Mémoire de l’Union nationale des fermiers au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international concernant le Projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères du Commerce et du Développement (gestion de l’offre)
L’Union nationale des fermiers (UNF) est heureuse de présenter ses commentaires en appui à l’étude par le Comité du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).
Le projet de loi C-282 engagerait le Canada à ne pas hausser les quantités de produits laitiers, de volailles ou d’œufs entrant au Canada en franchise de droits et à ne pas réduire les tarifs pour les importations excédant le volume permis en vertu du contingent tarifaire. L’adoption du projet de loi C-282 permettrait aux concessions actuelles de l’ACEUM d’avoir libre cours, mais empêcherait l’imposition de nouvelles pertes de marché pour les producteurs de lait, de poulet, de dindon et d’œufs.
Plus de 80 % des députés ont voté en faveur du projet de loi C-282 lors de son adoption à la Chambre des communes. Les députés avaient le loisir de voter pour ce projet de loi d’initiative parlementaire comme bon leur semblait, démontrant un appui évident au système de la gestion de l’offre du Canada. Nous espérons que les sénateurs, pour défendre ce système précieux, voteront de la même façon. L’adoption du projet de loi C-282 empêcherait la fragilisation de la gestion de l’offre, ou même sa destruction par ceux qui utiliseraient nos marchés nationaux, et ainsi la disparition du moyen de subsistance des fermiers, de leurs employés, de leurs fournisseurs, des travailleurs des usines de transformation et de la sécurité alimentaire du Canada pour ces éléments importants de notre alimentation. Cette fragilisation ne pourrait être utilisée comme monnaie d’échange dans de futurs accords commerciaux dont les résultats sont incertains, ou possiblement mener à l’élimination pure et simple de la gestion de l’offre.
Le système de la gestion de l’offre du Canada est une institution remarquable élaborée par les agriculteurs en collaboration avec les gouvernements afin de résoudre des problèmes concrets : la surproduction, le gaspillage, la volatilité, l’inefficacité, les pénuries, la qualité et l’exploitation. La solution du Canada est élégante et simple qui a résisté à l’épreuve du temps. Elle offre aux consommateurs du lait, du poulet, du dindon et des œufs de grande qualité à longueur d’année, à des prix justes et prévisibles tant pour les agriculteurs que pour les transformateurs (la gestion de l’offre ne fixe pas les prix au détail, ce sont les épiciers qui le font), veille à ce que les fermiers aient une certaine stabilité leur permettant d’investir dans des améliorations à long terme en efficacité énergétique ou en bien-être animal, payer pour des produits et services ainsi qu’embaucher des travailleurs de leur communauté, et transmettre leur exploitation directement à la prochaine génération ou à de jeunes fermiers grâce à des programmes pour nouveaux producteurs aidant au démarrage.
Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international
Notre système de la gestion de l’offre repose sur trois piliers : la discipline de production (éviter tant la surproduction que la pénurie), la tarification au coût de production à la ferme (selon des données réelles, assurer que les profits sont générés par le marché, ce qui diminue le recours aux subventions gouvernementales) et les contrôles d’importation (assurer que l’offre et la demande soient équilibrées et que les importations sous-évaluées n’inondent pas le marché). Les trois piliers doivent tous être solides. Le projet de loi C-282 est conçu pour assurer que les futurs accords commerciaux ne déstabilisent ou n’éliminent pas le pilier des contrôles d’importation.
En 1995, quand l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été créée, les limites strictes d’importation du Canada ont été converties en contingents tarifaires (CT) qui permettent à un certain nombre de produits d’être importés en franchise. Ce seuil dépassé, les tarifs sont élevés, ce qui rend les importations supplémentaires peu rentables. Des CT supplémentaires ont été instaurés pour les produits laitiers dans l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) et l’Accord Canada– États-Unis–Mexique (ACEUM), ainsi que pour le poulet, le dindon et les œufs dans l’ACEUM. Nous partenaires commerciaux ont énormément profité de ces CT, en vendant un maximum de produits autorisés au Canada. En tant que signataire du PTPGP et de l’ACEUM, les É.-U. ont obtenu la plus grosse part des allocations en matière de CT.
