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La science est reléguée au second plan par la décision fédérale sur l’édition de gènes

Bien qu’il n’y ait aucun antécédent d’utilisation sûre au Canada ou ailleurs, le ministre de l’agriculture Bibeau a annoncé le 3 mai 2023 que le Canada exempterait les plantes génétiquement modifiées de la réglementation et de la notification publique obligatoire, à moins qu’elles ne contiennent de l’ADN étranger ou qu’elles ne soient tolérantes aux herbicides. Pour toutes les autres modifications apportées à une plante génétiquement modifiée, il appartient à l’entreprise de décider si son produit est susceptible de nuire à l’environnement et doit donc être évalué par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Il n’existe aucun moyen pour le public de savoir si l’évaluation d’une entreprise de biotechnologie a été approfondie, ni aucun mécanisme permettant de s’assurer qu’elle signale tout impact gênant qu’elle pourrait découvrir.

Personne ne doute que l’édition de gènes est un outil puissant. Avec CRISPR, il est possible de modifier l’ADN d’une plante à des endroits précis en réduisant au silence ou en forçant l’expression de gènes spécifiques, en modifiant la séquence d’ADN ou en supprimant complètement un gène. L’édition de gènes peut entraîner des modifications génétiques impossibles à réaliser autrement, car CRISPR peut déjouer les mécanismes qui protègent des zones critiques du génome d’une plante contre les mutations aléatoires. De nouvelles techniques élargissent encore le champ d’application de la technologie d’édition de gènes, permettant des modifications encore plus profondes des fonctions de la cellule.

Le problème, c’est que la science ne comprend pas entièrement ce qui se passe réellement lorsque des changements sont effectués de cette manière. CRISPR peut couper une séquence génétique à un endroit précis, mais c’est à la cellule de recomposer l’ADN, et il se peut qu’elle ne le fasse pas exactement comme prévu.

Les gènes ne sont pas des blocs de Lego – un gène individuel peut contrôler de multiples aspects du développement d’un organisme et de sa réponse à différentes conditions environnementales. L’utilisation de l’édition de gènes est donc susceptible de modifier plus d’un caractère. Un légume génétiquement modifié pourrait, par exemple, produire une feuille au goût moins amer, mais le génome modifié pourrait également le rendre plus sensible aux infestations d’insectes, ce qui amènerait les producteurs à utiliser davantage de pesticides. Le gène de l’amertume pourrait également réguler la réponse de la plante au stress thermique – sa modification pourrait signifier que la nouvelle plante a besoin d’une irrigation plus intensive ou qu’elle produit des rendements plus faibles en été.

Le Canada réglemente les organismes génétiquement modifiés en tant que « plantes à caractères nouveaux » en se basant sur leurs caractéristiques extérieures plutôt que sur la technologie utilisée pour les modifier. La nouvelle approche réglementaire de l’ACIA définit la plupart des plantes génétiquement modifiées comme « non nouvelles » ou non « nouvelles » et donc exemptées. Les entreprises qui détiennent des brevets sur CRISPR ont accordé des licences aux plus grands semenciers du monde – Bayer, Syngenta, Corteva et BASF – pour l’utilisation de la technologie dans les semences, ce qui leur permet de percevoir des redevances sur les variétés génétiquement modifiées. Comme pour le maïs, le canola et le soja génétiquement modifiés brevetés, les fermières ne seront pas autorisées à conserver les semences des cultures génétiquement modifiées pour les planter ultérieurement. Pour obtenir un brevet, les inventeurs doivent démontrer que leur produit ou leur procédé est nouveau, qu’il implique une activité inventive et qu’il est susceptible d’application industrielle. https://cban.ca/wp-content/uploads/Patents-on-Genome-Editing-cban-March-2022.pdf ) Comment la même semence génétiquement modifiée peut-elle ne pas être une nouveauté aux yeux de l’ACIA, mais être une nouveauté aux yeux de l’office des brevets ?

Bien qu’elle n’ait aucune expérience en matière d’évaluation des cultures génétiquement modifiées, l’ACIA part du principe que, pour les semences génétiquement modifiées qui ne contiennent pas d’ADN étranger, tous les éléments scientifiques nécessaires à la protection de la santé et de l’environnement existent déjà et sont connus – il n’y aura pas de nouvelles questions. Des produits chimiques comme le DDT et des médicaments comme la thalidomide nous ont appris que les avantages des nouveaux produits sont faciles à voir, mais que les inconvénients et les problèmes ne deviennent apparents qu’avec le temps. En autorisant la non-divulgation des semences génétiquement modifiées avant leur commercialisation, l’ACIA ferme les yeux sur ce qui pourrait pousser dans nos champs, entravant ainsi sa propre capacité à enquêter sur les problèmes émergents à l’avenir.

Les outils actuellement utilisés pour identifier les cultures transgéniques en vue de l’étiquetage des OGM par les marchés sensibles tels que l’UE ne permettent pas de trouver les plantes génétiquement modifiées. Cependant, plusieurs scientifiques ont publié des méthodes permettant de les détecter(https://www.mdpi.com/2304-8158/9/9/1245 ). Autoriser les entreprises de biotechnologie à commercialiser des semences génétiquement modifiées sans obligation de divulgation publique fait peser d’énormes risques financiers sur les fermières qui paieront le coût lorsque les acheteurs utiliseront ces outils et trouveront des produits génétiquement modifiés non désirés. Comment notre secteur agricole pourra-t-il se redresser si nos clients exportateurs perdent confiance dans le Canada ?

Les entreprises de biotechnologie prétendent qu’en utilisant l’édition génétique, elles peuvent créer des semences dotées de nouvelles qualités étonnantes pour résoudre nos plus grands problèmes, tout en affirmant que ces semences de haute technologie ne sont pas différentes des semences que les fermières, les sélectionneurs de plantes et les communautés autochtones ont développées au cours de siècles de sélection traditionnelle. Étant donné que ces deux affirmations ne peuvent pas être vraies, les plantes et les semences génétiquement modifiées ne devraient-elles pas être divulguées publiquement, examinées par des scientifiques impartiaux et répertoriées publiquement avant d’être mises sur le marché ?

Nous avons besoin d’évaluations de sécurité obligatoires et indépendantes et de rapports obligatoires au gouvernement pour toutes les semences et tous les aliments génétiquement modifiés. L’ACIA et Agriculture et Agroalimentaire Canada ont fait confiance aux affirmations et aux promesses intéressées du lobby des biotechnologies. La ministre Bibeau doit réévaluer cette confiance mal placée et revenir sur sa décision de laisser aux entreprises de biotechnologie le champ libre sur les semences génétiquement modifiées. D’ici là, il n’est tout simplement pas possible de prétendre que les réglementations canadiennes sont indépendantes, fondées sur la science ou dans l’intérêt du public.