L’Union Nationale des Fermiers (UNF) a le plaisir d’aider Santé Canada en fournissant des commentaires sur la nouvelle orientation réglementaire proposée en ce qui concerne les aliments dérivés de plantes développées par une nouvelle technologie génétique (édition de gènes ou édition du génome) et en ce qui concerne l’évaluation préalable à la mise sur le marché des aliments dérivés de retransformants.
L’UNF est une organisation agricole nationale non partisane, à adhésion directe et volontaire, composée de milliers de familles d’agriculteurs de tout le Canada qui produisent une grande variété de denrées alimentaires, notamment des céréales, du bétail, des fruits et des légumes. Fondée en 1969, l’UNF milite pour des politiques économiques et sociales qui défendent le droit des peuples à produire et à consommer des aliments sains et culturellement appropriés, produits selon des méthodes écologiquement saines et durables, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. L’UNF est un chef de file dans la défense des intérêts des exploitations agricoles familiales du Canada, dans l’analyse de la crise du revenu agricole et dans la proposition de solutions abordables, équilibrées et novatrices qui profitent à tous les citoyens. Les positions politiques de l’UNF sont élaborées dans le cadre d’un processus démocratique lors des conventions régionales et nationales.
Nous avons examiné attentivement les documents de consultation et formulons les commentaires suivants.
1. Modifications proposées à la ligne directrice de Santé Canada sur l’interprétation du titre 28 de la partie B du Règlement sur les aliments et drogues (le Règlement sur les aliments nouveaux) : Quand un aliment dérivé d’une plante obtenue par sélection est-il un « aliment nouveau » ?
Résumé de la modification proposée
Santé Canada réglemente les plantes à caractères nouveaux en vertu du Règlement sur les aliments et drogues. La proposition à l’examen ne modifierait pas le règlement lui-même, mais les « orientations réglementaires » qui indiquent à Santé Canada comment interpréter le règlement.
L’approche canadienne des plantes à caractères nouveaux (VCN) en matière de réglementation de la biotechnologie est unique en ce sens que l’élément déclencheur de la réglementation n’est pas la technologie utilisée pour développer la plante, mais la nouveauté de la plante. Le titre 28 de la partie B du règlement sur les aliments et drogues définit la « nouveauté ».
nouvel aliment
moyens
(a) une substance, y compris un micro-organisme, qui n’a pas d’antécédents d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire ;
(b) une denrée alimentaire qui a été fabriquée, préparée, conservée ou emballée par un procédé qui
(i) n’a pas été appliquée précédemment à cette denrée alimentaire, et
(ii) fait subir à la denrée alimentaire un changement majeur ; et
(c) une denrée alimentaire dérivée d’une plante, d’un animal ou d’un micro-organisme qui a été génétiquement modifié de telle sorte que
(i) le végétal, l’animal ou le micro-organisme présente des caractéristiques qui n’avaient pas été observées auparavant chez ce végétal, cet animal ou ce micro-organisme,
(ii) le végétal, l’animal ou le micro-organisme ne présente plus les caractéristiques précédemment observées chez ce végétal, cet animal ou ce micro-organisme, ou
(iii) un ou plusieurs caractères du végétal, de l’animal ou du micro-organisme ne se situent plus dans la fourchette prévue pour ce végétal, cet animal ou ce micro-organisme. (
aliment nouveau
)
Les orientations réglementaires proposées modifieraient l’interprétation de la section 28 de la partie B de manière à exclure de la réglementation la plupart des produits issus de l’édition de gènes. Les orientations réglementaires proposées encourageraient les développeurs de plantes à informer volontairement Santé Canada des produits génétiquement modifiés non réglementés qu’ils prévoient de vendre.
Santé Canada a l’intention d’appliquer des orientations réglementaires similaires aux animaux et aux micro-organismes. Santé Canada précise également que ces nouveaux éléments d’orientation représentent la première phase d’un effort plus large et pluriannuel visant à moderniser les orientations pour tous les nouveaux aliments tels que définis par le règlement.
