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Op Ed : Les associations agricoles et les syndicats américains demandent à M. Biden de mettre fin à l’attaque de l’ACEUM contre le système canadien de gestion de l’offre

Cet éditorial a été publié à l’origine par le Centre canadien de politiques alternatives sur The Monitor Online.

Le 1er février, des organisations agricoles, syndicales et de la société civile américaines ont officiellement demandé à l’administration Biden-Harris de retirer l’attaque contre le secteur laitier canadien lancée par le représentant américain au commerce (USTR) dans les derniers jours de l’administration Trump.

Dans le premier différend lancé dans le cadre de l’accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), les États-Unis contestent la manière dont le Canada a accordé un accès supplémentaire au marché, ou des contingents tarifaires (CT), pour les produits laitiers américains, comme convenu lors des négociations de l’ACEUM.

« En mettant de côté et en réservant un pourcentage de chaque CT de produits laitiers exclusivement aux transformateurs, le Canada a sapé la capacité des fermières et des producteurs laitiers américains à utiliser les CT convenus et à vendre une large gamme de produits laitiers aux consommateurs canadiens », indique un communiqué de presse de l’USTR annonçant le différend en décembre.

De leur côté, de nombreux fermiers américains voient dans cette contestation commerciale une attaque injustifiée contre les agriculteurs canadiens et un système de gestion de l’offre de plus en plus convoité au sud de la frontière.

« Les fermières laitières et les travailleurs agricoles luttent pour leur survie, au sens propre comme au sens figuré, alors que la politique commerciale et agricole des États-Unis est utilisée contre eux au profit d’intérêts corporatistes », ont déclaré les fermières américaines et les groupes de la société civile dans leur lettre à l’USTR. « Cette mesure, si elle est mise en œuvre, mettrait en péril les moyens de subsistance des fermiers canadiens et des travailleurs syndiqués de la transformation laitière, opposant les producteurs laitiers américains aux familles de travailleurs de l’autre côté de la frontière. »

Lors de la négociation de l’ACEUM, le secteur laitier canadien avait déjà perdu une part importante de son marché intérieur au profit de l’Europe via l’Accord économique et commercial global (AECG) et au profit des pays de la région du Pacifique via l’Accord global et progressif pour le Partenariat transpacifique (CPTPP).

Dans le cadre de l’ACEUM, le Canada a maintenu son système de gestion de l’offre, mais a concédé une augmentation des importations de produits laitiers en franchise de droits (QT) en provenance des États-Unis : 50 000 tonnes métriques supplémentaires de lait de consommation et 12 500 tonnes métriques de fromage doivent entrer au Canada en franchise de droits d’ici la sixième année de l’accord (l’été 2026). Le Canada met en œuvre l’accord ACEUM en délivrant des permis aux transformateurs laitiers canadiens, ce qui leur permet d’importer les volumes convenus d’ingrédients laitiers d’origine américaine pour les transformer au Canada.

Cela ne suffit pas au lobby agressif des entreprises laitières aux États-Unis. Le lobby laitier américain estime que « l’esprit » du nouvel accord ALENA serait que le Canada lui permette de maximiser les avantages potentiels de l’ACEUM en important ses produits transformés de plus grande valeur.

« Nous sommes d’accord avec la position canadienne sur le fond mais, plus encore, et en solidarité avec les fermières et les travailleuses laitières canadiennes, nous exhortons l’administration Biden à retirer la plainte », ont rétorqué les alliés américains dans leur lettre.

Les petites exploitations laitières américaines traversent une crise grave en raison de la faiblesse prolongée des prix à la production, qui sont inférieurs au coût de production. Paradoxalement, lorsque les prix baissent, la production augmente, car les exploitations tentent de compenser en volume ce qu’elles perdent en prix. Cela favorise les plus grandes exploitations et pousse les plus petites à la faillite.

Les exploitations laitières sont moins nombreuses et plus grandes – certaines traient jusqu’à 36 000 vaches – tandis qu’un tiers des exploitations laitières américaines ont disparu au cours de la dernière décennie. L’augmentation rapide de la dette et du désespoir a créé une crise du suicide dans les communautés agricoles. Les fermiers américains s’enlèvent la vie à un rythme 3,5 fois supérieur à celui de la population générale.

