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Soumission de l’UNF sur l’irradiation de la viande de bœuf hachée

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15 août 2016

Bruno Rodrigue

Directeur, Bureau de la modernisation législative et réglementaire

Direction générale des produits de santé et des aliments, ministère de la santé

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Soumission concernant

Proposition de règlement modifiant le règlement sur les aliments et drogues (irradiation des aliments)

par la Gazette du Canada, partie I, le 9 juin 2016.

The () s’oppose à la proposition de modification du Règlement sur les aliments et drogues qui autoriserait l’utilisation de l’irradiation ionisante sur le bœuf haché frais et congelé.

La modification proposée permettrait aux transformateurs de viande bovine de soumettre le bœuf haché frais à une dose de rayonnement ionisant comprise entre 1 et 4,5 kilogrammes et le bœuf haché congelé à une dose de rayonnement ionisant comprise entre 1,5 et 7 kilogrammes. La raison d’être de cette modification réglementaire est l’affirmation selon laquelle elle offrirait une mesure supplémentaire de sécurité alimentaire. La demande de modification fait apparemment suite à l’incident survenu en 2012 chez XL Foods, où une grande quantité de viande de bœuf a été contaminée par l’E. coli 0157, ce qui a entraîné un certain nombre de maladies et le plus grand rappel de produits alimentaires au Canada.

En 1998, un groupe de pression de l’industrie de la viande avait déjà demandé à Santé Canada d’approuver l’irradiation du bœuf haché. Il est à noter que c’est l’industrie de la viande, et non les consommateurs ou les détaillants, qui l’a demandé. Cette demande a donné lieu à une proposition de réglementation en 2002 qui a échoué en raison de la forte opposition du public. Le même groupe de pression a formulé une deuxième demande similaire en 2013, qui a conduit Santé Canada à élaborer la proposition réglementaire actuelle.

L’industrie canadienne du conditionnement de la viande bovine est dominée par deux multinationales étrangères qui abattent plus de 90 % de la viande bovine inspectée par le gouvernement fédéral au Canada : JBS et Cargill, dont les sièges sociaux se trouvent respectivement à Sao Paulo, au Brésil, et à Minnetonka, dans le Minnesota. JBS a racheté XL Foods aux frères Nilsson en 2013, à la suite de l’épidémie d’E. coli survenue dans l’usine de Lakeside, en Alberta. Les équipements d’irradiation étant coûteux, on peut supposer que ces deux entreprises seraient les mieux placées pour bénéficier de la modification réglementaire proposée.

L’irradiation du bœuf haché réduit les populations de microbes pathogènes dans la viande. Les carcasses sont contaminées par des agents pathogènes tels que l’E. coli lorsque des matières fécales provenant des intestins et/ou des peaux entrent en contact avec la viande au cours de la transformation. Les partisans de l’irradiation affirment que celle-ci prolonge la durée de conservation du bœuf haché et réduit le risque (et la responsabilité potentielle) d’intoxication alimentaire chez les consommateurs exposés à de la viande non cuite.

JBS et Cargill auraient la capacité de répartir le coût d’un équipement d’irradiation coûteux sur leur volume de ventes élevé. Cela signifie qu’ils pourraient choisir d’utiliser l’irradiation pour réduire les coûts, ce qui leur permettrait de pratiquer des prix inférieurs à ceux des entreprises plus petites et d’accroître ainsi leur domination du marché en poussant ces concurrents à la faillite. Avec moins d’abattoirs et de conditionneurs, les options des fermières et des consommateurs se réduiraient, car ils seraient de plus en plus contraints de vendre/acheter à JBS et Cargill. En réduisant les choix, il est plus facile pour les deux entreprises dominantes du secteur de la viande de payer moins les producteurs de viande bovine pour leurs animaux et de facturer des prix plus élevés aux détaillants et aux consommateurs qui achètent et consomment en fin de compte la viande hachée de bœuf.

