Le Canada a perdu sa crédibilité et la confiance des consommateurs de céréales à cause de la déréglementation
Les fermières des Prairies ont rarement été confrontées à une telle avalanche de mauvaises nouvelles. Les trois géants de l’agrochimie et des semences font campagne pour retirer aux fermières le contrôle de l’ensemble de la génétique des semences et faire payer plus cher les semences sélectionnées, qui sont à la base du système d’assurance qualité du Canada. Dans le même temps, nos principaux clients pour les céréales, les graines oléagineuses et les légumineuses se détournent de nos produits. En dépit de ce que certains acteurs du secteur privé clament haut et fort à propos des événements récents, le fil conducteur de toutes ces questions est la crédibilité et la confiance.
Sans la Commission canadienne du blé, la commercialisation des céréales des Prairies a été confiée aux trois ou quatre sociétés céréalières géantes qui dominent le marché mondial. Les deux sociétés basées au Canada, Parrish and Heimbecker et J. I. Richardson International, ont tenté de combler le vide commercial laissé par la CCB, mais sur la scène mondiale, elles ne sont, pour dire les choses gentiment, que des entreprises familiales. Ils n’ont que peu d’influence sur la politique intérieure ou les événements internationaux, comme le montrent les récents problèmes du marché chinois du canola.
L’objectif du système d’exportation des céréales des Prairies, qu’il s’agisse de céréales de la Commission ou de céréales hors-Commission, était de faire en sorte que les appels d’offres des clients potentiels précisent « source : canadienne ». La plupart du temps, la Commission canadienne du blé et trois agences gouvernementales interdépendantes – Agriculture Canada, la Commission canadienne des grains et l’Institut international du Canada pour le grain – ont permis d’atteindre cet objectif.
La première est la sélection végétale et les stations de recherche d’Agriculture Canada dans tout le pays. Ils assurent une sélection impartiale des semences dans l’intérêt des fermières et de nos clients internationaux.
La deuxième, et la plus importante, est la Commission canadienne des grains. Il s’agit d’une vérification indépendante et impartiale de la qualité des céréales chargées dans les navires d’exportation. Le « certificat final » de la CCG confère le prestige et l’autorité du gouvernement du Canada et est respecté dans le monde entier. Les clients pouvaient se fier au fait qu’une cargaison de céréales canadiennes contenait exactement ce que les inspecteurs de la CCG avaient spécifié et rien d’autre. Le certificat final a permis aux acheteurs de faire confiance à la qualité des céréales canadiennes.
Le troisième est l’Institut international du Canada pour le grain. Chaque automne, le CIGI a rassemblé des échantillons représentatifs des principales céréales cultivées dans la prairie afin de fournir des informations aux clients potentiels. Si un fabricant de nouilles asiatique s’intéressait au blé, la CCB l’emmenait souvent par avion dans les Prairies pour rencontrer des fermiers qui avaient cultivé le grain qu’ils souhaitaient acheter. Ensuite, dans les bureaux du CIGI à Winnipeg, l’acheteur potentiel peut voir un échantillon de céréales moulues et transformées dans des moulins à farine, des machines à pâtes ou, dans le cas de l’orge de brasserie, dans une brasserie à l’échelle de démonstration. Notre client a donc quitté le Canada avec les spécifications concernant le réglage de son usine afin d’obtenir un produit de la meilleure qualité possible en utilisant les céréales canadiennes spécifiques qu’il a achetées, et avec la certitude que le produit serait livré comme promis.
Pour les céréales de la Commission, la Commission canadienne du blé a assuré la commercialisation, le financement et le suivi des clients. Les fermières des Prairies ont bénéficié de tous les avantages liés à la propriété effective de leurs céréales, de la ferme au terminal du client. Des bureaux au Japon, en Chine et en Europe ont permis à la CCB de disposer d’un personnel sur place connaissant bien les clients et leurs cultures. Il convient de rappeler que le personnel de la CCB a souvent aidé d’autres exportateurs de grains canadiens à s’orienter dans le labyrinthe du commerce international des grains.
