The () tient à féliciter Nikaela Lange et Kevin Morin, qui ont remporté le prix Beingessner d’excellence en rédaction.
Nikaela a 18 ans et vient de Dalmeny, en Saskatchewan. Nikaela a passé une partie de sa onzième année d’études à Tokyo, au Japon. La même année, elle a reçu la bourse Global Citizens Scholarship et a fait partie d’une délégation de 12 étudiants qui s’est rendue en Europe pour participer à un sommet sur le leadership et l’innovation. Elle est actuellement en première année à l’université de Saskatchewan à Saskatoon, où elle se spécialise dans les études internationales.
Kevin est diplômé du Nova Scotia Agricultural College et de l’Université norvégienne des sciences de la vie. Il a passé l’été dernier à travailler à la ferme de la coopérative Tourne-Sol et est en train de démarrer sa propre ferme dans l’Outaouais. En dehors de la saison, il se rend à Arroyo Seco, au Nouveau-Mexique, pour enseigner le jardinage dans le cadre de l’école de vie de Snow Mansion.
Cher Canada, une lettre ouverte de Nikaela Lange,
Je suis désolé d’avoir cassé votre terrain. Je suis désolé que la cupidité des entreprises épuise vos sols, pollue votre air, souille votre eau, traite vos animaux comme des rouages d’une machine. Je regrette que nous dépensions toutes les ressources en vue et que nous attendions seulement de vous que vous produisiez plus, plus, plus. Je regrette que nous soyons passés d’une agriculture familiale saine à une production en cage d’acier pour répondre à une demande qui ne cesse de croître. Je regrette que nous ne nous rendions compte de nos erreurs que lorsqu’il est trop tard.
Je regrette que l’époque de l’agriculture familiale semble révolue. Il semble que l’image du fermier avec son chapeau de paille et sa salopette, cultivant des aliments pour sa communauté, ne soit plus d’actualité. Il a été renversé par des animaux enfermés dans des cages trop petites, qui croupissent dans leurs déchets en attendant d’être abattus. Remplacés par des pesticides nocifs, des produits importés et des aliments dits « biologiques » dont les ingrédients sont impossibles à prononcer. Infiltrée par une main corporative, prenant possession de la terre, produisant des aliments en masse, défiant les petites fermières de rivaliser. Je regrette que vous soyez passé d’une terre généreuse, prometteuse et magnifique à un simple outil de production. Je regrette que vos prairies tentaculaires et abondantes n’aient été considérées que comme un espace pour une autre ferme industrielle, une autre usine tordant votre objectif pour répondre à ses besoins insatiables. Je suis désolé que ce soit notre passé récent et, malheureusement, notre présent.
Je regrette que notre système semble défaillant, mais je ne pense pas qu’il soit irrécupérable. De nombreux Canadiens peuvent voir au-delà du système industriel apparemment parfait, produit en masse, et souhaitent le réparer. Beaucoup d’entre nous partagent une vision qui consiste non seulement à changer les méthodes de notre industrie agricole, mais aussi à apporter des améliorations durables. Une vision pour reprendre votre terre aux mains avides qui l’ont accaparée et la rendre à ceux qui l’aiment vraiment. Revenir aux méthodes de l’agriculture familiale et diversifiée, dont nous avons constaté à maintes reprises qu’elles étaient plus résilientes et plus généreuses. Faire des marchés fermiers la norme plutôt que l’exception. Fournir aux communautés des aliments produits localement à des prix raisonnables, tout en veillant à ce que les fermières familiales reçoivent une rémunération équitable pour le travail qu’elles effectuent avec diligence sur nos terres. Nous devons non seulement nous nourrir nous-mêmes, mais aussi continuer à jouer un rôle important sur le marché mondial, en nourrissant également la population mondiale croissante. L’objectif n’est pas seulement de maintenir la qualité de l’environnement dans le monde, mais de chercher activement à l’améliorer et à la réparer. Mais, comme beaucoup de rêves, ces idées n’ont aucune valeur si elles ne sont pas accompagnées d’un plan pour les mettre en œuvre.
Que pouvons-nous faire pour que cette vision de votre territoire devienne réalité ? Tout d’abord, il faut commencer par l’éducation. Enseignez aux habitants de votre pays toutes les façons dont vous êtes détruits. Expliquez-leur que l’achat local, bien que coûteux, contribuera à l’économie locale et deviendra plus abordable au fil du temps. Enseignez la pollution, le changement climatique, l’étalement urbain. Enseignez-leur pourquoi nous devons soutenir nos fermières familiales locales pour mettre fin au règne de la main de l’entreprise et revenir à l’essentiel. Apprenez à apprécier votre terre. Cette éducation débouchera, nous l’espérons, sur une action et, avec cette action, sur un changement.
Cher Canada, je suis désolé que nous ayons brisé votre terre. J’espère que vous serez bientôt guéri.
Je terminerai cette lettre par une citation du poète canadien Brian Brett, plus que jamais d’actualité.
