La Nationale des Fermiers (UNF) a le plaisir de fournir des commentaires sur les propositions de décisions de réexamen spécial PSRD2018-01 et PSRD2018-02 concernant le risque pour les invertébrés aquatiques de la clothianidine et du thiaméthoxame, respectivement.
La clothianidine et le thiaméthoxame sont des insecticides néonicotinoïdes dont l’utilisation est actuellement autorisée pour le traitement des semences et/ou la pulvérisation foliaire sur de nombreuses cultures agricoles au Canada. La décision d’examen spécial proposée prévoit la suppression progressive, sur une période de cinq ans, de toutes les utilisations agricoles en plein air. La décision se fonde sur l’examen des preuves scientifiques actuelles montrant que ces insecticides ont des effets inacceptables sur les invertébrés aquatiques et la faune (y compris les oiseaux) qui dépendent des écosystèmes aquatiques. L’ARLA a également déterminé qu’il n’est pas possible de mettre en place des mesures d’atténuation qui permettraient d’utiliser ces insecticides dans certaines circonstances.
La durée de la période de retrait progressif est basée sur la directive réglementaire DIR2018-01, Politique relative aux annulations et modifications à la suite d’une réévaluation et d’un examen spécial. Une période d’élimination progressive de trois ans est la norme, permettant aux entreprises de réduire leur production pendant un an, aux détaillants d’écouler leurs stocks l’année suivante, et aux personnes qui l’appliquent d’épuiser leurs stocks la dernière année. Le ministre de la santé peut prolonger la période d’élimination progressive « s’il n’existe pas de solution de remplacement appropriée à l’utilisation du pesticide, pour autant que les risques pour la santé humaine et l’environnement, ainsi que la valeur du produit, soient jugés acceptables jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la modification ou de l’annulation », ou elle peut être raccourcie « lorsque les risques préoccupants sont jugés imminents et graves ». (accentuation ajoutée)
L’UNF soutient l’élimination progressive de la clothianidine et du thiaméthoxame, mais selon un calendrier plus rapide. Au cours de la période de retrait progressif, les restrictions d’utilisation de la clothianidine et du thiaméthoxame devraient être renforcées. L’utilisation prophylactique (traitement de routine des semences ou pulvérisation indépendamment du degré de pression exercée par les ravageurs) ne devrait plus être autorisée, et il incombe à l’utilisateur d’en prouver la nécessité avant l’achat. Les semences exemptes d’enrobage à base de néonicotinoïdes doivent être immédiatement disponibles pour toutes les cultures à des prix égaux ou inférieurs à ceux des semences traitées.
Depuis le début de la période de consultation publique, une étude importante a été publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Elle met en évidence les effets plus importants que prévus du changement climatique sur la vie des insectes (voir
Le déclin de l’abondance des arthropodes induit par le climat restructure le réseau alimentaire d’une forêt pluviale
par Bradford C. Lister et Andres Garcia). Les auteurs résument leurs conclusions comme suit :
Les arthropodes, invertébrés dont les insectes dotés d’un squelette externe, sont en déclin à un rythme alarmant. Bien que les tropiques abritent la majorité des espèces d’arthropodes, on sait peu de choses sur l’évolution de leur abondance. Nous avons comparé la biomasse d’arthropodes dans la forêt pluviale de Luquillo, à Porto Rico, avec des données prises dans les années 1970 et nous avons constaté que la biomasse avait chuté de 10 à 60 fois. Nos analyses ont révélé des déclins synchrones chez les lézards, les grenouilles et les oiseaux qui mangent des arthropodes. Au cours des 30 dernières années, la température des forêts a augmenté de 2,0 °C, et notre étude indique que le réchauffement climatique est la force motrice de l’effondrement du réseau alimentaire de la forêt. Si les recherches se poursuivent, l’impact du changement climatique sur les écosystèmes tropicaux pourrait être beaucoup plus important que ce que l’on prévoit actuellement. (soulignement ajouté)
Certains diront qu’une étude tropicale n’est pas pertinente pour le Canada, mais de nombreux oiseaux migrateurs touchés par la dégradation de l’habitat aquatique au Canada hivernent également sous les tropiques.
