Le mémoire suivant a été soumis au Comité du commerce international de la Chambre des communes pour appuyer la présentation de l’ancien président de l’UNF, Jan Slomp, devant le Comité le 9 mars 2003. Regardez la vidéo de la présentation de Jan Slomp ici.
La Nationale des Fermiers (UNF) a le plaisir de vous faire part de son point de vue et de ses recommandations en ce qui concerne
le projet de loi C-282,
Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
afin de s’assurer que les futurs accords commerciaux ne comprennent pas de changements aux contingents tarifaires (CT) ou aux tarifs sur les quantités qui dépassent les CT, ce qui entraînerait d’autres pertes de marchés canadiens pour nos secteurs soumis à la gestion de l’offre. L’UNF soutient ce projet de loi et recommande qu’il soit adopté sans amendement.
La gestion de l’offre est une institution canadienne unique qui assure la stabilité de cinq secteurs de denrées périssables – produits laitiers, poulets de chair, poules pondeuses, dindes et œufs d’incubation – en contrôlant les quantités produites, en évitant les pénuries et en empêchant les importations d’inonder notre marché. Les consommateurs canadiens disposent ainsi d’un approvisionnement fiable en lait, poulet, œufs et dinde sains. La prévisibilité permet aux entreprises de transformation de fonctionner à pleine capacité tout au long de l’année, ce qui favorise la création d’emplois et évite les coûts liés à l’immobilisation d’installations, fréquents dans d’autres juridictions. Les prix à la production tiennent compte du coût réel de la production grâce à un calcul transparent et fondé sur des données probantes. Le Canada ne connaît pas d’importantes fluctuations de l’offre et des prix, et notre système ne nécessite pas les subventions publiques massives que d’autres pays doivent verser pour soutenir les revenus des fermières dans ces secteurs.
Les trois piliers de la gestion de l’offre
Le système de gestion de l’offre repose sur trois piliers qui doivent tous fonctionner ensemble :
- Discipline de production – garantit que les fermières ne produisent ni plus ni moins que ce dont le marché a besoin ;
- La tarification au coût de production – garantit que les fermières reçoivent un revenu équitable ; et
- Contrôle des importations – assurer un approvisionnement prévisible et adéquat.
Le projet de loi C-282 est dans l’intérêt national parce qu’il soutient la fonction positive continue de la gestion de l’offre dans l’économie canadienne en empêchant l’érosion ou l’effondrement du troisième pilier – les contrôles à l’importation.
Le contrôle des importations se fait au moyen de « contingents tarifaires » (CT) qui autorisent un volume limité d’importations au Canada à des taux tarifaires faibles ou nuls, mais au-delà du seuil du CT, des droits de douane très élevés sont appliqués, ce qui rend toute nouvelle importation non rentable. Le projet de loi C-282 empêcherait que nos contingents tarifaires et nos droits de douane supérieurs aux contingents tarifaires soient affaiblis ou carrément sacrifiés.
La gestion de l’offre assure la résilience et la sécurité
La gestion de l’offre offre aux fermières des moyens de subsistance décents et prévisibles, leur permettant d’investir dans des technologies respectueuses de l’environnement, d’utiliser des pratiques de gestion durables et d’employer des travailleurs locaux à des salaires décents. Chaque province dispose de ses propres installations de transformation pour les produits soumis à la gestion de l’offre, ce qui réduit la quantité de transport (et les gaz à effet de serre qui y sont associés) nécessaire pour fournir ces aliments aux consommateurs dans tout le pays. Les installations de traitement sont rentables et efficaces, avec une utilisation élevée des capacités tout au long de l’année grâce aux incitations anticycliques de nos systèmes qui éliminent la nécessité d’une capacité excédentaire d’augmentation et de stockage.
Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, nos secteurs soumis à la gestion de l’offre ont fait preuve de résilience en réagissant à la crise mieux que leurs homologues dans les pays et les secteurs, ce qui a permis de réduire le gaspillage alimentaire et de répartir équitablement la charge. La gestion de l’offre garantit que les besoins du Canada sont satisfaits au niveau national, en éliminant les risques liés à la chaîne d’approvisionnement résultant de la fermeture des frontières ou de perturbations dues à des problèmes ou à des liaisons de transport avec d’autres pays.
Les prises de bénéfices excessives du secteur de la distribution au Canada font la une des nouvelles, et le terme « greedflation » est désormais largement compris. Contrairement aux bénéfices réalisés par les cinq entreprises qui dominent le marché de l’alimentation au Canada, les prix du coût de production payés à la ferme pour les produits soumis à la gestion de l’offre au Canada sont basés sur les augmentations réelles des coûts, font l’objet d’un examen approfondi et diminuent en fait dès que les coûts des intrants sont plus bas. Il est important de rappeler que la gestion de l’offre ne régule pas les prix des produits de détail.
La grippe aviaire a fait des ravages en Europe et en Amérique du Nord. Notre système de gestion de l’offre a rendu les volailles canadiennes moins vulnérables à cette grave maladie aviaire. La gestion de l’offre empêche une concentration excessive de la production, réduisant ainsi l’impact des épidémies. La fixation du prix en fonction du coût de production permet aux fermières d’investir dans des mesures préventives, protégeant ainsi davantage notre système alimentaire.