L’interprétation actuelle déclenche l’évaluation de la sécurité des plantes génétiquement modifiées par Santé Canada. Les orientations réglementaires actuelles définissent l’expression « antécédents d’utilisation sûre » comme suit :
Une substance peut être considérée comme ayant un historique d’utilisation sûre en tant que denrée alimentaire si elle fait partie intégrante du régime alimentaire depuis un certain nombre de générations au sein d’une population humaine importante et génétiquement diversifiée, où elle a été utilisée selon des modalités et à des niveaux similaires à ceux attendus ou prévus au Canada. Le fait qu’un produit ait été utilisé dans le passé conformément à la définition ci-dessus dans une juridiction dotée d’un système de sécurité alimentaire similaire augmenterait le niveau de confiance dans les preuves présentées.
Le guide énumère les types d’informations nécessaires pour étayer une allégation selon laquelle un produit a un historique d’utilisation sûre, et exige des informations et des sources de référence fiables et de grande qualité. Le promoteur doit également mettre ces informations à la disposition des consommateurs de manière cohérente.
L’édition de gènes est un outil puissant.
Les nouvelles technologies génétiques utilisées dans la sélection végétale ont pour but de créer de nouvelles variétés et permettent aux développeurs de plantes d’introduire des caractéristiques qui n’auraient pas été possibles avec les techniques de sélection traditionnelles. L’édition de gènes, également appelée édition du génome, fait référence à des techniques telles que la mutagenèse dirigée par oligonucléotide (ODM), la technologie des nucléases à doigt de zinc, CRISPR/Cas, les méganucléases, la cisgénèse, la greffe sur un porte-greffe transgénique, l’agro-infiltration, l’élevage inversé et la génomique synthétique. De nouveaux outils d’édition de gènes encore plus puissants sont également en cours de développement, tels que le Retron Library Recombineering, qui utilise des constructions génétiques bactériennes pour générer des millions de mutations simultanées.
Il est largement admis que l’édition de gènes est un outil puissant. L’abécédaire préparé par Santé Canada pour cette consultation précise que
Les développeurs de plantes ont indiqué que l’édition de gènes sera utilisée pour introduire de nouvelles caractéristiques ou modifier des caractéristiques existantes afin d’améliorer les performances agricoles, la composition nutritionnelle et/ou la préférence des consommateurs pour les plantes (Zhang et al., 2018). La manière dont les développeurs de plantes utiliseront les outils d’édition de gènes pour atteindre ces objectifs pourrait impliquer l’introduction de petites insertions ou délétions sur des sites génomiques précis, des délétions précises de segments plus importants d’ADN génomique, ainsi que des insertions de gènes entiers et de leurs éléments régulateurs d’une manière qui serait considérée comme de l’ADNr (Chen et al., 2019 ; Zhang et al., 2018). En outre, les développeurs de plantes ont indiqué que l’édition de gènes peut aider à identifier des caractéristiques utiles dans des régions du génome des plantes que les développeurs ont actuellement du mal à manipuler à l’aide de méthodes de sélection conventionnelles. Par conséquent, l’édition de gènes peut permettre d’identifier et d’améliorer de nouvelles caractéristiques au sein de l’espèce végétale auxquelles les développeurs de plantes n’avaient pas accès jusqu’à présent. (p. 12 Annexe 2 : Guide d’introduction aux technologies d’édition génétique en relation avec le cadre réglementaire de Santé Canada pour les aliments nouveaux, fondé sur les produits)
Il est clair que Santé Canada reconnaît que les plantes développées à l’aide de la technologie de l’édition génétique et les aliments qui en sont dérivés sont à la fois différents des plantes existantes et produits à l’aide du génie génétique, et qu’ils sont donc « nouveaux » au sens du règlement et des orientations actuelles.
