Les fermières perdraient des centaines de millions de dollars si la fusion entre Bunge et Viterra obtenait le feu vert
SASKATOON, SK-Le13 juin 2023, Bunge a annoncé son intention d’acheter Viterra, la plus grande société céréalière du Canada. Bunge est la cinquième entreprise céréalière au monde. Le Bureau de la concurrence a estimé que la fusion nuirait considérablement à la concurrence. Le ministre des transports a également examiné les impacts potentiels de l’accord et soumettra sa recommandation au cabinet début juin.
La Nationale des Fermiers estime qu’il n’est pas possible d’atténuer les effets négatifs de cette transaction et demande donc au Cabinet de refuser l’autorisation de fusion.
Bunge est une société de droit suisse dont le siège se trouve à St. Louis, dans le Missouri. Elle opère dans 40 pays, avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 57 milliards de dollars. Elle est le plus grand transformateur d’oléagineux au monde et occupe une position dominante dans les secteurs du soja, du canola et du maïs. En 2015, Bunge s’est associé à la Saudi Agricultural and Livestock Investment Company (SALIC) pour former G3 afin de reprendre les actifs de la Commission canadienne du blé après le démantèlement de son guichet unique. G3 détient ainsi des archives commerciales inestimables de la CCB détaillant ses ventes avec plus de 70 pays au cours de ses 77 ans d’existence.
Viterra a été créée en 2007 lorsque les anciennes coopératives du Prairie Wheat Pool ont été restructurées de manière controversée pour devenir une société privée. L’entreprise appartient désormais à l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, à la British Columbia Investment Management Corporation, qui investit pour les régimes de pension du secteur public de la Colombie-Britannique, et à Glencore, une multinationale spécialisée dans l’exploitation minière. En 2009, Viterra a racheté les actifs de l’ancien Australian Barley Board et en 2022, elle a acquis Gavilon, un négociant en céréales basé aux États-Unis. Elle est aujourd’hui présente dans 38 pays et son chiffre d’affaires atteindra 53 milliards de dollars en 2023. Il est dominant dans le blé.
Le commerce des céréales au Canada est déjà très concentré. La multinationale américaine Cargill, Richardson, G3 et Viterra, dont le siège est à Winnipeg, représentent près de 70 % de la capacité des silos des Prairies et 52 % de la capacité totale des terminaux portuaires. Si Bunge est autorisée à racheter Viterra, la nouvelle société sera de loin la plus importante du Canada. Elle est également susceptible d’inciter d’autres géants, Cargill et Richardson, à procéder à des acquisitions afin de développer leurs propres activités, ce qui entraînera une concentration encore plus importante des entreprises dans le secteur du commerce des céréales.
Toute fusion qui entraînerait une concentration du marché de 35 % ou plus au sein d’un secteur déclenche un examen par les autorités réglementaires du Canada. Le Bureau de la concurrence a étudié le projet de fusion Bunge-Viterra et, le 23 avril 2024, a déclaré qu’il « est susceptible d’entraîner des effets anticoncurrentiels importants et une perte significative de la rivalité entre Viterra et Bunge sur les marchés agricoles au Canada ». Étant donné que la fusion concerne des installations portuaires, le ministre des transports doit examiner les incidences potentielles. La date limite pour la présentation de sa recommandation au Cabinet est le 2 juin. Le cabinet prend alors la décision finale d’approuver la fusion, de l’approuver sous conditions ou de la refuser. Bunge espère obtenir l’approbation des autorités réglementaires et réaliser la fusion d’ici à la mi-2024.
Quatre organisations agricoles des Prairies – APAS, SaskWheat, SaskBarley et Alberta Grains – ont chargé les économistes agricoles Richard Gray, James Nolan et Peter Slade de réaliser une étude approfondie des répercussions de la fusion sur les fermières. Leur rapport intitulé The Economic Impact of the Proposed Bunge-Viterra (BV) Merger on the Grain Sector in Western Canada (L’impact économique de la fusion proposée entre Bunge et Viterra (BV) sur le secteur céréalier de l’Ouest canadien) : A Preliminary Assessment conclut qu’elle réduirait les revenus des fermières de 770 millions de dollars par an. Les fermiers qui vendent du canola pour la trituration perdraient également de 200 à 325 millions de dollars par an, selon que le pouvoir monopolistique de la nouvelle société est obtenu en construisant l’usine de trituration proposée par Viterra (et en détenant ainsi 42 % de la capacité de trituration du Canada) ou en ne la construisant pas (ce qui provoquerait un goulot d’étranglement). La nouvelle société et G3 contrôleraient 47 % de la capacité portuaire de Vancouver. Une société fusionnée Bunge-Viterra serait ainsi en mesure de prélever des centaines de millions de dollars par an sur les fermières et de transférer cet argent à ses propres actionnaires, au détriment de l’économie canadienne et de la prospérité des fermières des Prairies et de leurs communautés.