L’irradiation du bœuf haché est déjà autorisée aux États-Unis. Le niveau spécifique de rayonnements ionisants demandé par le groupe de pression qui a demandé l’amendement correspond à la réglementation américaine existante. S’il est adopté, le nouveau règlement permettra d’importer du bœuf haché irradié en provenance des États-Unis. Ces importations remplaceraient la viande de bœuf abattue et transformée dans les usines canadiennes. Les emplois liés au conditionnement de la viande au Canada seraient ainsi perdus. Les prix des bovins payés à nos fermiers seraient également tirés vers le bas pour faire face à la concurrence du bœuf américain importé moins cher. L’amendement proposé permettrait non seulement l’irradiation du bœuf haché frais et congelé, mais étant donné qu’il est identique au règlement américain correspondant, il effacerait effectivement la frontière canadienne en ce qui concerne le bœuf haché.

L’Union européenne n’autorise pas l’irradiation de la viande. Les négociateurs commerciaux canadiens mettent en avant l’accès accru au marché pour notre bœuf qui résulterait de la ratification de l’accord AECG. Si l’on peut espérer desservir ce marché, il serait logique d’investir dans des méthodes de production et de transformation qui n’utilisent pas d’hormones synthétiques ni d’antibiotiques prophylactiques, au lieu d’ajouter encore une autre technologie que le marché européen a rejetée. Le Japon est un autre marché d’exportation important qui a rejeté l’irradiation de la viande. Ainsi, l’irradiation du bœuf haché n’aiderait pas le Canada à exporter plus de bœuf, mais faciliterait l’exportation par les États-Unis d’une plus grande partie de leur bœuf sur notre marché.

Le système canadien de sécurité alimentaire repose sur l’approche HACCP (analyse des risques et maîtrise des points critiques). Elle exige des entreprises de transformation des aliments qu’elles analysent leurs procédures et identifient chaque point où un danger pourrait survenir, et qu’elles mettent en place des mesures de contrôle afin d’éviter que le danger ne soit présent lorsque le consommateur achète le produit. Si l’irradiation du bœuf haché est autorisée, nous craignons qu’elle ne soit utilisée comme dernier « point de contrôle » pour éliminer certains agents pathogènes (mais pas nécessairement tous) provenant de la contamination fécale des carcasses, qui se produit lors de la transformation de volumes importants à des vitesses élevées sans inspection adéquate des lignes. Le recours à l’irradiation pourrait être utilisé comme une « opération de nettoyage » pour compenser des conditions insalubres et des procédures inadéquates.

L’irradiation peut également susciter une fausse confiance dans la sécurité de la viande. Les toxines nocives produites par les bactéries dangereuses qui vivaient dans la viande avant l’irradiation resteraient dans la viande. En outre, une fois que la plupart ou la totalité des micro-organismes sont tués par irradiation, les agents pathogènes qui restent en vie ou qui entrent en contact avec la viande par la suite prolifèrent rapidement, car ils ne sont pas confrontés à la concurrence des micro-organismes inoffensifs qui seraient autrement présents.

De nombreux rapports, y compris le rapport du vérificateur général de 2013, ont critiqué la réduction des effectifs de première ligne chargés de l’inspection des viandes et les modifications apportées aux procédures. Le passage de l’inspection réelle des chaînes à l’audit des documents de conformité au plan HACCP des entreprises signifie que la sécurité alimentaire est devenue en grande partie une question d’autoréglementation de l’industrie. Les Canadiens sont légitimement préoccupés par la sécurité de leur viande. Nous pensons qu’il faut répondre à ces préoccupations en reconstruisant un système d’inspection des viandes robuste et indépendant, doté des fonds et des outils nécessaires pour faire respecter la propreté et empêcher la contamination du bœuf haché par des agents pathogènes.

La vitesse excessive des chaînes de production et le taux élevé de rotation des travailleurs en raison des bas salaires et des conditions de travail dangereuses contribuent aux problèmes de sécurité alimentaire liés au bœuf haché. L’irradiation ne résoudra pas ces problèmes. Si le règlement proposé entraîne une augmentation des importations de bœuf haché en provenance des États-Unis, les conditionneurs de viande canadiens seront encore plus contraints de réduire leurs coûts en augmentant la vitesse des chaînes et en réduisant les salaires, ce qui aggravera les problèmes de sécurité alimentaire qui en découlent.