Les orientations proposées ne modifieraient pas la définition réglementaire des nouveaux aliments, mais restreindraient l’interprétation en considérant comme « non nouveaux » les aliments dérivés de plantes ayant subi des modifications génétiques qui
- ne transforment pas une protéine en un allergène connu ou en une toxine présentant un intérêt pour la santé humaine ; ou
- n’augmentent pas les niveaux d’un allergène, d’une toxine ou d’un antinutriment déjà présent au-delà de la plage documentée ; ou
- n’ont pas d’impact sur la composition nutritionnelle clé et/ou le métabolisme ; ou
- ne modifient pas l’utilisation alimentaire de l’usine ; ou
- ne sont pas le résultat de l’insertion d’un ADN étranger.
L’interprétation restrictive du terme « nouveau » dans les orientations proposées repose sur des hypothèses plutôt que sur des preuves et permettrait aux concepteurs de produits d’éviter l’évaluation de la sécurité, même si ces nouvelles plantes génétiquement modifiées n’ont pas d’antécédents d’utilisation sûre en tant qu’aliment.
L’absence d’ADN étranger n’est pas une preuve de sécurité
Nombreux sont ceux qui prévoient que les plantes génétiquement modifiées seront produites grâce à l’utilisation d’un « éditeur » composé d’ADN étranger, afin de modifier les séquences d’ADN, puis d’éliminer l’ADN « éditeur » une fois qu’il aura apporté des changements au génome.
L’hypothèse selon laquelle la présence ou l’absence d’ADN étranger détermine la sécurité ou est un facteur déterminant de la sécurité n’est pas étayée scientifiquement.
Avec l’édition de gènes, les développeurs de plantes peuvent modifier des sites spécifiques du génome d’une plante, mais ils n’ont pas un contrôle total sur les résultats. Les cellules « lisent » les instructions de l’ADN qui leur indiquent de produire des protéines spécifiques. Les « mots » de l’ADN consistent en une série de paires de bases moléculaires disposées dans un ordre spécifique dans la molécule d’ADN en spirale. La technologie d’édition de gènes sépare les séquences existantes sur le site cible du génome et s’appuie sur le mécanisme de réparation de la cellule pour recomposer la molécule d’ADN, soit en ajoutant une nouvelle séquence, soit en supprimant une séquence existante. Le processus ne se déroule pas toujours comme prévu. L’éditeur de gènes peut également modifier d’autres parties du génome, ce qui entraîne des « effets hors cible ». Les modifications apportées au site cible peuvent également avoir des effets non intentionnels, appelés « effets sur la cible ». Le processus d’édition des gènes peut amener la cellule à réarranger son propre ADN – brouillant les « mots » génétiques et leur donnant de nouvelles significations. Elle peut entraîner l’effacement de grandes quantités d’ADN, supprimant des « paragraphes » entiers du livre, ou l’insertion de nombreuses séquences dupliquées ajoutant des « paragraphes ». Certains des outils d’édition de gènes à ADN étranger utilisés pour diriger et couper peuvent également s’incorporer de manière inattendue à l’ADN original de la plante. Un grand nombre de nos cultures vivrières importantes, telles que le blé et le maïs, sont polyploïdes, c’est-à-dire qu’elles possèdent plusieurs paires de chromosomes, ce qui accroît à la fois leur complexité génétique et le risque d’erreurs d’édition génétique.
En bref, le développeur de la plante n’a pas un contrôle total sur les actions du matériel génétique utilisé pour modifier le génome de la plante et la réponse de la plante aux modifications de son génome n’est pas entièrement prévisible. Ce qui peut sembler être de petites modifications dans la séquence des gènes peut amener la plante à « lire » son ADN d’une nouvelle manière, ce qui l’amène à produire des protéines imprévues, à activer des gènes normalement « silencieux » et à faire taire des gènes qui sont normalement exprimés. Ces protéines imprévues et l’expression ou l’inhibition inattendue de gènes peuvent affecter la sécurité alimentaire et la physiologie des plantes en général, ou lorsqu’elles sont soumises à un stress particulier.
