en bouillie pour les truies qui, on l’espère, développeront alors des anticorps qu’elles transmettront à leur progéniture par l’intermédiaire du lait maternel. Jusqu’à présent, un seul élevage de porcs a été touché dans les provinces atlantiques, et le sang comme ingrédient dans l’alimentation animale est désormais interdit par la loi.
Enfin, parlons du virus de la peste porcine africaine, qui est également réapparu dans les élevages nord-américains ces dernières années. Cette maladie a obligé les producteurs à être très prudents, par crainte de subir ses effets catastrophiques.
Je suis sûr que ces différentes maladies virales ne représentent que quelques-uns des nombreux pathogènes qui menacent le monde agricole. Si les élevages sont bien encadrés par les services vétérinaires et les grands spécialistes du monde animal, il faut néanmoins s’interroger sur les méthodes agricoles que nous utilisons dans notre partie du monde.
Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises en tant que représentant de la Nationale des Fermiers, il est impératif de s’interroger sur ce que nous mangeons : qui produit nos aliments, de quelle manière et avec quels intrants chimiques et biologiques ?
Depuis des décennies, la Nationale des Fermiers et la Fédération de l’agriculture du Nouveau-Brunswick mettent en garde nos gouvernements contre la capacité limitée de notre province à se nourrir, mais nos demandes sont restées lettre morte. Nos gouvernements ont toujours préféré se concentrer sur les produits d’exportation, en privilégiant des produits de base tels que les pommes de terre, les myrtilles, les canneberges et quelques autres produits. Les organisations agricoles n’ont cessé de réclamer une politique d’achat local, mais elles se heurtent chaque fois à l’argument des responsables politiques et des bureaucrates, convaincus que nous représentons un marché trop étroit.
Tous les acteurs du monde agricole savent pertinemment qu’en cas de fermeture des frontières, la province ne disposerait de nourriture que pour deux à cinq jours au mieux et connaîtrait des pénuries alimentaires pour la majorité des denrées, à l’exception des excédents destinés à l’exportation.
Le Nouveau-Brunswick ne produit qu’une infime partie de la viande que nous consommons et, à l’exception du poulet, la province ne possède pas d’abattoir inspecté par le gouvernement fédéral. Il est également très clair que les quelques petits abattoirs provinciaux couvrent moins de 10 % de nos besoins en viande. Il en va de même pour les cultures maraîchères : même en été, nous ne produisons qu’un faible pourcentage des fruits et légumes frais que l’on trouve sur les étals des magasins.
Au niveau national, nous produisons exactement la quantité de poulets, d’œufs et de lait que nous consommons, car ces produits sont soumis à la gestion de l’offre. En revanche, en ce qui concerne la viande, le Canada est excédentaire. La moitié de la viande bovine que nous produisons est exportée. En ce qui concerne la viande de porc, les deux tiers de la production sont vendus à l’étranger. La situation est la même pour les cultures céréalières ; un grand nombre de nos produits sont dispersés dans le monde entier. Toutefois, en ce qui concerne les légumes, nous sommes extrêmement dépendants des marchés du sud.
Nous savons très bien que si les travailleurs étrangers ne viennent pas au Canada, il n’y aura que peu de fruits et de légumes sur les étagères des magasins cet été, et le gouvernement Trudeau en est également très conscient.
Avec la conclusion de l’accord de libre-échange de 1989 et d’autres accords commerciaux ultérieurs, nous avons créé un système dans lequel l’exploitation humaine reste acceptable. Combien de personnes voudraient exercer un métier difficile, soumis aux caprices du climat, pour un salaire de misère et sans espoir d’obtenir un revenu décent, parce qu’il faut toujours offrir les prix les plus bas possibles pour pouvoir être compétitif sur le marché mondial ?
Loin de moi l’idée de proposer de changer nos habitudes, comme le voudraient les végétaliens, où tout reviendrait à l’agriculture végétale. Je préfère sensibiliser à ce moment où la quarantaine s’impose, car nous sommes nombreux à avoir plus de temps pour lire, nous informer, consulter les bases de données informatisées à portée de main pour poser des questions sur le système alimentaire, découvrir ses mécanismes et commencer à réfléchir sur les aliments que nous mangeons, leur composition et leur provenance.
Profitons-en également pour réfléchir à l’utilisation des produits phytosanitaires, à leurs effets sur les consommateurs, sur les personnes chargées de les appliquer, à la composition des engrais, à leurs impacts sur la santé, ainsi que sur la santé animale, sur la dégradation des sols et, plus largement, sur la santé de tous.
Il est tout aussi important de s’interroger sur les méthodes de production, sur la manière dont les animaux sont traités et sur les revenus des fermières afin de définir ensuite ce que nous souhaitons vraiment : comment doit être produite la nourriture qui se trouve dans nos assiettes et qui doivent être les acteurs à la base de notre chaîne alimentaire. N’oublions pas non plus de nous pencher sérieusement sur les effets de notre système alimentaire sur le climat.
Merci à tous ceux qui s’intéressent à notre système alimentaire, en particulier le professeur Charlebois, de l’université Dalhousie, qui nous informe sur les questions d’alimentation.
Je termine en citant le philosophe acadien Euclide Chiasson dans le documentaire Au pays desgéants verts, produit au début des années 1980 par Claudette Lajoie : « L’agriculture est beaucoup trop importante ; à cause de la nature de la production, on ne la laisse pas entre les mains de n’importe qui ».
Nous vous remercions,
Jean-Eudes Chiasson
Vice-président de la Ferme Terre Partagée