Policy

Priorités pour le prochain cadre de politique agricole

La Nationale des Fermiers a envoyé la lettre suivante à chaque ministre fédéral et provincial de l’agriculture dans la perspective de leur conférence annuelle, qui se tiendra virtuellement en juillet. Lors de cette réunion, ils élaboreront l’ensemble des priorités, des principes et des critères de mesure qui guideront le successeur des programmes de partenariat agricole canadien, appelé le prochain cadre stratégique pour l’agriculture. Plus tard dans le processus, des programmes détaillés, y compris des programmes de gestion des risques d’entreprise, seront élaborés.

Monsieur le Ministre

RE : Priorités pour le prochain cadre de politique agricole

Alors que vous vous préparez à la prochaine conférence des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de l’agriculture, la Nationale des Fermiers souhaite apporter sa contribution à votre discussion sur les priorités du prochain Cadre stratégique pour l’agriculture.

La Nationale des Fermiers (UNF) est une organisation agricole nationale non partisane, à adhésion directe et volontaire, composée de milliers de familles de fermiers de tout le Canada qui produisent une grande variété de denrées alimentaires, notamment des céréales, du bétail, des fruits et des légumes. Fondée en 1969, l’UNF défend des politiques qui favorisent la dignité, la prospérité et l’avenir durable des fermières, des familles agricoles et de leurs communautés. Notre structure de gouvernance a toujours compté des femmes et des jeunes parmi ses dirigeants. L’UNF est un chef de file dans la défense des intérêts des exploitations agricoles familiales du Canada, dans l’analyse de la crise du revenu agricole et dans la proposition de solutions abordables, équilibrées et novatrices qui profitent à tous les citoyens. Les positions politiques de l’UNF sont élaborées dans le cadre d’un processus démocratique de discussion et de débat par les membres lors des conventions régionales et nationales.

Nous promouvons la souveraineté alimentaire, qui est une approche holistique plaçant l’homme, l’alimentation et la nature au centre de la politique, et qui fait du contrôle démocratique du système alimentaire sa priorité. La souveraineté alimentaire consiste à donner aux fermiers et aux consommateurs les moyens de définir leurs propres systèmes de production d’aliments sains et culturellement adaptés à la population, grâce à des méthodes écologiquement saines et durables qui favorisent la prospérité de la communauté. Il valorise les fournisseurs de denrées alimentaires, développe les connaissances et les compétences et travaille avec la nature. De nombreuses enquêtes et sondages d’opinion indiquent que les Canadiens non agriculteurs partagent généralement ces valeurs et soutiennent les efforts visant à garantir que les fermières obtiennent des revenus équitables en produisant des aliments sains et d’autres produits agricoles dans le respect de l’environnement.

Une occasion de faire preuve d’équité et de sagesse

Le prochain cadre stratégique (NPF) est un outil politique essentiel pour façonner l’avenir de l’agriculture au Canada. Cet investissement de 3 milliards de dollars sur une période de cinq ans, combiné aux améliorations apportées à la conception du programme de gestion des risques de l’entreprise, est significatif et permet aux gouvernements, au nom de leurs citoyens et résidents, de façonner notre système alimentaire et agricole afin de produire des résultats qui répondent aux besoins et aux intérêts du public canadien. Chaque cadre politique quinquennal reflète une vision fondée sur les événements récents et les tendances à long terme. Au cours de la prochaine période, de 2023 à 2028, le Canada sera confronté à de multiples crises qui affecteront l’agriculture et où de bons programmes agricoles seront nécessaires pour faire une différence positive. Les Canadiens comptent sur vous pour utiliser les outils mis à votre disposition par le FNP afin de remédier de manière judicieuse et équitable aux faiblesses du système alimentaire mises en évidence par la pandémie, d’inverser la perte de biodiversité dans nos paysages agricoles, de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’agriculture et d’aider les agriculteurs à s’adapter à la crise climatique, de rétablir la prospérité rurale en remédiant aux inégalités massives et croissantes dans la répartition des revenus agricoles et du revenu net, et de remédier à la perte alarmante de fermiers en rendant l’agriculture à la fois possible et attrayante pour la génération à venir.