Même lorsque le processus d’édition de gènes aboutit exactement au résultat souhaité par les développeurs de plantes, le but de l’utilisation de la technologie d’édition de gènes est de créer un nouveau génome qui n’existait pas auparavant et qui n’aurait pas pu être produit à l’aide de techniques conventionnelles d’ingénierie non génétique. Il n’y a pas de correspondance univoque entre l’ADN et les protéines ou les caractéristiques – on ignore encore beaucoup de choses sur la relation entre l’ADN et les cellules individuelles et les organismes entiers. Ainsi, un inventaire complet de la séquence du génome des plantes génétiquement modifiées ne peut pas fournir une connaissance complète de la manière dont les gènes modifiés fonctionneront dans l’organisme vivant.
Les orientations proposées contredisent le règlement
D’une part, Santé Canada comprend que l’édition de gènes est une nouvelle technologie puissante qui peut modifier les génomes des plantes de manière significative, ce qui n’est pas possible avec les méthodes traditionnelles de sélection des plantes. D’autre part, les orientations proposées supposent que les résultats de ces manipulations génétiques ne nécessitent aucune surveillance réglementaire tant qu’aucun ADN étranger n’est laissé sur place. La justification fournie par Santé Canada pour cette interprétation restreinte du terme « nouveau » est basée sur des hypothèses et des arguments, et non sur des preuves scientifiques empiriques. En tant que telles, les orientations proposées semblent donc contredire de manière inappropriée l’intention du règlement lorsque le titre 28 : Nouveaux aliments a été adopté par décret.
Les orientations réglementaires sont utilisées pour interpréter les réglementations en langage clair afin d’aider les parties réglementées à les comprendre et à s’y conformer. Dans ce cas, l’écart important entre le règlement lui-même et les orientations réglementaires proposées soulève de sérieuses questions. La formulation des orientations réglementaires proposées crée une exception au règlement en élargissant le sens du mot « nouveau » au-delà du point de rupture. Il est clair que le titre 28 de la partie B du règlement sur les aliments et les drogues définit le terme « nouveau » comme incluant toutes les plantes génétiquement modifiées qui n’ont pas d’antécédents d’utilisation sûre. Les orientations réglementaires élaborées par les fonctionnaires de Santé Canada contredisent le règlement approuvé par le Cabinet. Il est contraire à l’État de droit que la bureaucratie modifie substantiellement l’effet d’un règlement sous prétexte d’interprétation. Si elles étaient adoptées, les orientations réglementaires proposées outrepasseraient l’autorité du ministère en s’appropriant le pouvoir d’un cabinet élu. Ce dépassement pourrait également entraîner la responsabilité de Santé Canada dans le cas où un dommage surviendrait à la suite d’une décision d’utiliser les orientations réglementaires pour éviter de procéder à des examens de la sécurité des plantes issues de l’édition génétique.
Qui décide de ce qui est ou n’est pas un roman ?
Les orientations proposées laisseraient aux développeurs de plantes le soin d’évaluer si leur nouvelle variété est « nouvelle » au sens de l’interprétation étroite proposée. Le fait de considérer une nouvelle plante comme « non nouvelle » libère le développeur de la plante de l’obligation de signaler son existence à Santé Canada avant de la mettre sur le marché. La section B.28002 (1) et (2) du règlement relatif à la loi sur les denrées alimentaires et les médicaments (Food and Drug Act Regulations) exige la notification préalable à la mise sur le marché des nouveaux aliments de la manière suivante :
Notification préalable à la mise sur le marché
B.28.002 (1) Il est interdit de vendre un nouvel aliment ou d’en faire la publicité, sauf si le fabricant ou l’importateur du nouvel aliment
(a) a notifié par écrit au ministre son intention de vendre le nouvel aliment ou d’en faire la publicité, et
(b) a reçu une notification écrite du ministre en vertu de l’alinéa B.28.003(1)a) ou du paragraphe B.28.003(2).
