Lettre : Budget 2022 – Dignité économique pour les fermiers
L’UNF a envoyé la lettre suivante à la ministre des Finances Freeland avant le budget fédéral 2022.
Madame la Ministre Freeland,
RE : Budget 2022 – Dignité économique pour les fermières et les fermiers
La Nationale des Fermiers (UNF) est une organisation agricole nationale non partisane, à adhésion directe et volontaire, composée de milliers de fermiers de tout le Canada qui produisent une grande variété de denrées alimentaires, notamment des céréales, du bétail, des fruits et des légumes. Notre mandat est axé sur la dignité économique des fermières. Depuis plus de cinquante ans, nous nous efforçons d’aider les fermières à atteindre leurs objectifs économiques et sociaux, de réduire les coûts et de prendre d’autres mesures destinées à accroître les avantages économiques de l’agriculture, de légiférer et de prendre d’autres mesures gouvernementales en faveur des fermières et d’améliorer la qualité de la vie communautaire dans le secteur de l’agriculture. C’est dans ce contexte que nous présentons nos commentaires et recommandations pour le budget fédéral 2022 du Canada.
Besoin d’outils pour construire notre avenir
Les Canadiens sont confrontés à une convergence de crises : le chaos climatique, la pandémie persistante, le mécontentement exprimé dans les rues d’Ottawa et aux frontières, et maintenant, la guerre en Ukraine. Nous devons affronter l’avenir avec courage et avec les outils appropriés pour construire un avenir inclusif, équitable et durable sur le plan environnemental. En tant que ministre des finances, vous avez la possibilité d’utiliser les pouvoirs fiscaux pour promouvoir la stabilité, l’espoir et la résilience dont les Canadiens ont besoin pour avoir confiance en l’avenir, et qui aideront notre pays à devenir un phare de paix dans ce monde turbulent et incertain.
La dignité économique, un combat
Ce sont les fermières qui fournissent les aliments et les fibres qui permettent à la population de vivre au quotidien. Les fermières et fermiers canadiens, grâce à leurs connaissances, leurs compétences, leur gestion et leur travail, produisent chaque année des milliards de dollars de valeur. Pourtant, les fermières continuent de lutter pour leur dignité économique. La plupart des revenus perçus par les fermières ne font qu’un bref passage sur leur propre compte en banque avant que les factures ne soient payées. Lorsque les conditions liées au changement climatique détruisent les rendements et entravent les récoltes, les fermières ont des coûts encore plus élevés et des revenus plus faibles. Le revenu agricole net réalisé en 2019 ne représentait que 7 % du revenu total. Le nombre de fermières continue de diminuer, tandis que la taille moyenne des exploitations augmente et que le prix des terres agricoles s’envole. Les familles d’agriculteurs dépendent de plus en plus de revenus non agricoles. La prochaine génération de fermiers n’a pas les moyens d’acheter des terres, tandis que plus de 90 % des exploitations n’ont pas de plan de succession. Alors que les fermiers prennent leur retraite ou quittent l’agriculture et leurs communautés rurales pour des moyens de subsistance plus fiables, les terres sont de plus en plus contrôlées par des sociétés d’investissement dans les terres agricoles et des propriétaires absentéistes. Le tissu de la vie rurale s’est effiloché et déchiré au fur et à mesure que les multinationales extraient les richesses et que les gouvernements se déchargent des coûts sur les petites communautés dont les capacités ne cessent de s’amenuiser. Nos problèmes économiques, sociaux et environnementaux sont à la fois graves et urgents.
Solidarité et cohésion sociales ou accroissement des inégalités et des conflits ?
Le Canada est notre patrie : c’est là que nous gagnons notre vie et que nous vivons. En tant que peuple interdépendant, nous dépendons les uns des autres et de notre terre pour créer une vie agréable dans les limites fixées par la nature. Lorsque les écarts de pouvoir sont importants, certains ont la possibilité de considérer les autres comme des ressources à utiliser dans leur propre intérêt. Notre économie est l’expression concrète de ces relations. Les gouvernements peuvent choisir de faire pencher la balance du côté de la solidarité et de la cohésion sociales, ou du côté de l’inégalité et des conflits.
