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Décisions fondées sur la science – Dans l’intérêt de qui ?

Les gouvernements et les organisations agricoles nous répètent sans cesse que les décisions prises dans nos exploitations et par les organismes de réglementation gouvernementaux doivent être « fondées sur la science ». Cette adhésion à la prise de décision « fondée sur la science » s’accompagne de l’exigence d’accepter que la science soit absolue et impartiale, qu’elle ne change jamais et qu’elle ne soit jamais influencée par les intérêts des bailleurs de fonds de la recherche.

Cependant, notre compréhension du monde et de nos propres exploitations est en constante évolution. Les connaissances d’hier nous conduisent aujourd’hui à de nouvelles découvertes, qui nous permettront demain de mieux comprendre. La connaissance scientifique ne peut jamais être absolue, car si nous sommes ouverts à l’apprentissage, elle peut constamment nous conduire à de nouvelles découvertes et à de nouvelles connaissances. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les semences : depuis que les fermières ont commencé à collecter et à replanter des semences pour produire des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, nous n’avons cessé d’enrichir notre connaissance collective et en constante évolution de la science et de la sélection végétale.

Aucune enquête scientifique ne peut être véritablement impartiale. Lorsque nous partons à la découverte de quelque chose de nouveau ou que nous approfondissons notre compréhension de la meilleure façon de cultiver ou d’élever du bétail, nous apportons nos connaissances et notre expérience ainsi que nos valeurs personnelles. Prenons le cas des insecticides néonicotinoïdes et de la question de savoir s’ils doivent continuer à être utilisés comme ils le sont aujourd’hui. Certaines organisations agricoles, ainsi que les groupes de pression des entreprises chimiques, affirment que toute nouvelle réglementation ou restriction de l’utilisation des insecticides néonicotinoïdes doit être « fondée sur la science ». Ils s’appuient sur des études montrant que l’utilisation de traitements de semences à base de néonicotinoïdes augmente les rendements de cultures telles que le maïs et le soja. Cette recherche est toutefois financée par les entreprises qui produisent et vendent les insecticides. Il est dans leur intérêt de montrer que les fermières bénéficient de l’utilisation de leurs produits.

Dans le même temps, d’autres organisations agricoles et groupes de défense de l’environnement mettent en avant des études montrant que les néonicotinoïdes sont responsables de la mort des abeilles et d’autres invertébrés. Ils considèrent que la disparition des invertébrés, notamment des abeilles, des pollinisateurs indigènes et d’autres insectes utiles, a un impact économique à long terme sur les exploitations agricoles ainsi que sur nos écosystèmes naturels. En tant que société qui prend des décisions « fondées sur la science », nous devrions avoir accès à une variété d’études scientifiques lorsque nous prenons des décisions réglementaires. Ces études devraient être financées par différentes sources, et pas seulement par le secteur privé qui a les moyens de financer la recherche. Les scientifiques financés par des fonds publics assurent cette diversité depuis des générations. Dans l’intérêt du public, ils ont étudié les effets des découvertes scientifiques, telles que les insecticides, sur notre eau, nos exploitations agricoles, notre air et nos écosystèmes terrestres.

Chaque jour, notre gouvernement fédéral vante la nécessité de prendre des décisions « fondées sur la science », alors que, dans le même temps, il démantèle rapidement l’infrastructure de recherche publique du Canada et sape la capacité de nos scientifiques publics, respectés dans le monde entier, à mener à bien leurs travaux de recherche. Des bibliothèques publiques de renommée mondiale, comme celle de l’Institut des eaux douces à Winnipeg, ont été fermées et une grande partie des documents précieux qui s’y trouvaient ont été emportés dans des bennes à ordures, selon les scientifiques qui ont observé les fermetures. La destruction de ces données de référence environnementales et culturelles essentielles, qui ont été recueillies dans l’intérêt public grâce à des fonds publics, représente une perte de connaissances considérable. Ces informations « perdues » auraient pu nous aider à mieux comprendre l’évolution de notre climat, l’impact des pratiques agricoles sur notre eau et nos écosystèmes naturels, et l’accumulation de divers produits chimiques industriels et agricoles dans nos écosystèmes.

Aujourd’hui, tous les fonds publics disponibles pour la recherche scientifique sont transférés à l’industrie privée pour soutenir la commercialisation de ces découvertes. L’édition du 7 mai 2013 du Globe and Mail, qui a couvert le changement de mandat du Conseil national de la recherche, a déclaré : « Le Conseil national de recherches, qui a donné au pays le canola et l’horloge atomique, prendra désormais ses repères scientifiques auprès de l’industrie canadienne dans le cadre d’une refonte des laboratoires de recherche phares du pays. » Où est l’intérêt public lorsque le gouvernement proclame qu’il prend des décisions « fondées sur la science » ?

En décembre 2013, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-18, « Loi sur la croissance de l’agriculture« , un projet de loi omnibus qui modifie plusieurs lois sur l’agriculture. Si le projet de loi est adopté, il poursuivra la tendance du gouvernement à refuser de reconnaître la base scientifique des connaissances en matière de sélection végétale construites par les fermières au cours de millénaires de sélection et de conservation des semences. Le projet de loi C-18 accélérera la tendance du gouvernement à utiliser les données scientifiques fournies par les multinationales des produits chimiques et des semences pour prendre des décisions « fondées sur la science ». Elle poursuit la tendance au démantèlement et à l’affaiblissement de la recherche publique en ouvrant davantage de portes à la sélection végétale privée, avec les bénéfices qui en résultent pour les multinationales semencières, tout en fermant les portes aux semences de ferme et à la sélection publique dans l’intérêt du public.

Notre environnement, nos exploitations agricoles et notre souveraineté alimentaire sont tous menacés si nous continuons à donner aux multinationales de l’agroalimentaire le contrôle de la science utilisée pour prendre des décisions « fondées sur la science » dans nos exploitations agricoles et dans les réglementations relatives à la santé, à l’agriculture et à l’environnement.

par Ann Slater

Ann Slater est agricultrice près de St. Marys, en Ontario, et vice-présidente (politique) de l’association . Vous pouvez la joindre au 519-349-2448 ou à l’adresse suivante aslater@quadro.net .

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About the author

Ann Slater

Ann Slater is an organic market gardener from the St. Marys area in southwestern Ontario. For over 35 years she has supplied fresh organic vegetables to her community through the St. Marys Farmers' Market and a CSA.

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