(2) La notification visée au paragraphe (1)(a) est signée par le fabricant ou l’importateur, ou par une personne autorisée à signer au nom du fabricant ou de l’importateur, et contient les informations suivantes :
(a) le nom commun sous lequel le nouvel aliment sera vendu ;
(b) le nom et l’adresse de l’établissement principal du fabricant et, si l’adresse est située à l’étranger, le nom et l’adresse de l’établissement principal de l’importateur ;
(c) une description du nouvel aliment, accompagnée des éléments suivants
(i) les informations relatives à son développement,
(ii) les détails de la méthode de fabrication, de préparation, de conservation, de conditionnement et d’entreposage,
(iii) les détails du changement majeur, le cas échéant,
(iv) des renseignements sur l’utilisation prévue et des instructions pour sa préparation,
(v) les renseignements concernant ses antécédents d’utilisation comme aliment dans un pays autre que le Canada, s’il y a lieu
(vi) les informations permettant d’établir que le nouvel aliment est propre à la consommation ;
(d) des informations sur les niveaux estimés de consommation du nouvel aliment par les consommateurs ;
(e) le texte de toutes les étiquettes à utiliser en relation avec le nouvel aliment ; et
(f) le nom et le titre de la personne qui a signé la notification et la date de la signature.
Santé Canada propose de mettre en place une « initiative volontaire de transparence » (IVT) permettant aux entreprises d’informer Santé Canada lorsqu’elles prévoient de mettre sur le marché un produit qu’elles estiment ne pas être une nouveauté. Santé Canada examine et évalue alors une « carte postale » limitée d’informations fournies par l’entreprise. Si Santé Canada estime qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté, le produit sera répertorié dans une base de données publique de VTI. Si Santé Canada estime qu’il s’agit effectivement d’un nouveau produit, l’entreprise devra alors soumettre davantage de données à l’examen des régulateurs de Santé Canada, afin de déterminer éventuellement que le produit est « nouveau » et qu’il doit donc faire l’objet d’une évaluation de la sécurité par le gouvernement.
Du point de vue de l’entreprise, la participation à l’ITV représente un risque – il y aura des coûts supplémentaires pour mettre son produit génétiquement modifié sur le marché si Santé Canada n’est pas d’accord avec sa décision et lui demande de se conformer aux exigences de la notification préalable à la mise sur le marché. Si Santé Canada cherche à maximiser la participation des entreprises à l’ITV, il a tout intérêt à accepter l’évaluation « non novatrice » de l’entreprise. La VTI semble conçue pour échouer à la fois comme mesure de promotion de la transparence et comme mécanisme visant à empêcher les nouveaux aliments génétiquement modifiés d’échapper aux évaluations de sécurité prévues par les règlements de la loi sur les denrées alimentaires et les médicaments (Food and Drugs Act).
Obligation de réglementer dans l’intérêt public
Santé Canada est un organisme public de réglementation qui a pour mission de protéger la santé des Canadiens.
La lettre de mandat du ministre de la santé nous rappelle que les Canadiens attendent du gouvernement qu’il soit « diligent, honnête, ouvert et sincère dans ses efforts pour servir l’intérêt public » et que le ministère a « la responsabilité de s’engager de manière substantielle avec les Canadiens, la société civile et les parties prenantes, y compris les entreprises de toutes tailles, les syndicats, le secteur public au sens large et les secteurs à but non lucratif et caritatif. Vous devez être proactif et veiller à ce qu’un large éventail de voix vous conseille […] ». La lettre de mandat réitère l’engagement du gouvernement en faveur d’une « prise de décision fondée sur des données probantes, qui tienne compte de l’impact des politiques sur tous les Canadiens … ». La lettre attend du ministre qu’il « travaille en étroite collaboration avec son sous-ministre et ses hauts fonctionnaires pour veiller à ce que les travaux en cours de votre ministère soient menés de manière professionnelle et que les décisions soient prises dans l’intérêt du public ».