« L’agriculture est un métier d’espoir
___
Ma vision de l’avenir pour l’agriculture et l’alimentation au Canada par Kevin Morin
En parlant de l’élevage de céréales dans les arrière-cours, un vieux fermiere du Cap-Breton m’a dit un jour que l’agriculture y était tellement en retard qu’aujourd’hui elle est en avance. Et si vous dégustiez une stout à l’avoine de la brasserie Big Spruce Brewing de l’île, vous seriez enclin à le croire.
Je rêve d’avoir un jour ma propre ferme, des vaches dans les pâturages, des rangées de choux bien ordonnées…. Pensez aux journées pluvieuses passées dans l’atelier de menuiserie, aux matinées fraîches de novembre, accroupi dans la serre, à un terrain boisé pour m’occuper pendant l’hiver et le printemps. Exploiter une entreprise mixte comme celle de nos grands-parents n’a rien de romantique.
Alors que beaucoup qualifieraient de rétrograde une approche de l’agriculture à petite échelle, je préfère penser que ce sont les petits producteurs locaux qui conduiront notre avenir agricole. La tendance à l’agrandissement ou à la disparition a entraîné une chute vertigineuse du nombre de fermières et de fermiers dans notre pays. Quel fermiere de la premiere generation peut s’offrir une grange assez grande pour y mettre une moissonneuse-batteuse moderne ? Ou trouver la main-d’œuvre nécessaire pour cueillir ces innombrables rangées de choux ? Le dicton moderne sur l’élevage laitier me vient à l’esprit : si vous avez assez d’argent pour y entrer, vous avez assez d’argent pour ne pas y entrer. Il y a 30 ans, il y avait 20 fermes sur cette route. En raison de cette mentalité, il en existe aujourd’hui deux. Je suis inquiet pour l’avenir de l’agriculture au Canada. Avec qui vais-je partager les machines et de qui vais-je dépendre en cas de besoin ? Avec qui mes enfants joueront-ils ? Ou combien de temps durera le trajet en bus jusqu’à l’école ? Devrai-je conduire de plus en plus loin pour vendre mes produits ?
Adolescent, j’étais typique de ma génération : deux générations issues de la terre et une de la cuisine. Deux parents qui travaillent, c’est l’assurance de repas rapides et l’essentiel de ma cuisine se résumait à des indications tirées d’une boîte de pizza. Je suis venu à l’agriculture en me remémorant les étés passés dans la ferme familiale, aujourd’hui disparue. Plus de fraises et de framboises que je ne pourrais jamais en manger, des brocolis que mon fils de 10 ans aimait vraiment et un poêle à bois qui faisait de très bons toasts. Cette agro-inspiration n’est pas le fruit d’une aubaine ou d’un hasard, mais d’une attention portée à la qualité supérieure des aliments frais. Et franchement, en dehors de toute nécessité, je pense que faire goûter la différence aux gens est le seul moyen d’incarner le système alimentaire et agricole de l’avenir dont je rêve.
Arrivée en Inde au milieu de la vingtaine dans le cadre d’un projet financé pour mes recherches de maîtrise, j’ai été surprise de trouver tant de pollution et de pauvreté dans un pays que l’Empire anglais considérait autrefois comme le « pays le plus riche du monde ». On dit que la richesse qu’elle a connue autrefois provenait de l’économie des villages. À l’époque, l’artisanat était extrêmement qualifié ; les vêtements étaient suffisamment fins pour qu’un châle entier puisse être plié et tenir dans une boîte d’allumettes. Comparer la marchandise d’aujourd’hui à ces contes revient à se demander si tout notre « développement » est réellement bénéfique.
Il nous est devenu difficile d’imaginer une société dans laquelle le capitalisme mondial ne joue pas un rôle central ; une économie de marché pure. Il est facile d’oublier que ce n’est qu’au cours des 100 dernières années qu’elle a joué un rôle central. Aucune société n’a jamais été gérée de cette manière. Je doute qu’une agriculture réellement écologique, productive et accessible à tous soit possible dans les limites actuelles où la majorité des entités économiques les plus puissantes du monde sont des entreprises et non des pays. Cependant, je suis convaincu qu’en avançant à pas sûrs et en travaillant honnêtement, l’avenir de l’agriculture canadienne peut être revigoré de manière à ce que les gens soient motivés pour vivre dans un environnement rural, sachant qu’ils peuvent gagner honnêtement leur vie, tout comme leurs familles le faisaient autrefois.
Ma vision des futurs systèmes agricoles et alimentaires du Canada est celle d’un pays où les gens connaissent les races bovines locales comme ils connaissent les variétés de raisin, et où une micro-brasserie provenant de 100 km de distance est considérée comme une importation. Le conseiller d’orientation du lycée local reconnaît que l’agriculture peut être un choix de carrière sain et viable. Une diversité d’exploitations agricoles locales compétitives sur le marché mondial, qui innovent en fonction de leur région et suscitent une fierté locale qui alimente la gestion de l’environnement.
À l’instar de la stout à l’avoine ou du châle plus fin que le papier, certaines choses ne sont possibles qu’au niveau des économies villageoises. J’aimerais que le système agricole canadien de demain me permette de nourrir mes voisins et qu’il collabore à la décommercialisation des aliments et des semences, à un endroit où le goût et la confiance l’emportent sur le dollar.