D’autres études récentes ont montré des réductions drastiques des populations d’insectes dans les zones tempérées. Par exemple, en 2017, la revue scientifique PLoS ONE a publié une étude à long terme menée dans des zones sauvages protégées en Allemagne. Dans le résumé de l’article, les auteurs déclarent :
Notre analyse estime que la biomasse des insectes volants a diminué de 76 % en saison et de 82 % au milieu de l’été au cours des 27 années de l’étude. Nous montrons que ce déclin est apparent quel que soit le type d’habitat, alors que les changements météorologiques, l’utilisation des terres et les caractéristiques de l’habitat ne peuvent pas expliquer ce déclin global. Cette perte de biomasse d’insectes, encore méconnue, doit être prise en compte dans l’évaluation du déclin de l’abondance des espèces qui dépendent des insectes comme source de nourriture, et du fonctionnement des écosystèmes dans le paysage européen.
Nous demandons instamment à l’ARLA de prendre en compte le risque d’effets synergiques catastrophiques sur les écosystèmes lorsque l’utilisation non durable d’insecticides néonicotinoïdes est associée à des pertes croissantes de populations d’insectes dues au stress climatique et à d’autres facteurs inconnus.
Les dommages déjà documentés causés aux écosystèmes aquatiques et déjà examinés par l’ARLA justifient une action décisive. La publication de nouvelles recherches scientifiques montrant la vulnérabilité des populations d’insectes dans le monde entier justifie une élimination accélérée de la clothianidine et du thiaméthoxame au Canada.
L’UNF préconise l’abandon progressif, en un an, de la clothianidine et du thiaméthoxame sur les cultures céréalières, car leurs effets négatifs sur l’écosystème l’emportent sur leur contribution négligeable à la lutte contre les ravageurs.
La clothianidine et/ou le thiaméthoxame sont autorisés sur les céréales pour lutter contre le ver fil de fer, le hanneton européen et/ou le puceron. Le ministère de l’agriculture de l’Alberta note que « les néonicotinoïdes sont également totalement inefficaces sur les larves néonates ». Par conséquent, les infestations de taupin semblent être en augmentation dans l’ouest du Canada ». Les pratiques agronomiques telles que l’augmentation de la densité de semis, l’amélioration des pratiques de semis, la rotation des cultures et les cultures intercalaires sont recommandées pour gérer les problèmes liés au ver fil de fer. Le hanneton européen est un ver qui affecte les pelouses et les gazons, mais n’est pas un ravageur important des cultures céréalières. Les infestations de pucerons sur les céréales ont tendance à être sporadiques et peuvent être maintenues en dessous d’un seuil économique par des ennemis naturels tels que les coccinelles et les guêpes parasites. Le traitement des semences de néonicotinoïdes sur les cultures céréalières présente peu d’avantages, voire aucun, et il n’est donc pas nécessaire de prévoir une période d’élimination progressive.
Pour toutes les autres cultures, il convient d’adopter le calendrier de suppression progressive sur trois ans. Une élimination progressive sur cinq ans ne doit être envisagée que s’il n’existe pas d’alternatives appropriées à l’utilisation du pesticide et que si les risques pour la santé humaine et l’environnement sont jugés acceptables. Comme l’a conclu l’ARLA, et comme l’amplifient les études citées ci-dessus, les risques environnementaux liés à l’utilisation continue de la clothianidine et du thiaméthoxame sont inacceptables. L’UNF affirme qu’il existe déjà des alternatives appropriées, qui peuvent être améliorées et plus largement adoptées avec un soutien public et une éducation appropriés.