En tant qu’organisme public de réglementation, Santé Canada a pour mission de protéger les Canadiens contre les aliments, les produits de santé et les produits de consommation dangereux. Ses décisions concernant l’approbation de la sécurité et de la qualité des nouveaux produits doivent être prises dans le meilleur intérêt des Canadiens et s’appuyer sur des preuves scientifiques.
L’engagement avec les parties réglementées est utile pour que les régulateurs comprennent les questions techniques et d’autres aspects de leur contexte opérationnel, mais cet engagement ne doit pas aboutir à ce que notre agence publique réglemente dans l’intérêt des parties réglementées.
Des documents publiés sur le site Internet de Santé Canada indiquent qu’un groupe de travail Santé-Canada/Industrie chargé d’élaborer des orientations pour le règlement sur les aliments nouveaux, axé sur la sélection végétale, a été créé pour « contribuer à l’élaboration d’un projet d’orientations pour le règlement sur les aliments nouveaux, axé sur la sélection végétale, avant la consultation officielle ». Ses membres étaient des cadres supérieurs de Santé Canada et des représentants de CropLife Canada, du Conseil des céréales du Canada et de l’Association canadienne du commerce des semences (ACCS). CropLife et le CSTA sont des groupes de pression nationaux qui représentent les parties réglementées – les développeurs de semences qui cherchent à commercialiser des cultures génétiquement modifiées. Le Conseil des céréales du Canada compte parmi ses membres CropLife et le CSTA (aujourd’hui Seeds Canada), ainsi que des entreprises telles que Bayer, Syngenta et BASF, qui sont également membres de CropLife et du CSTA, et le vice-président de CropLife Canada siège à son conseil d’administration. Les entreprises de biotechnologie que ces associations représentent seront les principales bénéficiaires d’une orientation qui exclut les plantes génétiquement modifiées des évaluations de sécurité et de la divulgation publique. Il semble que des aspects essentiels des orientations proposées, tels que la divulgation volontaire avant la mise sur le marché et l’exclusion des modifications « au sein du patrimoine génétique » de l’évaluation de la sécurité, aient été demandés par ces groupes industriels et aient été incorporés dans les orientations réglementaires. Cela donne l’impression que les orientations réglementaires proposées ont été élaborées dans l’intérêt des parties réglementées et que l’intérêt public plus large n’a pas été dûment pris en considération.
Les orientations proposées manquent de preuves scientifiques et de transparence
Les résultats de l’édition de gènes ne peuvent être connus à l’avance. Les connaissances scientifiques augmentent constamment grâce à un processus permanent d’investigation, de vérification et de réfutation d’hypothèses, de publication de résultats et de conception de nouvelles expériences. Une approche réglementaire qui dit « nous n’avons pas besoin d’en savoir plus » avant que des produits génétiquement modifiés ne soient mis sur le marché est fondamentalement non scientifique. La création d’un mécanisme permettant de commercialiser ces produits sans les identifier comme étant issus de l’édition de gènes va à l’encontre de la transparence.
Le public canadien en général, et les fermières canadiennes en particulier, ne devraient pas être confrontés à des produits inconnus issus de l’édition génétique et dont la sécurité n’a pas été évaluée par Santé Canada.
Les fermiers canadiens savent que lorsque des cultures non approuvées sont rejetées par les marchés, ce sont eux qui en paient le prix.
