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Lettre : Re : Prochain cadre stratégique agricole

Hon. Lawrence MacAulay
Ministre de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Chambre des communes
Ottawa, ON S1A 0A6

Courriel : lawrence.macaulay@parl.gc.ca

Monsieur le Ministre MacAulay :

Alors que vous vous préparez à la conférence annuelle des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de l’Agriculture (FPT) qui se tiendra à Calgary du 20 au 22 juillet 2016, le () aimerait vous faire part de ses commentaires concernant le principal point à l’ordre du jour : le prochain cadre stratégique qui suivra Cultivons l’avenir 2 (CA2).

Le prochain cadre stratégique agricole FPT sera un outil important pour façonner l’avenir de l’agriculture au Canada. Le site plaide pour le maintien de l’exploitation agricole familiale en tant que principale unité de production alimentaire au Canada. En tant qu’organisation agricole générale, nos membres reflètent la diversité des systèmes de production, de la taille des exploitations et de la démographie des fermières à travers le pays. Nous promouvons la souveraineté alimentaire, qui est une approche holistique plaçant l’homme, l’alimentation et la nature au centre de la politique, et qui fait du contrôle démocratique du système alimentaire sa priorité. De nombreuses enquêtes et sondages d’opinion indiquent que les Canadiens non agriculteurs partagent généralement ces valeurs avec nous et soutiennent une politique qui permet aux fermières d’obtenir des revenus équitables en produisant des aliments sains dans le respect de l’environnement. Nous vous encourageons, vous et vos collègues ministres, à utiliser le prisme de la souveraineté alimentaire lorsque vous évaluerez les implications de chaque élément envisagé pour le successeur de Cultivons l’avenir 2.

Nous pensons que le prochain cadre stratégique pour l’agriculture continuera à se concentrer sur deux domaines principaux : les programmes de filet de sécurité, ou de gestion des risques de l’entreprise (GRE), pour les fermières et le financement de l’initiative stratégique pour soutenir les programmes ayant des objectifs politiques plus larges.

Les recherches d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ont montré que le programme de GRE, Agri-stabilité, est utilisé de manière disproportionnée par les grandes exploitations. Lors de la conception du GF2, le site prévoyait un plafond pour les paiements par exploitation. Nous avons également recommandé de maintenir le seuil de perte de marge de 15 % d’Agri-stabilité. Toutefois, le GF2 n’a pas plafonné les paiements et a modifié le seuil de déclenchement à 30 % en dessous des marges de référence. En conséquence, seuls les secteurs caractérisés par une extrême volatilité et des opérations hautement spécialisées pouvaient bénéficier du programme. En outre, l’initiative GF2 a plafonné le paiement de la perte de marge au montant le plus bas entre la marge de référence de l’exploitation et le coût des intrants éligibles, ce qui a rendu le programme inutile pour les exploitations à faible niveau d’intrants. Les petites exploitations sont largement exclues du programme Agri-stabilité parce que le coût de la rémunération d’un comptable pour remplir toutes les formalités administratives nécessaires à l’introduction d’une demande n’est pas justifié par le potentiel de réduction des risques du programme. Ainsi, tant le coût de la participation que la structure du programme Agri-stabilité du GF2 favorisent les exploitations spécialisées à plus grande échelle et à forte consommation d’intrants, tandis que les exploitations diversifiées à faible consommation d’intrants ont dû gérer les risques tels que les épidémies, la volatilité des prix et les problèmes de marché dus aux fluctuations monétaires, sans soutien public.

Lors de l’élaboration du prochain cadre politique agricole FPT, nous vous demandons instamment de veiller à ce que les programmes de GRE soient accessibles, pertinents et utiles pour les exploitations agricoles de tailles et de systèmes de production différents et de veiller à ce que les paiements soient plafonnés afin que ces programmes n’incitent pas les plus grandes exploitations à une expansion et à une prise de risque excessives.

Nous vous demandons également de reconnaître l’importance des institutions de commercialisation contrôlées par les fermières, qui constituent la méthode la plus efficace pour réduire les risques commerciaux des fermières. À la fin des années 1990, les agences provinciales de commercialisation à guichet unique pour les porcs ont été supprimées. L’exposition à la volatilité des prix qui en résulte signifie que le secteur est désormais très dépendant des programmes de gestion des risques de l’entreprise. La Commission canadienne du blé à guichet unique, gérée par les agriculteurs, offrait auparavant un accès équitable au marché, des prix élevés et une voix puissante pour défendre les intérêts des fermières de l’Ouest. Sa destruction a réduit le potentiel de revenu des fermières et a accru la nécessité pour certaines d’entre elles de faire appel aux programmes de gestion des risques de l’entreprise pour continuer à fonctionner. En revanche, les secteurs soumis à la gestion de l’offre n’ont pas eu besoin d’utiliser les programmes de GRP du GF2. L’assurance d’un marché et d’un prix équitable permet à ces fermières d’investir dans leur exploitation tout en produisant la bonne quantité et la bonne qualité de produits au bon moment. Notre système de gestion de l’offre a fait ses preuves, tant pour les fermiers que pour les consommateurs et le Trésor public. Nous vous demandons instamment de défendre la gestion de l’offre contre les appels malavisés à l’abandonner et de vous élever contre les importations illégales de protéines laitières qui affaiblissent notre secteur laitier.