Lorsqu’une réglementation sur l’irradiation du bœuf haché a été proposée en 2002, les Canadiens l’ont rejetée parce qu’il y avait trop de questions et d’inquiétudes concernant la sécurité du processus et la qualité du produit. L’irradiation peut détruire les vitamines, affecter la saveur et l’odeur, masquer le manque de fraîcheur et n’élimine pas les toxines produites par les agents pathogènes avant l’irradiation. Si l’irradiation est mieux acceptée par le public depuis 2001, le changement d’opinion ne reflète pas une plus grande confiance dans l’irradiation, mais plutôt une moins grande confiance dans un système d’inspection des viandes qui repose désormais largement sur l’autorégulation de l’industrie.

La récente controverse suscitée par la décision de la chaîne de restaurants Earl’s d’utiliser un fournisseur américain de bœuf certifié humain, élevé sans antibiotiques ni hormones ajoutées, montre qu’un groupe important de consommateurs canadiens se préoccupe de la manière dont leurs aliments sont produits, de la façon dont ils sont abattus et de leur origine. Earl’s n’a pas réussi à trouver un transformateur canadien capable de fournir à l’ensemble de la chaîne la viande de bœuf dont elle avait besoin et, après les protestations du public, elle a commencé à passer des contrats avec des fournisseurs canadiens plus petits qui peuvent fournir de la viande de bœuf à ses restaurants à l’échelon régional. D’autres fournisseurs de restauration rapide, comme la chaîne A&W, recherchent de la viande de bœuf produite sans stéroïdes ni antibiotiques ajoutés. Ils font état d’une augmentation des ventes de viande bovine en conséquence, même si la tendance sur le marché canadien de la viande bovine est à la baisse. Si l’irradiation est autorisée au Canada, ces restaurants populaires devront probablement ajouter la mention « non irradié » à leur marque de bœuf afin de conserver leur clientèle.

Le règlement proposé exigerait que le bœuf haché irradié préemballé soit étiqueté en tant que tel lors de la vente ; pour les ventes en vrac, l’étiquette devrait être placée à proximité. Cette mesure n’offre pas une transparence totale, car de nombreuses personnes qui consommeraient du bœuf haché irradié ne l’achèteraient pas directement. Les institutions telles que les programmes de repas scolaires, les établissements de soins de santé et les maisons de retraite sont considérées comme les principaux marchés du bœuf haché irradié aux États-Unis. Ces institutions s’adressent à des populations vulnérables. Si certains peuvent affirmer que l’irradiation du bœuf haché les protégerait, l’irradiation peut également susciter un faux sentiment de sécurité, comme nous l’avons vu plus haut.

Les États-Unis autorisent l’irradiation de la viande depuis 1997, mais des incidents massifs en matière de sécurité alimentaire se produisent encore. Le 3 juillet 2015, un conditionneur de viande du Colorado a rappelé 13,5 tonnes de viande de bœuf en raison d’une contamination à l’E. coli 0-157 . Le 1er novembre 2015, une usine du Nebraska a rappelé 83 tonnes de bœuf haché contaminé par l’E. coli 0-157 . Le 19 mai 2014, une usine du Michigan a rappelé 900 tonnes de bœuf haché contaminé à l ‘E. coli 0-157 . L’irradiation n’est pas une panacée en matière de sécurité alimentaire.

Le Canada a la capacité de s’assurer que son système alimentaire est en mesure de fournir du bœuf haché sûr sans irradiation. Les consommateurs se préoccupent de plus en plus de l’origine et du mode de production de leurs aliments. L’autorisation de l’irradiation du bœuf haché frais et congelé porterait atteinte à la marque canadienne aux yeux de nombreux consommateurs et permettrait d’augmenter les importations de bœuf haché en provenance d’installations américaines qui utilisent l’irradiation.

Nous demandons instamment à Santé Canada de rejeter l’amendement proposé à la Loi sur les aliments et drogues et de se concentrer plutôt sur l’amélioration du système d’inspection des viandes et sur la promotion de réglementations appropriées et efficaces qui soutiendront une stratégie de transformation alimentaire diversifiée et régionale. Ces mesures renforceraient la confiance des Canadiens dans les conditionneurs de viande, qui leur fourniraient du bœuf haché propre et sain produit par des fermières canadiennes.

Respectueusement soumis par

The