Nous n’avons pas oublié le lin Triffid, une variété génétiquement modifiée non enregistrée qui a contaminé les semences de certaines variétés et qui a été découverte dans des cargaisons à destination de l’Europe. Le coût de la perte du marché, de la décontamination et des efforts de reconstruction de notre marché s’est chiffré en milliards de dollars et a été supporté par tous les fermiers de lin, que leur récolte ait été contaminée ou non.
Nous n’avons pas oublié Starlink Corn. Cette variété génétiquement modifiée contenait un allergène humain et n’était autorisée que pour l’alimentation animale et non pour la consommation humaine. Cependant, il s’est retrouvé dans l’alimentation humaine et dans des produits de consommation, ce qui a donné lieu à des rappels massifs et à des litiges. Les pertes liées à cette erreur coûteuse, mais prévisible, ont également été supportées par les fermières.
Plus récemment, les Grain Farmers of Ontario, l’Ontario Agri Business Association et Seeds Canada ont mis en garde les fermières contre plusieurs variétés de maïs génétiquement modifié vendues au Canada qui ne sont pas approuvées pour le marché européen. La responsabilité de protéger ce marché et d’éviter une nouvelle situation de lin Triffid incombe désormais aux fermiers individuels, même si ce risque aurait pu être évité en retardant l’approbation de ces variétés jusqu’à ce qu’elles soient acceptées par l’Europe, ou en avertissant au moins les fermiers de ces faits avant qu’ils n’achètent des semences. Tous les fermiers canadiens qui cultivent du maïs sont affectés par les réductions de prix qui résultent de ce risque accru de perte de marché due à la contamination.
Les orientations réglementaires proposées permettraient aux développeurs de plantes de commercialiser des variétés génétiquement modifiées auprès des fermières sans révéler qu’elles sont issues de cette technologie. Une autre situation de type Triffid ou Starlink serait pratiquement inévitable.
La norme biologique canadienne et les normes biologiques internationales, telles que définies par la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique (IFOAM), interdisent l’utilisation de la technologie d’édition de gènes dans la production biologique certifiée. Les orientations proposées, en autorisant la commercialisation non transparente de variétés génétiquement modifiées, créent un risque élevé que les fermières certifiées biologiques utilisent par inadvertance ces variétés interdites. Cela aurait des conséquences pour les fermières individuelles et pourrait avoir un impact sévère sur l’ensemble du marché biologique pour les cultures concernées à l’intérieur du Canada et sur tous les marchés d’exportation.
Le manque de transparence résultant des orientations proposées empêcherait également Santé Canada d’identifier et de rappeler tout produit génétiquement modifié dans le cas où il causerait un problème de santé involontaire et imprévu chez les consommateurs. Les orientations proposées semblent aveugler et menotter Santé Canada lorsqu’il s’agit de protéger la santé des consommateurs.
Recommandations de l’UNF :
Tous les produits génétiquement modifiés devraient être réglementés en tant que nouveaux produits et donc faire l’objet d’une évaluation de la sécurité par le gouvernement et d’une notification préalable à la mise sur le marché. Cela permettrait à Santé Canada de conserver sa capacité à réglementer les aliments dérivés de plantes génétiquement modifiées dans l’intérêt du public. Elle garantirait aux fermières l’accès aux informations dont elles ont besoin pour choisir en toute connaissance de cause les semences qu’elles achètent et les cultures qu’elles cultivent. La déclaration obligatoire avant la commercialisation réduirait le risque de rejet du marché en raison de la présence de variétés génétiquement modifiées qui ne sont pas acceptables sur les marchés sensibles, y compris le marché des produits biologiques certifiés. La notification obligatoire préalable à la mise sur le marché fournirait également à Santé Canada les informations nécessaires à la traçabilité au cas où il devrait assumer ses responsabilités si un rappel d’aliments dérivés de plantes génétiquement modifiées s’avérait nécessaire.
2. Proposition de lignes directrices de Santé Canada sur l’évaluation préalable à la mise sur le marché d’aliments dérivés de retransformants en vertu du titre 28 de la partie B du Règlement sur les aliments et drogues (Règlement sur les aliments nouveaux).