Dans le cadre du GF2, les programmes d’initiative stratégique ont été principalement utilisés pour promouvoir l’innovation, la compétitivité et les marchés d’exportation. La plupart des programmes d’initiative stratégique du GF2 sont fortement axés sur l’augmentation des exportations. Pourtant, depuis la mise en place du GF et du GF2, nous avons vu certains secteurs perdre beaucoup de terrain au profit des importations. Par exemple, en 2005, les importations et les exportations canadiennes de fruits et légumes transformés étaient presque équilibrées ; en 2014, la valeur des importations dépassait celle des exportations de près de 1,5 milliard de dollars. Les importations d’agneau augmentent régulièrement, alors que le Canada n’exporte pratiquement pas d’agneau. Certaines de ces importations proviennent d’endroits comme la Californie qui subissent de graves conséquences du changement climatique. D’autres proviennent d’endroits comme la Nouvelle-Zélande qui sont si éloignés que le transport des produits contribue à des émissions excessives de gaz à effet de serre. Il en résulte que l’argent que les consommateurs canadiens consacrent à leur épicerie quitte de plus en plus le Canada pour payer des produits alimentaires importés d’autres juridictions – y compris des aliments qui pourraient être produits de manière fiable dans nos propres fermes, et transformés et commercialisés ici avec une empreinte environnementale plus faible et avec un plus grand bénéfice pour notre propre économie.

Nous aimerions que le prochain cadre politique fasse beaucoup plus pour développer la capacité de notre système alimentaire à développer et à conserver des marchés nationaux pour les produits agricoles canadiens. L’amélioration de nos capacités de transformation, de stockage et de distribution, ainsi que la création et le renforcement d’institutions de commercialisation efficaces et contrôlées par les agriculteurs, fourniront l’infrastructure nécessaire pour que les fermières canadiennes de toutes les provinces puissent fournir davantage de nourriture à leurs voisins urbains. Ces investissements seront stratégiques, car ils réduiront les risques de pénuries alimentaires et de fortes hausses de prix résultant de notre dépendance à l’égard de fournisseurs éloignés et vulnérables au changement climatique. Cette approche permettrait également de réduire l’incertitude liée à l’évolution des prix des denrées alimentaires importées en fonction des fluctuations des taux de change, qui échappent au contrôle des fermières et des consommateurs.

Nous sommes conscients que la « licence sociale » est dans le collimateur des ministres. Nous vous demandons instamment d’éviter de consacrer les fonds de l’initiative stratégique à une approche de relations publiques des préoccupations des consommateurs. Il faut au contraire veiller à ce que les éléments fondamentaux qui permettent aux consommateurs d’avoir confiance dans le système alimentaire soient en place – un système réglementaire responsable, transparent, où les règles sont à la fois créées et correctement appliquées pour protéger l’intérêt public. Tout financement de programme d’initiative stratégique en rapport avec les questions de licence sociale devrait être utilisé pour aider à développer ou à améliorer les types de pratiques agricoles qui répondent à la demande des consommateurs.

Le changement climatique a des répercussions de plus en plus importantes sur les fermières, car les phénomènes météorologiques violents et les effets du climat sont de plus en plus fréquents. Nous aimerions que les programmes d’aide en cas de catastrophe tiennent compte du fait que certaines catastrophes créent des problèmes qui durent plus d’un an. Un financement total accru ainsi que des changements dans la conception des programmes devraient être mis en place pour reconnaître la nécessité d’une assistance pluriannuelle.

Nous recommandons également que tous les investissements stratégiques soient évalués en fonction de leur impact sur le changement climatique. Si les pays ne parviennent pas à réduire les émissions mondiales de GES, la capacité de la planète à produire des denrées alimentaires sera gravement compromise et l’instabilité climatique rendra les moyens de subsistance des fermières moins sûrs. Les projets ne doivent pas être approuvés s’ils risquent d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre. La priorité devrait plutôt être accordée aux initiatives qui aident les fermiers et les autres acteurs de l’industrie alimentaire à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le nouveau cadre politique devrait également prévoir des fonds d’initiative stratégique pour aider les fermières à s’adapter aux effets du changement climatique, tels que les inondations, les sécheresses, les nouveaux problèmes liés aux insectes et aux maladies, les dates de gel moins prévisibles, l’absence de couverture neigeuse, par le biais de la recherche, de l’éducation et de la sensibilisation, et non par le développement et la commercialisation de produits. Investir dans des stratégies d’atténuation des GES et d’adaptation au climat contribuera également à réduire les risques commerciaux en aidant les exploitations à devenir plus résilientes.

Lorsque vous préparerez le cadre du prochain cadre stratégique pour l’agriculture, vous réfléchirez également à la manière dont vous mesurerez sa performance. Nous vous invitons à définir le succès comme étant l’augmentation du nombre de fermières et de fermiers, l’abaissement de l’âge moyen des agriculteurs au Canada et l’augmentation de la quantité et des types d’aliments produits au Canada qui sont vendus et consommés dans le pays.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,

Jan Slomp
Président,