En raison de ces concessions, 18 % des produits laitiers et près de 11 % des poulets au Canada sont importés. La plus grande partie de ces importations provient des É.-U.
Lorsque les consommateurs achètent des produits laitiers, de la volaille ou des œufs importés, cet argent consacré à l’alimentation quitte le Canada et ne génère aucune des retombées positives d’un dollar dépensé pour des produits canadiens. Lorsque nos populations et la demande augmentent, cette activité économique supplémentaire quitte notre pays et profite à d’autres, au lieu de permettre à plus de Canadiens de gagner leur vie en répondant à ces besoins.
La production canadienne de fromage a cessé de croître en 2017 après la mise en œuvre de l’AECG, alors que la consommation totale canadienne de fromage et nos importations venant de l’Europe ont augmenté. Entre 2016 et 2021, la population canadienne a augmenté de trois millions, mais pas notre cheptel laitier, et près de 1 700 producteurs laitiers ont perdu leur moyen de subsistance. Le coût humain du stress et des pertes de ces agriculteurs ne peut être mesuré.
Les opposants au projet de loi C-282 disent que les négociateurs d’ententes du Canada doivent avoir accès à toutes les concessions possibles. Ce qu’ils disent vraiment est que, pour conclure un accord, les négociateurs devraient pouvoir mettre les agriculteurs canadiens au bord du gouffre, retirer les moteurs économiques des communautés rurales, compromettre la qualité et la sécurité de notre système alimentaire et déstabiliser notre secteur de la transformation. Les partenaires commerciaux souhaitant accéder à nos marchés à offre réglementée savent qu’ils peuvent attendre que le Canada accepte de sacrifier davantage d’agriculteurs ainsi que tous les avantages découlant de notre système. L’adoption du projet de loi C-282 renforcerait le pouvoir des négociateurs en désarmant l’autre côté.
De plus, les secteurs qui opèrent déjà dans des environnements commerciaux mondiaux en grande partie en franchise de droits sont ceux qui appellent à mettre en péril le moyen de subsistance des producteurs de lait, de poulet, de dindon et d’œufs.
Les faibles exportations de nos secteurs bovins et porcins vers l’Europe ne sont pas attribuables à un manque d’accès. Malgré l’augmentation en 2016 de l’accès en franchise de droits de 23 200 à 50 000 tonnes de l’AECG, les exportations de bœuf canadien vers l’UE en 2021 n’ont été que de 1 418 tonnes. L’AECG a aussi ajouté 80 549 tonnes de porc au contingent précédent en franchise de droits du Canada de 7 000 tonnes de l’OMC. Pourtant, en 2021, le Canada n’a exporté que 568 tonnes de porc vers l’UE, près de 90 % de moins que les 5 000 tonnes exportées vers l’UE en 2011. Le Canada a des milliers de tonnes de CT non utilisés pour le porc et le bœuf en Europe, qui nos industries pourraient combler en respectant la réglementation de l’UE en matière d’utilisation de certains produits pharmaceutiques.
En ce qui concerne le canola, notre plus grand partenaire est la Chine. Ses problèmes avec le Canada ont été de nature politique, et non commerciale. La Chine n’est pas un exportateur de produits laitiers ou de poulet, alors nous n’avons rien à gagner en lui offrant l’accès à nos marchés à offre réglementée en échange de la paix commerciale.