Santé Canada propose également de modifier ses orientations réglementaires concernant les plantes transgéniques et les plantes génétiquement modifiées afin de réduire les exigences réglementaires pour les plantes dont les caractéristiques et/ou les séquences d’ADN ont déjà été examinées. Santé Canada soutient qu’il est possible pour les développeurs de plantes d’apporter des modifications « identiques » à la même variété en utilisant une nouvelle technologie, ou à une variété différente en utilisant la même technologie, et même à une variété différente en utilisant une nouvelle technologie. Ces plantes « identiques » sont appelées « retransformants ».
Cette proposition d’orientation réglementaire repose sur des hypothèses et des justifications, et non sur des preuves empiriques. Elle affirme que tout effet génétique involontaire résultant de l’introduction de la même séquence génétique dans une nouvelle variété végétale, ou de l’introduction du même caractère dans une variété utilisant des outils d’édition de gènes au lieu de techniques transgéniques, sera similaire aux changements génétiques involontaires résultant de la sélection conventionnelle ou de manipulations transgéniques antérieures. Elle suggère que les sélectionneurs de plantes seraient en mesure d’éliminer les effets indésirables par le biais des pratiques de sélection des plantes. Elle confie aux développeurs de plantes la responsabilité de s’autoréguler.
Comme nous l’avons expliqué plus haut, l’édition de gènes peut entraîner un certain nombre d’effets involontaires différents qui ne seront pas découverts à moins qu’un processus intentionnel ne soit mis en place pour les rechercher. L’hypothèse selon laquelle les retransformateurs seront identiques ne peut être étayée ni scientifiquement ni logiquement. Il ne servirait à rien aux développeurs d’usines de fabriquer des produits identiques alors qu’ils pourraient facilement continuer à reproduire le produit original. La différence est ce qui en fait un nouveau produit. Si notre système réglementaire est effectivement fondé sur la science, il exige des données et des preuves, et non de simples hypothèses. Le terme « identique » a une signification précise : il n’y a pas de différence entre deux éléments. Il n’est pas possible de savoir si deux choses sont identiques ou non sans effectuer des mesures significatives.
Les orientations proposées n’exigeraient que deux cas antérieurs de transformation « identique » pour faire passer la nouvelle usine d’un examen réglementaire complet à un examen accéléré avec des exigences d’information moins élevées et des délais plus courts. Il s’agit d’une barre très basse pour réduire la surveillance réglementaire. L’ensemble du guide réglementaire ne cite qu’une seule étude, ce qui indique que la base de connaissances scientifiques permettant de comprendre les plantes génétiquement modifiées qui sont des retransformants n’en est encore qu’à ses débuts.
Recommandation de l’UNF :
Compte tenu du manque de preuves scientifiques solides et de la nouveauté de la technologie d’édition génétique, il serait prudent de continuer à exiger des données complètes et d’examiner les retransformations comme de nouveaux événements. Une fois que ces produits seront sur le marché, ce seront les fermières et les consommateurs qui supporteront le risque si les traitements réglementaires allégés proposés entraînent un rejet du marché ou des problèmes de sécurité alimentaire. Nous recommandons donc que tous les retransformants continuent d’être évalués comme de nouvelles plantes présentant de nouveaux caractères.
L’UNF apprécie l’opportunité de fournir des commentaires dans le cadre de ce processus de consultation publique afin d’aider Santé Canada à prendre des décisions éclairées sur ces questions d’une importance cruciale. L’UNF est toujours favorable au dialogue et encourage le personnel de Santé Canada à nous contacter si nous sommes en mesure d’apporter des éclaircissements ou de fournir des informations supplémentaires sur le sujet.
Tout ceci est respectueusement soumis par
L’Union Nationale des Fermiers
21 mai 2021