Dans le cadre de l’application de la loi sur les produits antiparasitaires, l’objectif premier du ministre de la santé est de prévenir les risques inacceptables pour les personnes et l’environnement liés à l’utilisation des produits antiparasitaires. Lorsqu’elle examine les « solutions de remplacement appropriées à l’utilisation du pesticide » supprimé à la suite d’un examen spécial, l’ARLA doit aller au-delà du concept de produits chimiques de remplacement. Si un nouvel insecticide synthétique remplace les néonicotinoïdes, il aura lui aussi des effets négatifs sur les écosystèmes et exercera une pression de sélection sur les espèces de ravageurs pour qu’elles développent une résistance. L’UNF demande instamment à Santé Canada de reconnaître et de promouvoir les alternatives agronomiques à l’utilisation de pesticides chimiques et de soutenir la recherche agricole, l’éducation et les mesures de politique publique visant à réduire l’utilisation des pesticides dans l’agriculture canadienne.
Parmi les alternatives aux néonicotinoïdes qui peuvent être développées et étendues, on peut citer
Sélection végétale publique
- Les sélectionneurs d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ont mis au point une variété de canola dont les poils des feuilles empêchent les altises de s’alimenter.
- Le blé tolérant à la cécidomyie du blé est une réussite importante de la sélection publique. Il comprend un refuge de plantes sensibles dans la culture qui garantit que les insectes ne développent pas de stratégies pour surmonter les traits de tolérance.
- La sélection d’une teneur réduite en glucosinolates dans le canola rendrait la culture moins attrayante pour les altises. La teneur en glucosinolates augmente avec l’utilisation d’engrais azotés et soufrés, de sorte que la sélection en vue d’une production à faible consommation d’intrants serait doublement gagnante : elle réduirait la pression des ravageurs et les émissions de gaz à effet de serre liées à la production.
Méthodes de production agroécologiques
- Lorsque le maillon faible du cycle de vie de l’insecte ravageur est compris, les fermières peuvent gérer les méthodes de production de manière à limiter sa capacité à endommager les cultures.
- Les bandes biodiversifiées plantées en bordure des champs attirent les ravageurs loin des cultures et abritent des prédateurs naturels.
- Mélanger les cultures (cultures intercalaires, cultures de couverture) afin d’offrir une plus grande diversité d’habitats au sein des agroécosystèmes, en évitant que les monocultures ne constituent un « banquet » pour les ravageurs et en encourageant les prédateurs naturels.
Contrôles biologiques
- Stratégies visant à encourager les populations de prédateurs naturels et/ou de maladies des insectes nuisibles lorsque des infestations sont attendues
Augmentation des taux de semis
- Compensez les pertes de semis en augmentant la densité de semis.
Rotations de cultures plus complexes
- Éviter les rotations courtes où la même culture est cultivée année après année ou les rotations de deux ans permet de réduire les populations de ravageurs.
- Les rotations de cultures plus complexes nécessitent des efforts de commercialisation afin de garantir que les systèmes de culture biologiquement précieux soient soutenus par des ventes qui assurent des revenus équitables aux fermières.
Les entreprises qui vendent la clothianidine sont Bayer et Sumitomo ; Syngenta est la seule entreprise qui vend le thiaméthoxame. Ces trois entreprises sont de puissantes multinationales dont le siège se trouve à l’étranger. En 1962, Rachel Carsen a publié Printemps silencieux, mettant en garde contre les effets dévastateurs des pesticides sur la nature, mais aussi contre les dommages causés aux démocraties lorsque des entreprises riches et intéressées ont trop d’influence sur les décisions des gouvernements. Ses conseils sont toujours d’actualité.
L’UNF apprécie le dévouement de l’ARLA et la quantité de travail sans précédent réalisée par le personnel qui effectue des recherches indépendantes et examine la littérature scientifique évaluée par les pairs. Nous félicitons l’ARLA d’avoir résisté à la pression d’intérêts particuliers. Nous attendons avec impatience une décision finale qui protégera la santé des écosystèmes aquatiques du Canada et garantira que les générations futures de familles agricoles canadiennes seront en mesure de produire la nourriture dont nous avons besoin et de profiter du plaisir d’une journée d’été bruyante du bourdonnement de nombreux insectes et du chant des oiseaux.
Tout ceci est respectueusement soumis par
L’Union Nationale des Fermiers