Ceux qui demandent la fin pure et simple de la gestion de l’offre croient que la compétition internationale améliorerait l’efficacité des secteurs des produits laitiers et du poulet du Canada et réduirait les prix pour les consommateurs. Toutefois, en réalité, ça ne fonctionne pas de cette façon. Les prix au détail sont fixés par les épiciers et dans les pays qui n’ont pas de gestion de l’offre, les prix sont semblables à ceux du Canada. Après la déréglementation des secteurs laitiers de l’Union européenne, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, les agriculteurs ont rapidement accru leur production en espérant pouvoir vendre davantage. Le résultat : l’offre a grandement surpassé la demande et les prix ont chuté. Plus les prix sont bas, plus il faut générer d’importants volumes pour préserver les revenus, mais la surproduction entraîne les prix dans un cercle vicieux à la baisse. Plusieurs agriculteurs ont contracté des prêts afin de couvrir leurs coûts, mais ont ensuite déclaré faillite. Ce qui a parfois créé des pénuries. En Europe, pour prévenir le pire, les gouvernements sont intervenus avec d’importants paiements d’urgence.
La dynamique du triangle « surproduction, faillite, consolidation » prévaut toujours dans des pays comme les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. Même les plus grandes fermes laitières, dont certaines comptent plus de 10 000 vaches, exercent des pressions sur leurs gouvernements pour avoir accès aux marchés comme celui du Canada afin de soulager temporairement leur problème de surproduction. La logique de ces dynamiques mène à une situation de monopole où les consommateurs se voient offrir une proposition « à prendre ou à laisser » en matière de prix, d’accès et de qualité de leurs produits laitiers.
Une dynamique semblable est en jeu avec le poulet et les œufs, comme on l’observe dans la production avicole américaine, où la production commerciale s’opère à grande échelle. Ces fermes de poulet et d’œufs immenses et très denses sont plus à risque d’infections à la grippe aviaire en raison du surpeuplement et les chances de mutation d’une grippe aviaire qui pourrait infecter les humains, là où les travailleurs sont vulnérables, sont plus élevées. Aux É.-U., l’agriculture est exemptée de la réglementation sur la santé et la sécurité au travail et les entreprises dominantes souhaitant un accès aux marchés à offre réglementée du Canada s’opposent aux efforts pour améliorer la protection des travailleurs et les normes de travail de leur industrie. Les fermiers contractuels sont aussi à la merci des sociétés internationales de transformation qui leur dictent les modalités de production, contrôlent leur accès au marché et leur refilent tous les risques et toutes les dettes. Les producteurs de lait et de poulet américains ont vu leurs contrats prendre fin sans avertissement quand le transformateur a décidé de réduire les coûts et de diminuer la production. Des agriculteurs se sont retrouvés aux prises avec des dettes importantes sans moyen d’avoir des revenus; le désespoir de certains les a menés au suicide.
Lorsque vous allez voter pour le projet de loi C-282, peut-être allez-vous avoir une pensée pour les vies des agriculteurs, des travailleurs et des animaux dans les pays qui nous approvisionneraient, mais prenez surtout conscience que l’effondrement du système de la gestion de l’offre du Canada signifierait que la production de lait, de poulet, de dindon et d’œufs évoluerait vers le modèle extrêmement exploiteur qui domine aux É.-U., ou que nos secteurs seraient complètement remplacés par des importations majoritairement américaines. En permettant plus de concessions pour nos marchés à offre réglementée, on permettrait à l’argent « alimentaire » soutenant actuellement des milliers de familles d’agriculteurs, de travailleurs et de communautés rurales au Canada, et garantissant aux consommateurs un accès à des aliments de haute qualité de quitter notre économie et de plutôt contribuer à la domination d’une poignée d’entreprises surpuissantes.
Respectueusement soumis par
l’Union Nationale des Fermiers
Octobre 2024
L’Union nationale des fermiers (UNF) est une organisation nationale bénévole, non partisane et avec adhésion directe, composée de milliers de familles d’agriculteurs de toutes les régions du Canada. Fondée en 1969, l’UNF milite en faveur de politiques qui garantissent la dignité, la prospérité et un futur durable pour les fermiers, les familles d’agriculteurs, les travailleurs agricoles et leurs communautés.