Op Ed – La fermeture du Centre de recherche sur les céréales fait partie de l’agenda fédéral UPOV ’91
Par Glenn Tait
Le Centre de recherche sur les céréales (CRC) ferme ses portes ce mois-ci, marquant la fin de près d’un siècle de sélection végétale publique à Winnipeg. Il s’agit d’une nouvelle étape désolante sur la voie de la destruction systématique des institutions agricoles publiques du Canada par le gouvernement Harper.
La sélection végétale financée par les pouvoirs publics au CRC, ainsi que dans d’autres stations de recherche d’Agriculture Canada et dans plusieurs universités canadiennes, a produit la plupart des variétés de cultures céréalières du Canada, qui sont à la base de notre industrie céréalière, dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs milliards de dollars. Selon Industrie Canada, environ 50 % de la superficie consacrée au blé et à l’avoine au Canada est ensemencée avec des variétés mises au point par le CRC – des variétés qui représentent une valeur à la ferme de près de 2,5 milliards de dollars.
Le gouvernement fédéral ne se contente pas de fermer le CRC, il met fin à tout financement public de la sélection végétale du blé de printemps pour laisser la place aux investissements du secteur privé. Ag Canada permettra aux scientifiques de poursuivre les travaux en cours, mais ne soutiendra pas de nouvelles sélections et ne permettra pas aux travaux actuels de passer à l’étape finale de la production des variétés actuelles que les fermières peuvent acheter. L’excellente équipe du CRC chargée du blé de printemps a été dissoute, et seule une poignée de sélectionneurs de blé d’Ag Canada reste dans les stations de recherche de Brandon, Swift Current et Lethbridge.
Lors d’une réunion de 2013 de l’Association canadienne du commerce des semences, le directeur général d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), Stephen Morgan Jones, a exposé la vision du gouvernement fédéral : AAC « abandonnerait » la finition des variétés ; le matériel génétique développé par les scientifiques d’AAC serait vendu à des entreprises privées ; les règles relatives aux droits de propriété intellectuelle seraient redéfinies au profit des sélectionneurs privés ; et les règles relatives à l’enregistrement des variétés seraient réexaminées.
Pourtant, la sélection végétale publique offre un retour sur investissement très élevé. Les études menées par Richard Gray, économiste agricole à l’université de la Saskatchewan, montrent que chaque dollar investi dans la sélection céréalière rapporte au moins 20 dollars, et souvent plus. Lorsque le gouvernement fédéral investit 30 millions de dollars par an dans la sélection du blé, il crée une valeur d’au moins 600 millions de dollars qui est distribuée aux fermières sous la forme de meilleures récoltes, fournissant des revenus pour payer les salaires, les impôts et les prélèvements pour la recherche supplémentaire, tout en soutenant les entreprises liées à l’agriculture dans les communautés rurales et en aidant les transformateurs et les consommateurs qui bénéficient d’un blé de meilleure qualité.
Toutefois, lorsque des entreprises privées investissent, la plupart de ces rendements élevés vont à des actionnaires privés, dont la majorité est constituée de riches non-Canadiens. Dans le cas du canola, du soja et du maïs génétiquement modifiés, les brevets sur les gènes, l’hybridation et les contrats permettent aux entreprises de conserver la majeure partie, voire la totalité, des bénéfices en obligeant les fermières à acheter chaque année de nouvelles semences coûteuses.
Les recherches de M. Gray montrent non seulement que les investissements dans la sélection végétale sont très rentables, mais aussi que lorsque des entreprises privées de semences sont impliquées (comme c’est le cas pour le canola), elles ne réinvestissent qu’une petite partie de leurs bénéfices dans de nouveaux travaux de recherche. Les recherches menées par le Dr R. J. Graf montrent que la sélection privée est également moins efficace d’un point de vue économique – une augmentation comparable du rendement a été obtenue pour le blé avec un investissement public annuel de 25 millions de dollars, alors qu’il a fallu 80 millions de dollars privés pour la sélection du canola.
Que le gouvernement fédéral ait décidé d’introduire l’UPOV 91 par le biais du projet de loi C-18 malgré – ou à cause de – cette disparité dans la répartition des bénéfices de la sélection végétale, il garantira aux entreprises telles que Bayer, Syngenta, Monsanto et Dow une nouvelle source massive de revenus. En supprimant le financement de la sélection publique du blé de printemps, le gouvernement fédéral offre à ces entreprises une nouvelle source de profits incroyablement lucrative.
En vertu de cette nouvelle politique de financement et du régime des obtenteurs de l’UPOV 91 qui la sous-tend, les fermières canadiennes ne perdent pas seulement les futures variétés que le CRC aurait développées, mais elles paieront des prix plus élevés pour les semences et des redevances plus importantes, que ce soit à l’achat de nouvelles semences ou en tant que redevances finales sur les cultures récoltées à partir de semences conservées à la ferme. Si les modifications des règles d’enregistrement des variétés proposées en mai 2013 sont adoptées, les entreprises pourront radier les anciennes variétés qui ne leur rapportent plus de redevances, ce qui obligera les fermières à choisir entre des variétés moins nombreuses et plus coûteuses.
Lorsque le Laboratoire fédéral de recherche sur la rouille, prédécesseur du CRC, a été créé en 1925, les fermiers des Prairies se battaient pour obtenir une part équitable du gâteau face aux oligopoles que constituaient les banques, les chemins de fer et les sociétés céréalières. Aujourd’hui, dans l’ombre du désastre économique que le gouvernement conservateur a déclenché en démantelant la CCB, il ajoute l’insulte à l’injure en créant un nouvel oligopole des semences.
Glenn Tait est membre du conseil d’administration de . Il cultive des céréales et élève du bétail dans la ferme familiale située près de Meota, en Slovaquie.
Publié le 4 avril 2014