Lorsqu’une « rivière atmosphérique » liée au changement climatique a provoqué des inondations massives dans les basses terres fertiles de la Colombie-Britannique en novembre 2021, les opérations de gestion de l’offre ont été massivement perturbées. Toutefois, grâce à un système de gestion de l’offre bien organisé et coordonné, l’approvisionnement des consommateurs en produits laitiers, en poulets et en œufs n’a pas été perturbé. Les producteurs et les transformateurs de l’Alberta ont été en mesure d’intervenir et de fournir ce qui était nécessaire. Nous savons que le changement climatique s’aggrave. Le maintien de la gestion de l’offre permettra aux Canadiens de bénéficier de la résilience et de la sécurité alimentaire dont ils auront besoin lors de futures catastrophes.
Nécessité du projet de loi C-282
Le projet de loi C-282 est nécessaire à la lumière des résultats de l’Accord économique commercial global avec l’Europe (AECG), du Partenariat transpacifique (PTPP) et de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEM). Chacune d’entre elles a supprimé une part importante des marchés soumis à la gestion de l’offre au Canada, mais n’a pas réussi à offrir de nouveaux marchés aux producteurs de viande bovine et porcine.
En plus des contingents tarifaires disponibles dans le cadre de l’accord de l’OMC, les négociateurs de l’AECG ont accordé un accès supplémentaire à 17 500 tonnes de fromage européen sur le marché canadien, déplaçant ainsi 185 000 tonnes de production laitière du Canada vers l’Europe. Les négociateurs du CPTPP ont cédé aux 11 pays concernés l’accès à plus de 3,25 % de notre marché intérieur dans les secteurs des produits laitiers, de la volaille et des œufs soumis à la gestion de l’offre. Après le départ des États-Unis du CPTPP, le Canada a conclu un accord pratiquement identique avec les dix pays restants. Dans le cadre de l’ACEUM, les négociateurs canadiens ont accordé aux États-Unis une part supplémentaire qui représente plus de 3,25 % de notre marché.
Le Canada est actuellement engagé dans des négociations d’accords commerciaux avec le Royaume-Uni à la suite du Brexit, ainsi qu’avec l’Inde, l’Indonésie, les pays de l’ANASE (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Viêt Nam) et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela). Des accords sont également en cours de négociation avec de nombreux petits pays et blocs commerciaux. Le Royaume-Uni et l’Argentine sont des pays exportateurs de produits laitiers. Le Brésil est le premier exportateur mondial de poulets de chair. Le Royaume-Uni est l’un des dix plus grands exportateurs de dinde. Il est probable que ces pays chercheront à accéder à nos marchés gérés par l’offre.
Si les négociateurs canadiens continuent à offrir l’accès à nos marchés sous gestion de l’offre comme monnaie d’échange, nous perdrons le pilier essentiel du « contrôle des importations » et notre système de gestion de l’offre tombera.
Dommages à ce jour
La gestion de l’offre a déjà subi des dommages avec l’AECG, le CPTPP et l’ACEUM. Au cours des cinq premières années de l’accord CPTPP, les autres pays ont obtenu un accès en franchise de droits à 3,25 % du marché laitier actuel du Canada, à 2,3 % du marché des œufs, à 2,1 % du marché du poulet, à 2 % du marché de la dinde et à 1,5 % du marché des œufs d’incubation de poulets de chair. Les années suivantes, l’accès en franchise de droits à ces marchés augmente. Dans le cadre de l’ACEUM, la part de marché des États-Unis augmente pour chaque contingent tarifaire chaque année pendant les 19 années de la durée de l’accord, à l’exception du lactosérum, qui deviendra entièrement exempt de droits de douane au cours de la dixième année de l’ACEUM. En outre, l' »examen conjoint » de l’ACEUM au cours de la sixième année ouvre la porte à d’éventuelles modifications de ses conditions au cours de chaque année suivante. Le calendrier actuel d’augmentation des contingents tarifaires pour les secteurs soumis à la gestion de l’offre pourrait être modifié et la perte de marché pourrait s’accélérer.
Les concessions de marché sont définies par des contingents tarifaires distincts pour les différents produits transformés tels que le beurre, le lait écrémé en poudre, la crème glacée, etc. La fermiere, elle, vend un produit entier aux transformateurs – poulets de chair, oeufs, dindes ou lait. La capacité des transformateurs à séparer le lait, les volailles et les œufs en composants de prix différents signifie que lorsque certains produits importés gagnent des parts de marché au Canada, la formule de fixation des prix en fonction du coût de production subit une pression à la baisse, ce qui a un impact négatif sur les familles d’agriculteurs d’un océan à l’autre.
Fallacies
Les fermiers des différents secteurs sont souvent présentés comme des concurrents pour les concessions ou les parts de marché. L’idée d’un jeu à somme nulle est promue. En fait, ces prétendus compromis sont faux. Cela est clairement démontré avec l’AECG cinq ans après que des concessions majeures sur le marché de la gestion de l’offre ont été faites, ostensiblement pour ouvrir les marchés du bœuf et du porc.