À Victoria, vous évaluerez les mérites des différentes priorités et vous déterminerez celles qui offrent les meilleurs résultats pour notre système alimentaire, nos fermières et le public canadien. Vous déciderez des indicateurs et fixerez des objectifs de réussite, ainsi que des principes directeurs pour la mise en œuvre. Nous vous encourageons, ainsi que vos collègues ministres, à utiliser les optiques du bien commun, de la durabilité et de la résilience lors de l’évaluation de chaque élément du prochain cadre politique.

Des objectifs, des stratégies et des cibles inclusifs

Dans son rapport annuel, Agriculture et Agroalimentaire Canada fixe des objectifs, des indicateurs et des cibles pour l’augmentation des exportations agricoles et pour la contribution du secteur agricole et agroalimentaire canadien à la croissance du produit intérieur brut du Canada. Il n’y a pas d’indicateurs pour les importations agroalimentaires, les impacts de sa politique sur les fermières, les terres agricoles ou le climat, ni la disponibilité pour les consommateurs des aliments produits dans les fermes canadiennes. Le manque d’attention portée à l’impact des politiques d’AAC sur les fermières, les communautés agricoles et les consommateurs canadiens peut s’expliquer par le fait qu’AAC s’appuie trop sur la Table de stratégie économique pour l’agriculture, créée par l’ancien ministre des Finances Morneau, et composée presque exclusivement de PDG de grandes entreprises actives dans l’exportation. Nous espérons qu’en consultant un plus grand nombre de parties prenantes, vous et vos collègues ministres de l’agriculture présenterez un ensemble plus complet d’objectifs, de stratégies et de cibles pour le prochain cadre politique.

Nos priorités pour le prochain cadre politique

Voici notre liste concise de priorités pour le FNP, accompagnée d’un exemple ou d’une explication pour chaque catégorie. Ces idées ne sont qu’un petit échantillon des nombreuses idées de politiques et de programmes proactifs. Nous serions heureux d’avoir d’autres conversations avec vous et votre personnel afin d’approfondir les moyens de mettre en œuvre ces priorités.

Accroître les capacités d’infrastructure pour la production, la transformation, le stockage, le transport et la distribution des produits agricoles locaux, régionaux et nationaux afin de libérer le potentiel des fermières familiales du Canada pour qu’elles puissent servir le marché intérieur canadien et conserver une plus grande part du dollar de consommation dans nos économies nationales, régionales et locales.

  • La crise des abattoirs agréés par les provinces en est un exemple. Alors que les consommateurs cherchent de plus en plus à soutenir les producteurs locaux et que les éleveurs adoptent des systèmes de pâturage respectueux du climat, l’accès aux abattoirs a diminué dans de nombreuses régions. Ce goulot d’étranglement au niveau de l’infrastructure est l’un des nombreux obstacles à la croissance de systèmes alimentaires régionaux dynamiques dans l’ensemble du Canada.

Promouvoir l’innovation menée par les fermières et le partage des connaissances afin d’accroître l’autonomie des fermières, d’assurer un mentorat et un transfert de connaissances intergénérationnel.

  • Les fermières et les fermiers savent résoudre les problèmes. Lorsque de nouveaux défis se présentent, ils les relèvent avec créativité, que ce soit en adaptant les machines, en inventant de nouveaux processus ou en appliquant les connaissances acquises tout au long de la vie. L’innovation n’est pas nécessairement synonyme de nouveaux produits et intrants, elle peut consister à soutenir un « internet des fermières » pour partager les connaissances, les compétences et les techniques.

Maintenir notre système de gestion de l’offre pour les produits laitiers, le poulet, la dinde et les œufs, et le soutenir de manière à augmenter le nombre de ses fermières et à offrir d’autres possibilités de production et de transformation.

  • En protégeant notre gestion de l’offre d’une nouvelle érosion dans le cadre des négociations commerciales, nous éviterons au Canada de payer des milliards de dollars en subventions, comme le font les pays exportateurs de produits laitiers. Le FNP peut également aider les offices de commercialisation à mieux prendre en compte les systèmes de production alternatifs et la transformation à la ferme, et à augmenter le nombre de nouveaux venus capables de participer à ces secteurs.

