Le rapport sur les aliments à petite échelle du Manitoba donne matière à réflexion
De nombreux fermiers sont prêts à vendre une côte de bœuf, quelques douzaines d’œufs ou un sac de pommes de terre à leurs connaissances. Les fermières pratiquent la vente directe depuis les débuts de l’agriculture et ce n’est qu’au cours des 50 dernières années que la vente directe de la ferme au consommateur a été remise en question. Jusqu’alors, les gouvernements encourageaient les fermières dans l’art de produire et de transformer des aliments en toute sécurité (certains se souviennent encore de la leçon des 4H sur la manière de dépecer correctement un poulet). Il fut un temps où de nombreux citoyens connaissaient leur fermiere.
Puis vint la révolution de l’agro-industrie et les fermières furent encouragées par les gouvernements à abandonner leurs petites entreprises et à se spécialiser dans le marché des produits de base. Les citoyens sont devenus des consommateurs et, en l’espace de deux générations, le lien social entre la table et la ferme a été rompu.
Aujourd’hui, l’épicerie règne sur le système alimentaire grâce à un réseau massif, compliqué et coûteux d’intermédiaires qui assurent un approvisionnement constant de tous les aliments imaginables. La nourriture est bon marché, mais les citoyens ont progressivement remarqué que la qualité et le goût avaient changé. Les rappels occasionnels de produits alimentaires et les récits sur les conditions de travail dans les usines ont contribué à l’inquiétude générale quant à la qualité des aliments industriels. Les consommateurs râlent et continuent à aller à l’épicerie, mais un nombre croissant de citoyens ont commencé à acheter directement auprès d’une exploitation agricole.
Certains fermiers répondent à la demande par la vente directe de produits alimentaires à la ferme et sur les marchés de producteurs. Lorsque cela les arrange, les gouvernements prennent le train en marche et proclament leur soutien à l’alimentation locale. Il est révélateur que lorsqu’il est embouteillé au Manitoba, Pepsi soit défini comme un produit alimentaire « local ».
De nombreux fermiers ont adhéré à l’idée que plus c’est grand, mieux c’est, et certains sont allés encore plus loin en pensant que plus c’est petit, plus c’est mauvais.
Les associations de producteurs agricoles ont adopté des règles qui ignorent les besoins des petits producteurs de denrées alimentaires et découragent activement les ventes à la ferme et sur les marchés de producteurs.
Lorsqu’on leur pose des questions, ils parlent de sécurité alimentaire, bien que la plupart des règles n’aient rien à voir avec la sécurité alimentaire. Les protocoles d’exportation, la traçabilité internationale, le calibrage des aliments, les emballages fantaisistes, les doubles signatures et les parkings pavés ne sont pas nécessaires lorsque la ferme est petite et que le consommateur peut interroger directement la fermiere.
Les gouvernements ont souvent mandaté les associations de producteurs de matières premières pour qu’elles se concentrent sur l’expansion des marchés d’exportation au détriment de l’alimentation à petite échelle. C’est donc avec une certaine surprise que le gouvernement du Manitoba a commandé un rapport sur l’alimentation à petite échelle.
Ce n’était peut-être pas une surprise. Une exploitation agricole populaire avait d’abord été félicitée, puis perquisitionnée, pour une question de réglementation technique. La colère publique qui en a résulté a été forte et longue. Face à l’indignation de l’opinion publique, la meilleure défense d’un gouvernement est de commander un rapport.
Parmi les dix-huit personnes sélectionnées pour faire partie du groupe de travail Small Scale Food Manitoba figuraient trois petits fermiers pratiquant la vente directe. Parmi les autres, cinq étaient des membres du personnel d’associations représentant de grandes entreprises agroalimentaires telles que Maple Leaf Foods et Burnbrae Farms, le plus grand conglomérat d’œufs du Canada.
On estime qu’environ trois pour cent des produits alimentaires du Manitoba sont vendus à la ferme ou sur les marchés fermiers. Le rapport sur l’alimentation à petite échelle suggère que cette part de marché pourrait atteindre 10 %, ce qui mettrait la commercialisation directe en concurrence directe avec l’agriculture de base. Les opérateurs industriels considèrent que dix pour cent représentent la différence entre les profits et les pertes et il est peu probable qu’ils abandonnent volontiers une part de leur marché.
Le rapport Small Scale Food Manitoba recommande aux petits producteurs alimentaires de créer une association, de l’utiliser pour négocier avec les grandes associations et de les convaincre de changer les règles afin que les petits fermiers puissent avoir une partie de leur marché. Quelle est la probabilité que cela se produise ?
Le rapport recommande aux associations de « favoriser la diversité des méthodes de production » et de reconnaître les petits producteurs « comme des membres légitimes du groupe de produits ». Il appelle également à « un contexte de collaboration et d’inclusion entre les conseils existants, les petits producteurs spécialisés, les analystes politiques du gouvernement et les consommateurs ». Il s’agirait d’un revirement par rapport à la promotion de longue date de l’agriculture industrielle.
La collaboration est-elle possible ? L’agriculture industrielle dispose d’un quasi-monopole. Aujourd’hui, on lui demande d’embrasser la diversité et de céder une partie du marché. C’est beaucoup demander.
Le soutien de l’opinion publique aux petites exploitations agricoles est fort et ne cesse de se renforcer. La popularité croissante des petits marchés alimentaires et des marchés fermiers est un signe que le public veut plus que ce que le système alimentaire industriel peut lui offrir. La question est de savoir ce que le gouvernement du Manitoba va faire pour que les petits producteurs aient vraiment leur place à la table des négociations.
Small Scale Food Manitoba a présenté son rapport à l’Hon. Ron Kostyshyn, ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et du Développement rural du Manitoba, le 14 janvier 2015. Le rapport est disponible ici.
La réponse du gouvernement du Manitoba est disponible ici.
Pour en savoir plus sur les politiques de relatives à l’agriculture à petite échelle et à l’alimentation locale, consultez la politique d’agriculture durable de.