Pourtant, voici les faits :
- La production canadienne de fromage a cessé de croître en 2017, tandis que la consommation des Canadiens et nos importations en provenance d’Europe ont augmenté.
- Entre 2016 et 2021, la population du Canada a augmenté de 3 millions de personnes, mais le nombre de nos vaches laitières n’a pas augmenté, les coûts ont augmenté et près de 1700 fermiers laitiers ont perdu leurs moyens de subsistance.
- Malgré l’AECG qui a fait passer l’accès en franchise de droits du Canada de 23 200 à 50 000 tonnes, en 2021, les exportations de bœuf (sans hormones) du Canada vers l’UE n’étaient que de 1 418 tonnes — alors que nous avons importé plus de 16 000 tonnes de bœuf de l’UE.
- L’AECG a ajouté 80 549 tonnes de porc au précédent contingent en franchise de droits de 7 000 tonnes dont disposait déjà le Canada dans le cadre de l’OMC. Pourtant, en 2021, le Canada n’a exporté que 568 tonnes de viande de porc vers l’UE, soit une baisse de près de 90 % par rapport aux 5 000 tonnes exportées vers l’UE en 2011.
- Lors de la négociation de l’AECG, les exportations de porc de l’UE représentaient plus du double de la production totale du Canada. Aujourd’hui, l’UE exporte deux fois et demie la production totale du Canada.
- Avant l’AECG, l’UE fournissait déjà au Canada 3 % de notre fromage (13 400 tonnes) en franchise de droits grâce à une exemption fondée sur l’OMC. À partir de 2022, l’AECG permet à l’UE de fournir 16 000 tonnes supplémentaires en franchise de droits. En 2021, le Canada a produit 592 370 tonnes de fromages de toutes sortes, tandis que l’UE a exporté 1 385 135 tonnes de fromages, dont 26 070 tonnes vers le Canada, ce qui représente une hausse significative par rapport aux 15 269 tonnes exportées en 2016.
L’abandon de parts de marché a nui aux fermiers soumis à la gestion de l’offre et n’a pas aidé nos producteurs de viande bovine et porcine.
La plupart des pays protègent et soutiennent leurs marchés laitiers intérieurs, subventionnent leurs fermières et ne participent pas aux marchés d’exportation. Les fermières laitières des pays orientés vers l’exportation, y compris les participants au TPP, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, ainsi que les États-Unis, le Royaume-Uni et plusieurs pays européens dans le cadre de l’AECG, et l’Argentine du Mercosur, souffrent de l’échec des politiques de leurs pays orientées vers l’exportation. Pour compenser des prix unitaires trop bas, les fermières augmentent leur production si elles le peuvent. Cela fait encore baisser les prix, ce qui crée un cercle vicieux. Les pertes sont nombreuses, la qualité en pâtit, les pratiques en matière de gestion de l’environnement et de bien-être animal sont réduites, car les fermières cherchent à réduire les coûts pour payer leurs factures et leurs communautés se dégradent.
Les Canadiens soutiennent la gestion de l’offre
Chaque dollar dépensé pour des produits importés à la suite de concessions accordées dans le cadre d’accords commerciaux est un dollar qui n’est pas disponible pour assurer un revenu à un fermier canadien ou soutenir un emploi dans une usine de transformation canadienne. Elle ne contribue pas à la recherche agricole au Canada. Il n’est pas multiplié dans les communautés locales où les fermiers et les travailleurs des usines dépensent leurs revenus. Il ne génère pas d’activité économique dans les communautés rurales et ne favorise pas leur prospérité. Le fait de retirer des parts de marché à nos secteurs soumis à la gestion de l’offre signifie que les jeunes qui aspirent à devenir fermiers dans les secteurs du lait, des œufs, du poulet ou de la dinde ne sont pas indemnisés, mais que leur avenir est compromis, et que le Canada risque de perdre sa prochaine génération de fermiers dans ces secteurs.
La gestion de l’offre s’appuie sur ses trois piliers pour fonctionner, et c’est aussi un élément puissant qui soutient la viabilité économique, la santé environnementale et le tissu social du Canada. C’est une bonne politique.
Les négociations d’accords commerciaux se déroulent à huis clos. Il est donc essentiel que les règles de base visant à préserver notre système de gestion de l’offre soient fixées dès à présent par nos représentants élus, qui votent ouvertement au Parlement. L’UNF recommande donc que le projet de loi C-282 soit adopté sans amendement, car il s’agit d’une question d’intérêt national.
Tout ceci est respectueusement soumis par
L’Union Nationale des Fermiers
9 mars 2023
La Nationale des Fermiers est une organisation agricole nationale, non partisane, à adhésion directe et volontaire, composée de milliers de personnes qui pratiquent l’agriculture dans tout le Canada. Fondée en 1969, l’UNF défend des politiques qui favorisent la dignité, la prospérité et l’avenir durable des fermières, des travailleurs agricoles, de leurs familles et de leurs communautés.