Aider les fermiers à atténuer les risques liés au changement climatique et à s’y adapter en fixant des objectifs de réduction des émissions de GES, en finançant de nouveaux programmes agroenvironnementaux d’envergure et en créant une Administration canadienne de la résilience agricole pour soutenir la transition vers une production à faibles émissions.

  • Aider les fermiers à comprendre leurs émissions et à élaborer des plans de réduction en les dotant d’outils tels que des plans de gestion des éléments nutritifs, des plans de santé des sols, et soutenir leur action en mettant en œuvre le plan de ferme environnemental 3.0 ainsi qu’un large éventail d’incitations à adopter des rotations améliorées, y compris des clôtures transversales et des clôtures de délimitation, des cultures de couverture, des approches à faible niveau d’intrants, des meilleures pratiques de gestion du fumier, l’électrification de l’équipement et la production d’énergie renouvelable.

Renforcer la confiance du public dans le gouvernement en veillant à ce que les investissements du FNP se traduisent par un plus grand nombre de fermiers, améliorent l’accès des jeunes agriculteurs à la terre en inversant la tendance à l’agrandissement des exploitations, et fournissent des services appréciés aux fermiers, notamment des agronomes financés par l’État et des analyses de sol gratuites.

  • Les jeunes qui aspirent à devenir agriculteurs pourraient obtenir un accès sûr à la terre sans avoir à s’endetter lourdement en participant à des systèmes fonciers alternatifs tels que les coopératives, les fiducies foncières ou les cadres de succession non familiaux soutenus par un financement du développement par l’intermédiaire du FNP.

Renforcer la confiance du public dans le système alimentaire en réglementant et en encourageant les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement qu’une proportion croissante de consommateurs réclame.

  • Une plus grande biodiversité au sein de l’exploitation, les cultures de couverture, la lutte intégrée contre les ravageurs, la conception de la permaculture sont des exemples de pratiques agricoles qui augmentent la résilience, réduisent les coûts des intrants et fournissent des services écologiques. En aidant les fermières à passer à ces méthodes, on améliorera la perception de la politique agricole par le public.

Veiller à ce que les programmes de gestion des risques de l’entreprise soient accessibles, pertinents et utiles pour les exploitations de tailles et de systèmes de production différents, et à ce que les paiements soient plafonnés afin d’éviter d’inciter les plus grandes exploitations à s’étendre et à prendre des risques excessifs.

  • Les données d’évaluation du programme démontrent que la conception actuelle des programmes de gestion des risques de l’entreprise est inéquitable, la majeure partie des paiements allant à une petite minorité d’exploitations. Les programmes de protection sociale soutenus par le contribuable ne doivent pas aggraver les inégalités et l’instabilité au sein du secteur.

Inverser le déclin du nombre d’exploitations agricoles en soutenant la transmission intergénérationnelle des exploitations, les nouveaux et jeunes fermiers et l’accès des groupes marginalisés.

  • La perte de fermiers au Canada est alarmante, en particulier dans les exploitations de taille moyenne et chez les agriculteurs d’âge moyen. Une action politique stratégique est nécessaire pour assurer la relève des fermières. Des milliers de jeunes fermières et fermiers en herbe peuvent réussir grâce à un meilleur accès à la terre, à l’équipement, à l’éducation et à la formation qui ne se traduisent pas par un endettement écrasant et un risque ingérable.

Mettre des fonds à la disposition des petites et moyennes entreprises, des organisations agricoles, des universités et des groupes d’intérêt public afin de promouvoir le soutien du public au maintien des contributions des contribuables à l’agriculture.

  • Les grandes entreprises agroalimentaires et leurs groupes de pression n’ont pas besoin d’être financés par le gouvernement.
Politiques à éviter

En plus de recommander les politiques ci-dessus, nous sommes conscients qu’il y a eu des discussions sur les idées politiques suivantes, que nous demandons instamment aux ministres d’éviter ou d’inverser :

Assurance privée

Le programme actuel de la PAC prévoit le financement d’AgriRisk pour la recherche de mécanismes d’assurance privée, en vue de remplacer éventuellement certains des outils actuels de gestion des risques de la gestion des risques de l’entreprise. Nous ne soutenons pas cette orientation et nous demandons instamment qu’elle ne soit plus prise en considération.

