L’utilisation de votre argent est importante
La Nationale des Fermiers (UNF) et la plupart des habitants de l’île ont été soulagés lorsque les gouvernements fédéral et provincial ont pris des mesures rapides pour lutter contre le COVID-19. Les mesures mises en place ont permis de freiner la propagation du virus et de sauver de nombreuses vies ici, à l’Île-du-Prince-Édouard, ainsi que dans d’autres provinces et territoires. Les porte-parole du gouvernement ont fait preuve de bienveillance en adressant des messages sincères aux personnes endeuillées par la mort de membres de leur famille ou d’amis. Nous sommes impressionnés par la rapidité et l’apparente efficacité avec lesquelles les décideurs ont mis en place des fonds d’urgence.
Ils ont commencé par les personnes les plus manifestement vulnérables, celles qui ont perdu leur emploi actuel ou leur emploi saisonnier en raison des fermetures d’usines. Les gouvernements ont également été prompts à reconnaître et à répondre aux nombreuses catégories de personnes moins remarquées, celles qui passent toujours entre les mailles du filet pour une raison ou une autre.
Lorsque l’attention des hommes politiques s’est portée sur les fonds d’urgence pour les entreprises, les gens ont commencé à être plus attentifs. Nombreux sont ceux qui se souviennent des indemnités scandaleuses versées aux grandes entreprises lors de la récession de 2008, alors que les citoyens ordinaires faisaient faillite. Cependant, dans ce contexte de pandémie, tout semble aller pour le mieux, puisque certains secteurs de petites et moyennes entreprises se sont vu offrir un soutien pour garder leurs portes ouvertes et/ou pour les aider à tenir jusqu’à ce que le virus COVID-19 s’affaiblisse et disparaisse.
Cependant, de nombreux signaux d’alarme ont été émis lorsque le ministre de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard a annoncé la création d’un fonds d’aide de 4,7 millions de dollars, qui semble destiné aux Irving. Au début de la pandémie, l’entreprise a déclaré qu’elle disposait d’un excédent de pommes de terre. Les nouvelles ont rapporté que Cavendish Farms a conseillé aux producteurs de pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard sous contrat d’approvisionnement de l’entreprise de “vendre sur d’autres marchés s’ils le peuvent”. Et cela a été dit au milieu de la fermeture des frontières. C’était au mieux déraisonnable, peut-être même cruel. Le ton semble avoir changé lorsque la société a découvert qu’elle pouvait obtenir des fonds publics. Il semble maintenant que le transformateur envisage de prendre les pommes de terre des producteurs et de produire des frites commercialisables.
Lorsque l’UNF a posé des questions sur les 4,7 millions de dollars, le vice-ministre de l’agriculture nous a informés que l’aide n’allait pas directement aux fermières individuelles mais à “l’industrie”, à savoir les Fermes Cavendish. Il a insisté sur le fait que les fermières bénéficieront d’une aide indirecte, car l’entreprise Irving sera “en mesure” de payer les fermières pour leurs pommes de terre qui, autrement, auraient pu être mises en décharge. La part de l’argent public allouée à Irvings servira à financer le transport et le stockage du produit transformé.
Dans nos conversations avec les autorités, nous entendons beaucoup de grands discours sur la “surabondance” du marché et la détérioration de la “chaîne d’approvisionnement”. En période de pandémie, il nous donne une nouvelle indication de la faiblesse et de l’inconséquence du modèle industriel de production et de transformation des denrées alimentaires. Les goulots d’étranglement et les chaînes d’approvisionnement défectueuses sont inévitables lorsqu’une catastrophe peut entraîner l’effondrement de systèmes interdépendants tels que le transport et même la demande des consommateurs. Et soyons réalistes : il y aura d’autres crises à l’avenir. La fragilité et le manque de résilience du modèle industriel dit robuste sont évidents en cas de catastrophe. Cela apparaît clairement lorsque de grandes exploitations contrôlent l’agriculture et les terres, et lorsque la transformation hautement centralisée est la norme. Un problème de chaîne d’approvisionnement se pose lorsque le virus touche Cargills, les géants qui contrôlent la viande bovine au Canada. Il y a une pénurie de viande bovine dans les magasins. De même, lorsque l’usine d’Olymel au Québec devra fermer ses portes, les producteurs de l’Atlantique devront peut-être abattre leurs porcs. Le porc pourrait devenir un aliment de luxe.
Il en va de même pour Cavendish Farms, dont les restaurants et les fast-foods sont fermés à cause du virus. Le marché des frites se réduit. Il y a une “surabondance” temporaire. L’entreprise de transformation aura probablement des frais de transport et de stockage supplémentaires. C’est l’un des risques de ce type d’activité industrielle. Cela fait partie de leur responsabilité. Pourquoi l’argent des contribuables devrait-il servir à financer les dépenses opérationnelles ordinaires de Cavendish Farms ? Le milliardaire Irving à l’origine des Fermes Cavendish pourrait devoir absorber une baisse de quelques points de pourcentage de ses bénéfices en cette période de crise. C’est leur risque.
En réalité, les fermières assument généralement la majeure partie du risque. L’UNF serait plus satisfaite si le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard associait plus directement les producteurs à la discussion sur la meilleure façon de dépenser les 4,7 millions de dollars consacrés à la pomme de terre. Le transformateur a la liberté absolue de décider de recevoir ou non des pommes de terre. Le transformateur a également le privilège de longue date et non vérifié de juger un certain pourcentage de chaque livraison “impropre” à la transformation. Les fermières doivent pouvoir prétendre à une bonne partie du fonds d’urgence public pour couvrir leurs pertes réelles.
La Nationale des Fermiers attend du ministère de l’Agriculture qu’il protège les fermières. L’UNF demande instamment au ministre de faire preuve de transparence dans toutes les négociations relatives à la dispersion de près de cinq millions de dollars. Tous les habitants de l’île s’y attendent.
Douglas Campbell vit dans sa fermiere au sud-ouest du lot 16 et est directeur de district de l’Union Nationale des Fermiers.