Le Bureau de la concurrence dispose d’un éventail très limité de mesures correctives qu’il peut recommander pour réduire les effets négatifs des fusions. L’étude des économistes analyse ces recours possibles et constate que même si ces conditions étaient imposées par le Cabinet, il en résulterait un préjudice économique considérable pour les fermières et l’économie des prairies.
Comme l’a déclaré l’UNF dans sa contribution à la consultation publique sur la politique de concurrence du Canada, l’un des principaux défis pour les décideurs est de reconnaître la différence entre la concurrence et la compétitivité, et de gérer leur dynamique dans l’intérêt public.
Le mot « compétitif » est souvent utilisé de manière contradictoire : pour décrire un degré élevé de concurrence entre les acheteurs, ou pour faire référence à la capacité d’une entreprise à remporter une compétition grâce à sa taille et à sa puissance. Il est essentiel de reconnaître que la « compétitivité » d’un marché et la « compétitivité » d’une entreprise individuelle sont des phénomènes différents et qu’avec le temps, le succès de quelques concurrents peut éliminer toute concurrence effective sur leur marché.
Comme le souligne l’étude des économistes, le CR4 (qui mesure la concentration de la part de marché d’un secteur entre ses quatre plus grandes entreprises) pour les acheteurs de céréales est déjà supérieur à 80 % pour près des trois quarts des terres des Prairies ; et si la fusion a lieu, près de la moitié (45 %) des terres des Prairies seront confrontées à un ratio CR4 de plus de 90 %. Les fermières canadiennes n’ont que très peu de choix d’acheteurs, le transport par camion vers un autre acheteur est coûteux et la capacité à attendre un meilleur prix est limitée en raison de la nécessité de payer leurs coûts de production.
Il existe des arguments convaincants en faveur de l’arrêt de la fusion en raison de la restructuration du commerce des céréales au Canada qu’elle entraînerait. Les implications négatives de la fusion sont encore plus fortes si l’on considère le potentiel de la nouvelle entreprise à dominer les marchés au niveau international – ce que le Bureau de la concurrence n’examine pas.
Bunge et Viterra sont présentes dans une quarantaine de pays et ont toutes deux une empreinte particulièrement importante en Amérique du Sud. Les multinationales peuvent s’approvisionner en céréales dans différents pays, posséder d’énormes installations de stockage et avoir accès à des données de production et à des informations commerciales de plus en plus sophistiquées. Lorsque les fermiers canadiens vendent des céréales, ils peuvent au mieux choisir entre une poignée de silos dans leur région, mais en même temps, ils sont en concurrence avec des fermiers d’autres pays – y compris des fermiers qui ont désespérément besoin de vendre. Le déséquilibre de pouvoir entre des entreprises comme Bunge et Viterra et les fermiers individuels est déjà extrême. Permettre aux deux géants de fusionner ne fera qu’aggraver la situation.
Le cabinet pourrait approuver la fusion sous réserve de conditions visant à en réduire les effets négatifs. Toutefois, la vente de certains silos, de l’une des installations portuaires et/ou de sa participation dans G3 n’aurait que peu d’impact sur la capacité de la nouvelle entité fusionnée à utiliser sa puissance économique concentrée pour promouvoir ses intérêts au détriment des fermiers canadiens et de l’économie du Canada en général – et tout acheteur de ces actifs ferait également partie des sociétés céréalières les plus puissantes au monde. Nous reconnaissons également qu’une fusion Bunge-Viterra ne serait pas la fin de l’histoire : elle déclencherait probablement un nouveau cycle de consolidation en suscitant des réponses stratégiques de la part d’autres acteurs canadiens et multinationaux du secteur céréalier.
Avec son empreinte élargie de silos de collecte, d’installations de transformation et d’installations portuaires, la société fusionnée serait en mesure d’accroître ses bénéfices aux dépens des fermières et d’influencer les décisions de production pour les aligner sur les intérêts de la société, ce qui pourrait entrer en conflit avec l’autonomie des fermières et/ou la sécurité alimentaire nationale et les intérêts économiques du Canada. Les centaines de millions de dollars que les fermières perdraient chaque année à la suite de cet accord ne sont qu’un début. Une fusion entre Bunge et Viterra nuirait considérablement aux fermières, porterait atteinte à la souveraineté alimentaire du Canada et entraînerait le transfert de milliards de dollars hors de l’économie canadienne au fil du temps. Pour ces raisons, nous demandons au Cabinet de refuser d’approuver cette fusion préjudiciable.
AGISSEZ : contactez votre député et dites-lui « NON » à la fusion Bunge-Viterra.