Pendant ce temps, les grands transformateurs de produits laitiers ont réagi aux perturbations provoquées par la Covid-19 en mettant fin unilatéralement aux contrats, laissant les petites fermières sans aucun accès au marché et sans aucun moyen de gagner leur vie ou de rembourser leurs emprunts. Si l’interprétation de l’accord de l’ACEUM par le lobby laitier l’emporte, ces entreprises seront encore plus à même de faire baisser les prix à la production et d’imposer la misère à un plus grand nombre de familles d’agriculteurs et à leurs communautés.

« Mon cœur se brise chaque fois que j’entends parler d’une autre ferme laitière familiale qui disparaît à cause d’un marché guidé par les intérêts des entreprises », déclare Arwa de Groot, membre de l’Union Nationale des Fermiers de l’Ontario et productrice laitière. « Je pense que nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider à créer un système de gestion de l’offre pour nos amis du sud, afin qu’ils puissent eux aussi profiter des fruits de leur travail tout en produisant un lait durable et de qualité ».

Arwa de Groot, membre de l’UNF et fermière laitière de l’Ontario, avec ses vaches.

Au Canada, l’UNF soutient les fermières américaines dans leurs efforts pour mettre en place un système de commercialisation des produits laitiers équitable, inspiré du système canadien de gestion de l’offre. En 2017, l’UNF a envoyé une lettre à la précédente administration américaine pour expliquer les avantages du modèle canadien. Il a déclaré que la gestion de l’offre :

fonctionne bien depuis plus de 50 ans… et protège les intérêts des fermières, des transformateurs et des consommateurs de produits laitiers sans faire appel aux deniers publics. Les fermiers reçoivent une rémunération équitable pour leur travail, leur gestion et leurs investissements en échange du contrôle de leur volume de production ; les transformateurs laitiers reçoivent un approvisionnement fiable en lait à des prix prévisibles ; les consommateurs reçoivent des produits laitiers sains et de haute qualité à des prix raisonnables et ne sont jamais confrontés à des pénuries. L’ensemble du système fonctionne sans un centime de subvention gouvernementale.

Lorsque Covid-19 a frappé, la demande des consommateurs a brusquement changé et les gens se sont mis à cuisiner à la maison. Notre système de gestion de l’offre a été en mesure de réagir rapidement et équitablement, en partageant la charge du réalignement des besoins de production et de transformation. Contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis, aucun fermier laitier canadien n’a perdu son accès au marché à cause de la pandémie.

Le système de gestion de l’offre favorise également les pratiques respectueuses de l’environnement, en partie grâce à des revenus fiables qui permettent aux fermières d’investir dans la reconstitution des sols, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables dans les exploitations. Avec un troupeau moyen de 89 vaches, les fermières canadiennes peuvent intégrer la production de fourrage et d’aliments pour animaux et la gestion du fumier afin de construire des sols sains, en évitant la pollution de l’air et de l’eau et les coûts élevés de transport des aliments pour animaux. Les exploitations familiales économiquement stables, avec des troupeaux plus petits, vont également de pair avec des normes élevées en matière de bien-être animal.

Chaque province dispose de son propre quota soumis à la gestion de l’offre, de sorte que les usines de transformation nécessaires pour servir les fermières locales fournissent également de bons emplois dans tout le pays. Tournés vers l’avenir, les fermiers élus aux conseils d’administration des entreprises laitières ont mis en place des programmes d’aide à l’installation de jeunes agriculteurs, en donnant souvent la priorité à ceux qui démarrent des exploitations certifiées biologiques. Le secteur laitier canadien répond également aux initiatives des systèmes alimentaires locaux en créant des opportunités pour des approches innovantes de transformation à la ferme et de marketing direct.

Nous sommes encouragés par la solidarité de nos amis américains qui demandent le retrait de la récente contestation commerciale, et nous espérons que le président Biden résistera à la pression des « grands producteurs laitiers » avec le même courage et la même imagination que ceux dont il a fait preuve dans son initiative de lutte contre le changement climatique. Nous espérons également que la résolution de ce problème commercial sera la première étape de l’administration Biden-Harris vers la mise en œuvre de la gestion de l’offre aux États-Unis.

Cathy Holtslander est directrice de la recherche et de la politique à la Nationale des Fermiers. Son travail consiste notamment à analyser les implications des accords commerciaux internationaux pour les fermiers et les communautés rurales, ainsi qu’à promouvoir des alternatives. Elle participe au projet de recherche sur le commerce et l’investissement du Canadian Centre for Policy Alternative.