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2021 Gagnant (22 – 30)

Meara Kirwin (they/them) est une nouvelle fermiere de 25 ans et une organisatrice expérimentée vivant à Amiskwacîwâskahikan (Edmonton). Ils sont honorés de recevoir ce prix et le partageront avec le Wet’suwet’en Land Defenders Legal Fund.

Voici le texte gagnant de Meara :

Beaucoup de choses se sont passées cette saison pendant que les jeunes fermiers avaient la tête baissée et les mains dans la terre. Chaque fois que nous avons eu l’occasion de lever les yeux de notre travail, nous avons été confrontés à un barrage de réalités politiques, sociales et écologiques difficiles. L’une des plus urgentes a été la vérité désormais inévitable du génocide indigène au Canada et la reconnaissance du fait que nous avons tous un rôle à jouer dans la réparation de ces torts persistants. Alors que nous entrons dans l’hiver et que de nombreux agriculteurs disposent de plus de temps pour se reposer, réfléchir et planifier, nous pourrions enfin avoir le temps de nous pencher sur ce que cette réalité signifie pour nous, en tant que jeunes fermières et fermiers. Peut-être plus directement, cela signifie que nous devons nous engager dans le mouvement pour la souveraineté alimentaire des autochtones au Canada et à l’étranger. En tant que jeune fermiere, nouvellement installée sur ces terres, je ne prétends pas connaître la voie à suivre. Cependant, mes années d’organisation communautaire m’ont appris que les premières étapes sont simples : nous devons établir de véritables relations entre nous et nous brancher sur notre pouvoir collectif.

Qu’est-ce que la souveraineté alimentaire ? Le concept est issu des mouvements de paysans indigènes et sans terre, qui luttent contre la dépossession des terres et l’intégration forcée dans des économies alimentaires mondiales exploitées et non durables. La souveraineté alimentaire est une demande de systèmes alimentaires gérés par la communauté qui relient la terre, les producteurs et les consommateurs dans des relations durables et significatives. Elle ne peut être dissociée de la lutte anticoloniale, car la souveraineté alimentaire exige la souveraineté foncière, qui à son tour exige la souveraineté politique vis-à-vis des autres nations et de leurs entreprises. Dans le contexte canadien, cela signifie restituer aux nations autochtones des terres saines et arables, ainsi que le droit de décider de la manière de les utiliser et d’en prendre soin.

L’injustice du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) au Canada est également fondamentalement liée aux attaques coloniales contre la souveraineté alimentaire. Alors que les entreprises de pays puissants comme le Canada et les États-Unis achètent des terres dans le Sud, que ce soit pour l’exploitation minière, l’agriculture ou d’autres industries, les fermières autochtones et paysannes perdent leurs moyens de subsistance et les consommateurs n’ont plus accès à des aliments abordables et nourrissants. Dans un contexte de grande précarité et d’insécurité alimentaire, beaucoup sont contraints d’envisager de rejoindre le dangereux programme SAWP pour joindre les deux bouts. Il est essentiel que nous nous battions pour que les travailleurs migrants aient le même accès à des conditions de travail et de vie sûres que les citoyens canadiens, et pour dénoncer l’absence de souveraineté alimentaire qui est à l’origine du programme lui-même.

La lutte pour la souveraineté alimentaire des indigènes n’est pas seulement une question de justice. La souveraineté des peuples autochtones sur les terres et les eaux a été reconnue au niveau mondial comme un élément essentiel de l’atténuation des effets du changement climatique. Nous avons tous des choses à apprendre des connaissances et des systèmes agricoles des autres, et nous bénéficions tous d’une sécurité alimentaire collective. Nous sommes tous concernés par ce combat.

Alors, pour les jeunes fermières et fermiers qui ne travaillent pas encore à la souveraineté alimentaire, comment commencer ? Les mouvements de changement réussis commencent par la rencontre de personnes qui partagent leurs expériences, leurs ressources et leurs luttes, et qui déterminent ensemble la direction à prendre. Les jeunes fermiers sont très divers : ils font partie de familles d’agriculteurs, ils héritent de terres familiales et ils sont des ouvriers agricoles sans terre de première, deuxième et cinquième année. Ils sont diplômés d’un programme agricole et cherchent à créer leur propre entreprise. Il s’agit de travailleurs migrants munis de visas précaires et de personnes incarcérées qui travaillent pour un salaire inférieur au salaire minimum dans des prisons agricoles. Il s’agit de jeunes autochtones qui reconstruisent des systèmes alimentaires durables pour nos communautés et d’immigrants ayant une expérience de l’agriculture et souhaitant poursuivre leur carrière au Canada. Établir des liens au-delà des différences demande une attention délibérée, mais pas autant de travail que nous pourrions le penser. Il peut s’agir de rejoindre une communauté en ligne, de contacter d’autres exploitations agricoles pour s’entraider dans le cadre de projets hors saison, de se retrouver sur les médias sociaux ou par l’intermédiaire d’organisations communautaires préexistantes.

Ce sont nos relations qui nous guideront vers l’avenir. Que nous choisissions ensuite de nous organiser sous la bannière de l’UNF, d’autres associations agricoles ou de groupes d’activistes de base, nous disposerons de la communauté et des connaissances collectives nécessaires pour continuer. Les fermières sont, par nécessité, particulièrement douées pour gérer l’incertitude et s’appuyer les unes sur les autres. Je suis extrêmement reconnaissante de faire partie d’une telle communauté – ces compétences seront notre force dans le combat turbulent qui nous attend.