Contrer Charlebois sur les contre-tarifs
Le récent article d’opinion de Sylvain Charlebois intitulé « Les contre-tarifs ont fait grimper le coût de l’épicerie au Canada » présente de manière erronée l’impact des tarifs douaniers de rétorsion du Canada sur les prix des denrées alimentaires. Le Canada a mis en place des contre-tarifs sur certains produits alimentaires et boissons en réponse aux menaces du président Trump d’utiliser la guerre économique pour forcer le Canada à devenir le 51e État.
Les produits sélectionnés pour les contre-tarifs ont été choisis pour leur facilité d’accès au Canada ou dans des pays autres que les États-Unis. Les tarifs compensatoires du Canada s’appliquent aux importations de produits laitiers, d’œufs et de volailles – et grâce à la gestion de l’offre, notre production nationale de ces produits répond parfaitement aux besoins des consommateurs. Le ketchup et les tomates de transformation sont soumis à des droits de douane – et le Canada dispose d’un solide secteur de transformation et de mise en conserve des tomates basé à Leamington, dans l’Ontario. La moutarde préparée est soumise à des droits de douane – la Saskatchewan est le premier exportateur mondial de graines de moutarde et de nombreux transformateurs canadiens pourraient répondre aux besoins du Canada en matière de condiments. Le blé, l’avoine, le seigle et l’orge sont soumis à des droits de douane – des produits que le Canada exporte : nous n’avons pas besoin de céréales d’origine américaine. Les agrumes sont soumis à des droits de douane et nous achetons normalement environ ⅔ d’entre eux aux États-Unis – mais depuis janvier 2024, ce chiffre est tombé à la moitié et nous nous approvisionnons davantage en oranges, citrons et limes auprès d’autres pays.
Charlebois laisse entendre que la plupart des produits frais sont tarifés, mais c’est le contraire. Les seuls légumes tarifés sont les tomates et les haricots verts. Les brocolis, la laitue, les oignons, les pommes, les bananes, les raisins, les myrtilles et les fraises, pour n’en citer que quelques-uns, ne sont pas soumis à des droits de douane. Le Service des délégués commerciaux a facilité la recherche de ces informations en ligne sur le site http://www.tariffinder.ca.
Il n’y a pas de contre-tarif sur le bœuf ou le porc. Les prix de la viande bovine augmentent considérablement des deux côtés de la frontière, où la taille des troupeaux diminue et où les coûts de l’alimentation augmentent en raison d’une sécheresse qui dure depuis plusieurs années. Deux multinationales étrangères, JBS (Brésil) et Cargill (États-Unis), abattent à elles seules plus de 90 % du cheptel bovin canadien et ont donc une influence considérable sur les prix de gros de la viande bovine. La production de porc est intégrée verticalement et l’abattage est presque aussi concentré que celui du bœuf. Nos secteurs de la viande bovine et porcine sont également étroitement intégrés à l’industrie américaine de la viande bovine et porcine. Il n’est donc pas surprenant que les prix canadiens soient fortement influencés par les taux de change et les conditions du marché aux États-Unis.
Lorsque notre dollar est faible par rapport au dollar américain, les denrées alimentaires importées sont plus chères. Nous sommes devenus plus dépendants des produits agricoles et des aliments transformés importés en raison de décennies de politique agricole axée sur l’exportation. L’engagement des consommateurs à acheter des produits canadiens (même sans droits de douane) augmentera notre capacité à produire les denrées alimentaires dont nous avons besoin et réduira l’impact des fluctuations monétaires sur les prix des produits d’épicerie.
Les statistiques que Charlebois cite pour démontrer que les tarifs douaniers compensatoires sont à l’origine de l’inflation des prix des denrées alimentaires sont des chiffres annuels, alors que les tarifs douaniers compensatoires, qui ne s’appliquent qu « à quelques produits d » épicerie, sont en place depuis à peine trois mois. La hausse des prix des denrées alimentaires s’explique mieux par des facteurs tels que le taux de change et le pouvoir monopolistique des grandes entreprises dans le système alimentaire, en particulier dans les secteurs de la transformation des aliments et de la vente au détail de produits alimentaires.
Le secteur canadien de l’alimentation est très concentré. Cinq entreprises seulement contrôlent plus de 80 % des ventes de produits alimentaires : Loblaws, Sobeys, Costco, Metro et Walmart. Les rapports financiers des sociétés Loblaws, Metro et Sobeys montrent que le taux de profit sur les ventes de produits d’épicerie pour les trois sociétés a augmenté plus que le taux d’inflation des prix des produits alimentaires au cours du trimestre le plus récent. Les données financières des deux autres sociétés ne sont pas accessibles au public, mais sont probablement similaires. Il est possible que ces entreprises profitent des attentes des consommateurs en matière d’inflation, ainsi que de leur patriotisme, pour faire payer les produits alimentaires plus que nécessaire, tout comme elles l’ont fait pendant et après la pandémie. Les droits de douane peuvent être un outil pour encourager les petites entreprises canadiennes à assurer une plus grande partie de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires au niveau national.
Le coût de la vie est toujours une préoccupation pour les travailleurs. Comprendre comment et pourquoi les prix des produits alimentaires augmentent et diminuent peut aider les gens à se sentir capables de promouvoir l’équité. Il n’est pas utile qu’une personne aussi connue que Sylvain Charlebois fasse des commentaires trompeurs sur l’impact des tarifs douaniers compensatoires du Canada.
Les Canadiens sont profondément préoccupés par les attaques incessantes de Donald Trump contre la souveraineté canadienne, ainsi que par ses politiques économiques erratiques et perturbatrices. Nombreux sont ceux qui ont tenu à acheter immédiatement des produits alimentaires fabriqués au Canada en réponse à la première mention par Trump du « 51e État », car ils savent qu’un pays qui ne peut pas se nourrir est vulnérable.
L’utilisation de l’argent des ménages pour soutenir les fermières, les travailleurs agricoles et les transformateurs alimentaires canadiens par le biais de nos choix d « épicerie a commencé avant même l’annonce des droits de douane compensatoires. Si les gouvernements à tous les niveaux appliquent les principes de la souveraineté alimentaire, nous pouvons faire de la construction d’un système alimentaire canadien plus fort et plus équitable un véritable mégaprojet d » édification de la nation.