En cas de problème dans cette longue chaîne, le personnel de la CCB se trouvait à proximité de la destination et avait l’autorité et la capacité de remédier à tout manquement. Ce système efficace et interconnecté a donné au Canada la crédibilité nécessaire pour se vanter que ses fermiers « nourrissaient le monde » et a incité les clients internationaux à spécifier « source : canadienne » pour les achats de céréales.
L’une des réalisations politiques du gouvernement Harper a été la mise en place de la privatisation du système d’exportation agricole du Canada – un processus que les libéraux d’Ottawa ont poursuivi. Aujourd’hui, les conséquences de cette politique de privatisation se font sentir pour les fermiers des Prairies sous la forme d’une chute des prix du canola, des légumineuses et du blé dur. Si les tendances actuelles se poursuivent, le blé de force roux de printemps peut-il être loin derrière ?
La situation est tellement mauvaise dans les Prairies que même les médias urbains remarquent que la Chine ne veut plus acheter de canola des Prairies. Malheureusement, les médias ne se souviennent pas qu’il y a trois ans, les Chinois se sont plaints de l’excès d’impuretés (tiges, paillettes et autres matières étrangères) dans les cargaisons de canola. Un client qui souhaite un produit plus propre n’est apparemment pas assez sexy pour certains médias. Au lieu de cela, ils ont opté pour un récit basé sur un thriller d’espionnage byzantin impliquant l’arrestation d’un cadre chinois des années après que la question du canola sale a été soulevée.
Il y a deux ans, l’Inde a cessé d’acheter des lentilles et d’autres légumineuses canadiennes pour la même raison (pas assez propres). Entre l’Inde et la Chine, le problème du taux d’impuretés trop élevé a effectivement paralysé la quasi-totalité des exportations des Prairies. La part de marché mondiale de 80 % dont le Canada a souvent bénéficié pour son blé dur (pâtes) de haute qualité est également perdue pour les mêmes raisons.
La perte désastreuse de ces marchés se résume au fait que le Canada a perdu sa crédibilité sur le marché international des céréales. Le Canada n’est plus considéré comme un fournisseur fiable de céréales de haute qualité. La raison en est très simple : à l’exception de quelques exploitations familiales, le Canada ne commercialise plus ses propres céréales. Cette tâche a été confiée aux multinationales céréalières géantes.
Pourquoi ces géants ne voudraient-ils pas conserver le système canadien d’assurance qualité ? Après avoir réussi à tuer la CCB, pourquoi leurs amis et représentants font-ils pression pour fusionner l’IICG avec Cereals Canada, dominée par le secteur privé, et pourquoi s’efforcent-ils de saper la Commission canadienne des grains ?
La réponse est claire. Ils n’ont aucune envie de répondre aux appels d’offres des clients qui précisent « source : Canadienne ». Le fait que tous les appels d’offres précisent la mention « source : facultative » leur permet d’accroître leurs profits. En effet, cela leur permet de répondre aux appels d’offres en fonction de l’endroit où, dans les régions céréalières du monde, ils peuvent acheter des céréales aux fermières au prix le plus bas, puis les revendre au client en réalisant le plus gros profit. C’est leur modèle d’entreprise et, au cours des 120 dernières années, il a été très fructueux pour leurs propriétaires et leurs actionnaires. Avec la fin de la Commission canadienne du blé, les sociétés céréalières sont désormais en mesure de tirer d’énormes profits des prairies canadiennes. Les administrations Harper et Trudeau ont toutes deux joué le jeu en détruisant la crédibilité internationale du Canada, qui permettait aux clients de spécifier « source : canadienne ».
Pour les fermières des Prairies, cela signifie beaucoup moins de revenus et l’obligation de se rendre compte, comme les producteurs de canola l’apprennent, qu’il existe de nombreuses sources de graines oléagineuses et d’autres céréales dans le monde. Sans un système d’assurance qualité fiable, le Canada ne peut pas intimider ou humilier les clients potentiels pour qu’ils spécifient « source : Canadienne ».
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