Les fermières travaillent avec des marges très réduites et sont soumises à de nombreux risques qui échappent à notre contrôle – du changement climatique aux fluctuations monétaires, en passant par les crises politiques sur les marchés d’exportation et les pandémies – et les fermières sont des preneuses de prix lorsqu’elles achètent des intrants et vendent des produits. Même avec la gestion la plus prudente, ces risques combinés peuvent être dévastateurs. L’assurance privée, en particulier l’assurance financée par les agriculteurs, ne protégerait pas les fermières à long terme, car l’argent nécessaire pour payer les pertes assurées devrait provenir des primes payées par les agriculteurs. L’assurance privée est conçue pour être rentable pour le fournisseur d’assurance. Ainsi, à mesure que les risques augmentent et que les remboursements deviennent plus coûteux, les primes augmentent et la couverture est réduite. L’assurance privée deviendrait inabordable pour un nombre croissant de fermiers, et en particulier pour ceux dont la capacité financière est moindre. L’assurance privée accélérerait le départ des fermiers actuels et créerait des obstacles pour les nouveaux venus. En revanche, un système de gestion des risques de l’entreprise financé par les pouvoirs publics est également une mesure de responsabilisation qui récompense les décideurs politiques pour avoir façonné un environnement économique propice à la réussite des fermières.

Certification privée

Nous vous demandons également de ne pas envisager le financement par le FNP de systèmes de certification privés qui font des allégations en matière d’environnement et/ou de santé, par exemple. Ils sont souvent promus par des sociétés multinationales, apparemment pour différencier les produits sur la base de certaines qualités. Ces programmes n’étant ni transparents, ni vérifiés par des tiers, ni réglementés par les pouvoirs publics, leurs affirmations peuvent ne pas être vraies ou significatives, et les fermières peuvent se voir refuser l’accès aux marchés ou subir des réductions de prix si elles ne participent pas à ces programmes. La certification peut nécessiter un partage envahissant des données et permettre aux négociants en matières premières de manipuler les prix à leur avantage. Le meilleur moyen de garantir un accès continu aux marchés sensibles et le soutien des consommateurs est de mettre en place un système réglementaire solide fondé sur le principe de précaution afin de préserver l’air, l’eau, la biodiversité et les terres que nous cultivons.

Mesurer le succès

AAC utilise la croissance des exportations comme principal indicateur de réussite, et les exportations ont augmenté (tout comme les importations).

Pourtant, dans le même temps, le revenu agricole net a diminué et l’endettement continue d’augmenter. Cela prouve que l’augmentation des exportations ne se traduit pas nécessairement par le bien-être des familles agricoles canadiennes.

Nous vous recommandons donc d’utiliser les indicateurs suivants pour mesurer le succès du FNP. Pour les indicateurs pour lesquels il n’existe pas de données, AAC, Statistique Canada ou d’autres organismes gouvernementaux compétents devraient être chargés de créer des protocoles et d’établir des données de référence d’ici à 2023.

  • Nombre total de fermiere (en haut)
  • Âge moyen des fermières (en bas)
  • Nombre de producteurs qui sont des femmes, des autochtones, des Noirs et des personnes de couleur (en hausse)
  • Dette agricole (en baisse)
  • Revenu agricole net réalisé (en hausse)
  • Émissions de GES provenant de la production, de l’utilisation et de l’épandage d’engrais (en baisse)
  • Carbone organique du sol (up)
  • Superficie des zones humides, prairies, brise-vent et autres habitats de la faune sauvage dans les paysages agricoles (up)
  • Pourcentage de viande de bœuf, de porc et de volaille abattue dans des installations agréées par la province (en hausse)
  • Prix à la production des produits de base (en hausse)
  • Importations de produits alimentaires de grande valeur (à l’exclusion des produits nécessitant un climat tropical ou subtropical) (en baisse)
  • Ventes de denrées alimentaires produites dans le pays (en hausse)

Nous espérons que vos prochaines délibérations aboutiront à une orientation positive pour les familles agricoles du Canada. L’UNF est favorable au dialogue et se fera un plaisir de fournir des détails supplémentaires sur toutes les priorités présentées dans cette lettre.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,

Katie Ward, Présidente

Union Nationale des Fermiers