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Lettre à la commission de l’agriculture demandant une enquête sur les engrais

Monsieur le Président Blois, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission :

L’UNF demande à nouveau que le Comité entreprenne un examen approfondi de la tarification des engrais, de la structure du secteur et de la conduite de ses plus grandes entreprises. Bien que cette lettre se concentre sur les engrais azotés, les profits records et les prix douteux décrits ci-dessous sont observables pour les trois types d’engrais primaires : l’azote, le phosphore et le potassium.

Comme les membres de la commission le savent peut-être, la production canadienne d’engrais azotés est dominée par quatre entreprises : Nutrien Ltd, CF Industries, Yara International et Koch Fertilizer. Selon les données de Nutrien, ces quatre sociétés contrôlent 95 % de la capacité de production d’ammoniac et 100 % de la capacité de production d’urée au Canada.(https://bit.ly/3QhVGdp) En Amérique du Nord, ces quatre mêmes entreprises contrôlent 74 % de la capacité de production d’ammoniac et 84 % de la capacité de production d’urée. Le secteur est très concentré, ce que les économistes appellent un “oligopole”. La concurrence n’est pas suffisante pour discipliner les prix et limiter les niveaux de profit et il existe un réel potentiel pour que les entreprises fixent leurs prix en fonction de ce que le marché peut supporter : potentiel d’augmentation des prix des engrais lorsque les prix des céréales augmentent. Nous demandons à la commission de vérifier si c’est le cas.

Les déclarations des entreprises et les rapports financiers renforcent les inquiétudes. Nutrien Ltd. est le plus grand producteur d’engrais azotés au Canada et le plus grand producteur d’engrais au monde. La société a annoncé ses résultats financiers du deuxième trimestre le 4 août. L’entreprise a déclaré aux actionnaires que

Nutrien livre[ed] un bénéfice record au premier semestre et prévoit un second semestre solide. …Nutrien a généré un bénéfice net de 5,0 milliards de dollars et un EBITDA ajusté de 7,6 milliards de dollars au cours du premier semestre 2022, grâce à des prix réalisés plus élevés et à une solide performance en matière de vente au détail, qui ont plus que compensé une réduction des volumes de vente d’engrais. … L’EBITDA ajusté du deuxième trimestre et du premier semestre pour l’azote a augmenté par rapport à l’année précédente en raison de la hausse des prix de vente nets réalisés qui a plus que compensé la hausse des coûts du gaz naturel et la baisse des volumes de vente”. (https://bit.ly/3AapGSS)

Nutrien révèle deux choses. Premièrement, la hausse des prix des engrais “a plus que compensé la hausse des coûts du gaz naturel”. Les prix records des engrais auxquels les fermières ont dû faire face sont allés bien au-delà de ce qui était nécessaire pour compenser la hausse des coûts de production. Deuxièmement, Nutrien note “une réduction des volumes de vente d’engrais”. D’autres entreprises ont constaté une baisse du tonnage des ventes (voir ci-dessous). Il est donc difficile pour les entreprises d’expliquer la flambée des prix des engrais en invoquant une forte demande : la consommation a baissé. CF Industries est le deuxième producteur d’azote au Canada et le premier en Amérique du Nord. Comme Nutrien, CF Industries annonce des ” résultats records ” avec un revenu net des ventes deux fois plus élevé au premier semestre 2022 qu’au premier semestre 2021 et un bénéfice net cinq fois plus élevé. CF Industries note également une baisse des volumes de vente (premier semestre 2022 contre premier semestre 2021), soulignant que ” les conditions météorologiques ont retardé l’application au printemps et réduit les superficies plantées. ” Ils disent que la demande était en baisse. (https://bit.ly/3BUn90r)

Yara International, troisième producteur d’azote au Canada, raconte une histoire similaire : “Amélioration des marges, la hausse des prix ayant plus que compensé l’augmentation du coût de l’énergie et la baisse des livraisons.” Le bénéfice net de Yara pour le premier semestre 2022 a été deux fois plus élevé que pour le premier semestre 2021.(https://bit.ly/3QsNyHj)

Koch Fertilizer, quatrième producteur d’azote au Canada, ne publie pas d’informations financières.

Dans toute l’Amérique du Nord, les organisations agricoles et les économistes avertissent que les fabricants d’engrais pourraient manipuler les prix en réponse à la hausse des prix des récoltes des agriculteurs. Dans une lettre commune, vingt-quatre organisations agricoles américaines ont écrit au ministère américain de l’agriculture pour lui faire part de leurs inquiétudes :

“…] des hausses de prix record qui ne reflètent pas l’augmentation des coûts de production, mais qui témoignent au contraire de comportements collusoires en matière de prix et de profits à l’échelle de l’industrie. … Les récents records de prix des engrais ont coïncidé de manière suspecte avec une augmentation des revenus que les fermières tiraient des cultures de produits de base. Alors que les sociétés d’engrais prétendaient que ces prix étaient le résultat de pénuries et de prix élevés du gaz naturel, leurs propres rapports annuels et trimestriels réfutaient ces affirmations”.(https://bit.ly/3vNuc7e)

Ce qui précède n’est qu’un échantillon d’un grand nombre de preuves. Nous demandons au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes d’enquêter sur le prix des engrais, les bénéfices des entreprises et le manque de concurrence dans le secteur, de faire rapport au Parlement et aux agriculteurs et, si cela se justifie, de faire appliquer les lois et règlements pertinents afin de protéger les fermières et nos revenus nets.

Enfin, et c’est le point le plus important pour de nombreux Canadiens, ce problème – les profits potentiels des entreprises d’engrais aux dépens des fermières – dépasse largement le cadre des fermières et de ces entreprises. Lorsque les revenus agricoles nets sont faibles, les contribuables contribuent à combler la différence. Au cours des 36 dernières années (1985-2021), pour le revenu agricole net réalisé, deux dollars sur trois provenaient des contribuables. Le prix élevé des engrais a fortement entamé le revenu net des fermières. Si les entreprises manipulent les prix et gonflent leurs marges bénéficiaires, elles prennent de l’argent, non seulement aux fermières, mais à tous les contribuables. Les parlementaires ont la responsabilité de protéger l’argent des contribuables et de veiller à sa bonne gestion. Les parlementaires ont la responsabilité d’enquêter.

Suite à la demande écrite que nous avons adressée à la commission le 13 janvier, et qui a été réitérée par la présidente de l’UNF, Katie Ward, lors de son témoignage devant votre commission le 17 février, l’UNF demande à nouveau une enquête immédiate de votre commission et une action immédiate pour protéger les fermières et les contribuables de toute manipulation des prix qui pourrait être en cours. Nous attendons avec impatience la production rapide de documents publics susceptibles de mettre en lumière la structure et la conduite de ce secteur puissant et très concentré.

Nous vous remercions,

Katie Ward, présidente de l’UNF

Stewart Wells, vice-président de l’UNF chargé des opérations

cc : Membres du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes Monsieur le Ministre de l’agriculture, Ministres provinciaux de l’agriculture