Le budget 2022 peut faire la différence en soutenant la dignité économique des fermières du Canada.
Infrastructures pour la prospérité rurale
Des infrastructures adéquates soutiendront la prospérité des Canadiens en permettant à un plus grand nombre de fermières de desservir le marché intérieur canadien et de conserver ainsi une plus grande part du dollar de consommation dans nos économies nationales, régionales et locales. La production agricole diversifiée nécessaire à un système alimentaire plus résilient ne peut avoir lieu que si l’infrastructure de soutien existe. Les budgets fédéraux antérieurs ont financé de préférence la croissance axée sur l’exportation, ce qui a eu pour effet de mettre l’accent sur la production de matières premières destinées à l’exportation et sur la centralisation et la concentration de l’industrie alimentaire canadienne, créant ainsi des déserts d’infrastructures dans le reste du pays.
Le budget 2022 peut soutenir la construction, la rénovation et la réouverture d’abattoirs titulaires d’une licence provinciale. Alors que les consommateurs cherchent de plus en plus à soutenir les producteurs locaux et que les éleveurs adoptent des systèmes de pâturage respectueux du climat, le manque de capacité des abattoirs locaux et régionaux a créé un goulot d’étranglement qui entrave la croissance de systèmes alimentaires régionaux dynamiques dans tout le Canada.
Votre budget peut également viser à compenser la perte des marchés soumis à la gestion de l’offre due à l’ACEUM de manière à promouvoir la transformation à la ferme, la commercialisation directe et les systèmes de production alternatifs pour les produits laitiers, la volaille et les œufs dans le cadre du système de gestion de l’offre. Il pourrait s’agir d’initiatives telles que la fabrication de fromages artisanaux, l’élevage de volailles en pâturage, les distributeurs de lait à pièces, les livraisons locales permettant l’utilisation de récipients en verre réutilisables.
Enfin, le budget 2022 peut soutenir le développement de coopératives pour permettre aux producteurs locaux de denrées alimentaires de mettre en commun leurs ressources et leur main-d’œuvre afin de construire et d’exploiter des infrastructures locales et régionales de stockage, de distribution et de commercialisation.
La confiance du public grâce à la réglementation publique
Des années d’austérité budgétaire ont gravement affaibli les capacités scientifiques indépendantes au sein d’AAC, d’Environnement Canada, de Santé Canada et de l’ACIA. Pourtant, la nécessité d’une surveillance réglementaire s’est accrue. Il est urgent d’accroître la capacité d’une réglementation d’intérêt public efficace afin de promouvoir une plus grande confiance du public dans l’agriculture canadienne et de protéger les intérêts des fermières canadiennes ainsi que des consommateurs. Une infrastructure réglementaire plus solide, plus efficace et plus transparente renforcera la confiance dans les produits et les systèmes de production du Canada et préservera l’intérêt public face à des entreprises privées toujours plus grandes et plus puissantes qui cherchent à réduire les coûts en évitant la réglementation publique.
Le budget 2022 peut renforcer la capacité de nos organismes de réglementation en recrutant, en formant et en soutenant le développement professionnel continu de la prochaine génération de personnel scientifique et technique, et en fournissant un soutien administratif organisationnel. Les installations doivent être entretenues et modernisées, et de nouvelles installations doivent être construites et équipées pour permettre aux régulateurs de procéder à un examen scientifique indépendant des nouveaux produits, de réévaluer les produits existants, de rechercher les problèmes émergents et de les traiter de manière proactive.
La sélection végétale publique au service de la résilience et de la sécurité alimentaire
Pour que la sélection végétale publique continue à produire des semences de haute qualité adaptées aux conditions de croissance du Canada afin de produire des cultures appréciées par nos clients nationaux et internationaux, le budget 2022 devrait reconstituer la capacité de sélection végétale publique. Les sélectionneurs publics canadiens travailleront ainsi sur l’ensemble des cultures nécessaires à un système agricole diversifié, doté de la résilience requise pour l’adaptation au climat et l’atténuation de ses effets, ainsi que sur les cultures vivrières qui contribuent à la sécurité alimentaire en soutenant la production canadienne de la gamme de fruits et de légumes nécessaires à une alimentation saine.
