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Le plan de fusion de Semences Canada met à l’écart les producteurs de semences indépendants

En 2018, cinq groupes de l’industrie semencière collaborant sous le nom de Seed Synergy ont publié un livre blanc, exposant leur vision de l’augmentation des revenus des entreprises semencières et de la réduction de leurs propres coûts au détriment des fermières, des obtenteurs publics et des consommateurs. Ils visent à modifier le système réglementaire canadien en matière de semences afin d’empêcher les fermières d’utiliser librement leurs propres semences, de garantir que les sociétés agro-industrielles contrôlent la sélection des semences et de remplacer les mesures de contrôle de la qualité dans l’intérêt du public par des mécanismes de « vigilance de l’acheteur ». Le méga-groupe proposé par Seeds Canada est un moyen d’atteindre cet objectif.

Les dirigeants des groupes de la synergie des semences – l’Association canadienne des producteurs de semences (ACPS), l’Association canadienne du commerce des semences (ACCS), l’Institut canadien des semences (ICS), l’Association canadienne des analystes de semences commerciales (ACASC) et l’Agence canadienne des technologies végétales (ACTP) – proposent de créer Semences Canada en combinant les fonctions de réglementation, de service et de lobbying des cinq organisations dans le cadre d’une nouvelle structure de gouvernance. Du 15 juillet au 27 août 2020, ils demandent à leurs membres respectifs de voter pour ou contre la dissolution des organisations individuelles et le transfert de leurs fonctions dans cette nouvelle entité. Le changement nécessite le soutien d’une majorité des deux tiers dans chacune des cinq organisations.

Les fermiers qui sont des producteurs de semences sélectionnées et qui sont membres de l’une des associations provinciales de producteurs de semences peuvent voter pour ou contre cette fusion. Le résultat aura un impact énorme sur l’avenir des producteurs de semences indépendants et de notre système de semences. Les producteurs de semences doivent examiner attentivement les détails de la proposition et réfléchir à la manière dont les changements affecteront leur avenir et celui des fermières qui sont leurs clientes.

La proposition de fusion transférera les pouvoirs réglementaires à Seeds Canada. Depuis des décennies, l’ACPS est chargée de faire respecter la réglementation gouvernementale relative à la production de semences sélectionnées en vertu de la loi sur les semences, la première loi canadienne sur la protection des consommateurs, qui a été conçue pour protéger les fermières contre les vendeurs de semences sans scrupules. La structure proposée par Semences Canada donnerait aux sociétés semencières siégeant à son conseil d’administration l’autorité légale sur la mise en œuvre et l’application de ces règlements et d’autres règlements relatifs aux semences. Le choix du nom, Seeds Canada, semble destiné à renforcer sa légitimité en encourageant l’idée qu’il s’agit d’une agence gouvernementale comme Santé Canada. Les statuts proposés par Seeds Canada décrivent les types de membres, les droits de vote et la composition du conseil d’administration de la nouvelle organisation. Sa structure mettrait à l’écart les producteurs de semences aux niveaux national et provincial, tout en favorisant les entreprises de l’industrie des semences. Les producteurs de semences et les fermiers céréaliers seraient les plus touchés.

Les 15 personnes nommées au premier conseil d’administration de Semences Canada comprendront au moins un membre de chacune des sept associations régionales de semences et au moins quatre membres de la « chaîne de valeur » représentant les développeurs de semences, les producteurs, le commerce des semences et les essais de semences – des entreprises qui gagnent de l’argent grâce aux semences à tous les niveaux du système, telles que Bayer, Cargill, BASF, Limagrain, Syngenta, Pioneer et Corteva. Les prochaines élections réduiront la taille du conseil à 11 et permettront à ces représentants de la « chaîne de valeur » d’occuper les postes vacants des associations régionales de semences.

Pour conserver leur droit de vote au sein de Semences Canada, les associations provinciales de producteurs de semences devront restructurer leurs critères d’adhésion dans un délai de trois ans afin d’inclure des « représentants de la chaîne de valeur » et de supprimer toute exigence rendant l’adhésion obligatoire pour les producteurs de semences sélectionnées. Ces conditions signifieraient que les associations provinciales ne représenteraient plus tous les producteurs de semences de leur province et que d’autres entreprises de semences non agricoles deviendraient des membres votants.

Dans la structure proposée par Seeds Canada, seuls les membres qui sont des entreprises tirant des revenus du secteur des semences auraient le droit de voter, et il y aurait une voix par membre. Les associations provinciales de producteurs de semences disposent d’une voix par association. L’adhésion à Seeds Canada serait volontaire, et les frais d’adhésion augmenteront d’ici quelques années. Des frais plus élevés constitueraient un autre obstacle à la participation des producteurs de semences indépendants, ce qui réduirait encore leur voix.

Si la fusion a lieu, Semences Canada exigera une modification immédiate des lois et règlements relatifs aux semences par l’intermédiaire de son comité permanent des affaires publiques et de la défense des intérêts lors de l’examen prévu du règlement d’application de la loi sur les semences. CropLife Canada, le groupe de pression de l’industrie des biotechnologies et des pesticides, ferait partie de ce comité de défense dans le cadre d’un accord formel avec Seeds Canada.

L’agriculture canadienne repose sur les semences et les fermières sont très préoccupées par les changements proposés.

Personne ne peut nier l’importance des semences – non seulement pour les fermières et l’agriculture, mais aussi pour la sécurité alimentaire et la société dans son ensemble. Les groupes Seed Synergy se positionnent pour non seulement influencer, mais aussi remplacer le régulateur public. Le fait que notre système de semences soit contrôlé par des sociétés agro-industrielles a de graves conséquences. Si les projets de fusion de Seed Synergy aboutissent, le producteur de semences indépendant appartiendra bientôt au passé, et le processus de régulation publique démocratiquement responsable sera renversé, avec des sociétés intéressées qui réguleront les fermières à la place.

Par Cathy Holtslander, directrice de la recherche et de la politique de l’UNF