Region 5 | Opinion

Churchill mérite d’être sauvé

La plupart d’entre nous tiennent pour acquis que la majorité de nos routes et autoroutes sont financées par des fonds publics et construites au prix coûtant afin de servir l’intérêt général. Aucune clameur ne s’élève pour demander pourquoi ces routes ne sont pas cédées à des entreprises privées pour permettre aux barons de la route d’en tirer profit. Et pour cause ! Les récents événements survenus dans le nord du Manitoba devraient nous prouver qu’à l’instar des autoroutes, le sort de lignes ferroviaires cruciales ne devrait pas être entre les mains d’entreprises privées.

Le port de Churchill et le chemin de fer de la baie d’Hudson qui le dessert ont un réel potentiel pour bénéficier aux communautés auxquelles ils sont reliés – s’ils sont détenus et gérés par l’État pour servir l’intérêt général du Canada. Ces deux infrastructures vitales jouent un rôle important et irremplaçable dans notre économie et notre tissu social. Churchill est le seul port maritime des Prairies canadiennes. Il offre un itinéraire supplémentaire pour le transport des céréales. L’utilisation de ce corridor réduit la pression sur la côte ouest et Thunder Bay et permet d’éviter les goulets d’étranglement logistiques en cas de récoltes abondantes. Du point de vue des fermières, le port peut également contrecarrer les inefficacités causées par les sociétés céréalières verticalement intégrées qui expédient leurs produits exclusivement vers leurs propres terminaux céréaliers dans les autres ports du Canada. L’expédition de céréales par la ligne ferroviaire qui dessert Churchill réduit les coûts d’entretien des routes des Prairies au Manitoba et en Saskatchewan. Il contribue également à la viabilité économique de la ligne, en offrant aux habitants du Nord et aux touristes une porte d’accès au Nord moins coûteuse et plus respectueuse de l’environnement que le transport aérien.

Malgré tous ces avantages, l’avenir du port et du chemin de fer est incertain. Omnitrax a brusquement fermé le port de Churchill le 25 juillet 2016 et le sort de la ligne ferroviaire qui relie le port au reste du Canada est désormais en suspens. La situation actuelle est le résultat d’un dangereux effet domino déclenché par la négligence d’Omnitrax combinée à une série de faux pas de différents gouvernements. Elle remonte à la privatisation de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en 1995, à la cession de la ligne ferroviaire de la baie d’Hudson à la société américaine Omnitrax en 1997 et à la suppression de la Commission canadienne du blé à guichet unique, gérée par les fermiers, en 2011.

Afin de garantir les avantages du port pour les générations futures de Canadiens, le gouvernement fédéral devrait reprendre la propriété du port de Churchill et du chemin de fer de la Baie d’Hudson. En outre, elle doit prendre des mesures pour s’assurer que le port reste viable pour les communautés connectées à la ligne ferroviaire et les communautés agricoles qui se trouvent dans son bassin d’attraction. Les communautés du Nord, les travailleurs locaux, les entreprises et les fermiers qui dépendent de la ligne doivent participer à la prise de décision de l’entité publique qui remplacera Omnitrax en tant que propriétaire et gestionnaire de ces installations.

Comme ils le font pour les routes et les autoroutes, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent s’engager à investir à perpétuité dans les infrastructures ferroviaires et portuaires. Il ne devrait jamais y avoir de risque de vente potentielle des actifs de la ligne.

Un bassin de réception des céréales alimenté par les chemins de fer CN et CPR doit être assuré pour acheminer les céréales jusqu’à la ligne ferroviaire desservant Churchill. Les installations de stockage doivent être sécurisées et, si nécessaire, construites, afin de garantir la disponibilité des céréales pour alimenter le port pendant sa période d’activité. Le chemin de fer doit être aménagé de manière à faciliter activement le transport rapide des céréales les années où les récoltes sont abondantes. L’affectation de wagons pour desservir Churchill doit être une priorité pendant sa période d’activité.

Cependant, la simple existence des installations nécessaires ne suffit pas. La circulation des grains est essentielle à la viabilité des ports. C’est pourquoi un système de supervision de la logistique des céréales doit être mis en place pour que tous les éléments fonctionnent ensemble de manière efficace. Une agence de commercialisation ordonnée privilégiant les agriculteurs est nécessaire pour garantir un marché d’exportation solide pour les céréales traitées par Churchill, ainsi que de bons prix pour les fermières. La supervision logistique, en collaboration avec l’agence de marketing, garantirait la viabilité du port en atteignant ou en dépassant un débit annuel de 500 000 tonnes. En bref, nous devons reproduire la fonction du guichet unique de la Commission canadienne du blé afin de garantir la viabilité du chemin de fer et du port en assurant un flux constant et fiable de céréales dans le port. Les assurances données par les négociants en grains privés sont minces comme du papier et ne profitent pas aux fermières.

Avec le bon plan, le port de Churchill peut être une entité prospère qui soutient des milliers de personnes et des centaines d’entreprises, tout en apportant de la vitalité à notre Nord. Les gouvernements doivent veiller à ce que la ligne ferroviaire et le port de Churchill appartiennent à la population et ne soient plus jamais vendus ou cédés.

Churchill est notre port des Prairies et du Nord canadien. Nous sommes tous des Churchill.