Faire tomber les barrières pour les nouveaux fermiers
Le budget 2022 doit également contrer les obstacles auxquels sont confrontés les nouveaux fermiers, notamment les femmes, les PANDC et les Néo-Canadiens, qui souhaitent mener une carrière fructueuse dans l’agriculture. L’accès à la terre est une question cruciale pour ces fermières. La propriété est souvent hors de portée en raison du coût élevé et de l’endettement nécessaire à l’achat. Le budget 2022 peut fournir des fonds à des organisations pour qu’elles explorent d’autres formes de régime foncier qui permettent un accès à long terme et qui soutiennent la gestion de l’environnement et le développement des communautés. Les modèles réussis peuvent inspirer de nouvelles initiatives politiques visant à inverser le cercle vicieux de la concentration de la propriété des terres agricoles et la détérioration des communautés rurales qui en résulte, ainsi que l’érosion de la qualité de vie en milieu rural.
Équilibrer les pouvoirs sur le marché
L’imbrication des crises mondiales liées au climat, aux pandémies et aux guerres a entraîné des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement, avec des répercussions en amont et en aval sur les moyens de subsistance des fermières. Toutefois, en raison de décennies de fusions et d’acquisitions induites par la mondialisation, l’agriculture est dominée, dans de nombreux secteurs critiques, par un petit nombre d’entreprises multinationales très puissantes qui disposent d’un tel pouvoir de marché qu’elles peuvent dicter des prix qui ont des conséquences pénalisantes pour les fermières et les consommateurs. Le budget 2022 peut remédier à ce déséquilibre de pouvoir en introduisant des mesures fiscales et réglementaires pour empêcher les profits. Par exemple, l’UNF a suggéré de mettre en place un plafond de revenus pour les abattoirs de bœuf inspectés par les autorités fédérales, sur le modèle du “Maximum Revenue Entitlement” qui régule les taux de fret des céréales dans l’intérêt du public, car les deux secteurs sont caractérisés par une dynamique de quasi-monopole et par des expéditeurs/fournisseurs captifs.
Travailler ensemble pour lutter contre le changement climatique
Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada, le changement climatique constitue “une menace existentielle pour la vie humaine au Canada et dans le monde entier”. Les fermiers canadiens atteignent les limites de ce qu’ils peuvent faire individuellement face à la crise climatique. L’UNF propose que le gouvernement fédéral mette en place une institution publique spécialisée sur le modèle de l’ancienne PFRA, largement admirée et respectée. Il aurait la capacité de coordonner les efforts de réduction des émissions dans l’agriculture, de contribuer à la réalisation des objectifs de réduction des émissions de l’ensemble de l’économie canadienne, et d’élaborer et de mettre en œuvre les mesures d’adaptation urgentes nécessaires. Le budget 2022 pourrait jeter les bases d’une nouvelle administration canadienne de la résilience des exploitations agricoles afin de promouvoir la prospérité du Canada par une réduction des émissions qui soutienne la production alimentaire durable et l’autonomisation des fermières.
L’équité au service de l’avenir
En conclusion, alors que les crises mondiales se multiplient et s’intensifient, il est clair que nous ne pouvons plus nous permettre un système alimentaire et agricole conçu pour maximiser la capacité des plus puissants à extraire de la valeur avec des approches “juste à temps” et “allégées” tout en laissant les fermières, les travailleurs et les consommateurs, ainsi que nos communautés, absorber des coûts et des charges de plus en plus lourds. Le budget 2022 est le moment idéal pour commencer à construire un cadre politique qui assure aux Canadiens la dignité économique et la résilience dont ils ont besoin pour aborder avec confiance notre avenir interdépendant.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,
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Katie Ward, Présidente
Union Nationale des Fermiers
CC – Hon. Marie-Claude Bibeau, ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire ; Hon. Ed Fast – porte-parole du PC en matière de finances ; Daniel Blaikie – porte-parole du NPD en matière de finances ; Gabriel Ste-Marie – porte-parole du BQ en matière de finances ; Alistair MacGregor, porte-parole du NPD en matière d’agriculture ; John Barlow – porte-parole du PC en matière d’agriculture ; Yves Perron Bloc – porte-parole du BQ en matière d’agriculture ; Elizabeth May – Parti vert.