Policy

Soumission de l’UNF à la consultation pré-budgétaire

Introduction

Le Canada est confronté à une crise aux multiples facettes qui exige du gouvernement fédéral qu’il utilise et développe sa capacité à défendre la souveraineté du Canada. La souveraineté alimentaire est essentielle à notre indépendance politique et économique vis-à-vis des États-Unis.

Les Canadiens ont fait preuve d’une immense détermination à résister à l’agression américaine, avec des préoccupations qui vont au-delà de l’économie. L’administration américaine s’est tournée vers l’autoritarisme, le racisme, la violence et l’anarchie, et semble se nourrir de cruauté et de destruction. Les inégalités croissantes au Canada accentuent l’incertitude, les troubles sociaux, la peur et l’aliénation – et augmentent notre vulnérabilité face à la domination politique américaine. Les coupes sombres dans les budgets opérationnels et les réglementations du gouvernement fédéral, si elles sont mises en œuvre, affaibliront la capacité du gouvernement au moment même où il est le plus nécessaire de réduire les inégalités, d’améliorer les services aux populations rurales, isolées et marginalisées, et de résoudre les grands problèmes qui exigent de se concentrer sur l’intérêt public.

Le Canada doit se doter d’une économie plus juste en renforçant les capacités du secteur public, en imposant des limites aux comportements intéressés des entreprises et en proposant des alternatives à la trajectoire qui nous a conduits jusqu’ici. C’est ainsi que nous éviterons de nous intégrer davantage au marché américain et de fournir des ressources matérielles et une légitimité politique à son gouvernement voyou.

Dans le contexte actuel, la construction d’une nation ne peut se faire sans les bases solides de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est le droit des peuples et des nations à définir leurs propres systèmes alimentaires, en donnant la priorité à la dignité économique des fermières et des travailleurs agricoles, à une bonne alimentation pour notre population, à la durabilité écologique et au bien-être des communautés. Elle permet de lutter contre les inégalités et de développer la véritable richesse de notre pays : notre population. Le prochain budget fédéral peut faire de l’agriculture une source de stabilité, de sécurité, de résilience et de prospérité communautaire en s’éloignant de l’hégémonie américaine.

Plan d’action

Depuis l’accord de libre-échange de 1989, le Canada est devenu plus dépendant des importations de produits alimentaires transformés à haute valeur ajoutée et de produits frais en provenance des États-Unis. Les coupes sombres opérées dans les organismes de réglementation américains, notamment la Food and Drug Administration et le Center for Disease Control, mettent en péril la sécurité alimentaire et la santé publique. L’emprisonnement massif, l’intimidation et l’expulsion d’immigrants et de résidents sans papiers aux États-Unis constituent une crise des droits de l’homme qui crée également des pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs de la transformation alimentaire et de l’agriculture. Les importations de denrées alimentaires en provenance des États-Unis sont de moins en moins sûres et de moins en moins disponibles.

Les réglementations ne sont pas simplement de la « paperasserie », mais des limites nécessaires aux acteurs privés pour promouvoir l’équité et sauvegarder les droits d’autrui. L’indépendance réglementaire vis-à-vis des États-Unis est une stratégie clé de diversification des échanges. Le pouvoir de réglementer est une composante essentielle de notre démocratie, et une mise en œuvre efficace doit être financée de manière adéquate.

Nous recommandons une augmentation d’au moins 25 % du budget de tous les organismes de réglementation de l’alimentation et de l’agriculture, y compris l’ACIA, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, la CCG et Santé Canada, afin de garantir que ces autorités soient libres de toute emprise réglementaire et qu’elles aient le mandat et la capacité d’appliquer les réglementations d’intérêt public de manière efficace et équitable.

Nous recommandons d’augmenter le financement des services frontaliers canadiens afin de faire respecter les réglementations canadiennes relatives aux aliments, aux plantes et aux animaux entrant dans le pays.

L’agriculture est le secteur le plus exposé à la détérioration des conditions climatiques. Il est nécessaire de prendre des mesures d’atténuation à l’échelle de l’économie (réduction des GES) et d’adaptation spécifiquement pour l’agriculture (gestion des impacts) afin de stabiliser le climat, de préserver notre approvisionnement alimentaire et d’assurer la dignité économique des fermières et des travailleurs agricoles. Les fermières citent systématiquement le changement climatique comme l’une de leurs principales préoccupations.

L’industrie pétrolière et gazière et le secteur agrochimique financent des campagnes visant à saper l’action climatique. Nous avons besoin d’une institution participative financée par des fonds publics et axée sur l’intérêt public pour créer de nouvelles connaissances et contrer les messages faux et dangereux qui bombardent les fermières via les médias sociaux, la publicité et les campagnes de relations publiques des entreprises. L’accès et l’implication dans la recherche pour une agriculture plus résistante au climat soutiendront les changements de production dans les fermes qui réduiront à la fois les émissions de gaz à effet de serre et les pertes dues aux impacts climatiques. Les outils d’IA ne peuvent pas se substituer à la résolution des problèmes par l’homme, en particulier lorsque les changements rapides de notre climat rendent la créativité et l’observation en temps réel essentielles.

Nous recommandons la création d’une institution fédérale de recherche et de vulgarisation agricole au sein de laquelle les fermiers, les scientifiques et les agronomes identifieraient et résoudraient ensemble les problèmes liés à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci, et partageraient les connaissances qui en résultent par le biais de multiples canaux, y compris des consultations en personne et des journées sur le terrain.

La reconstruction et l’expansion des infrastructures locales et régionales de production, de transformation, de stockage et de distribution des denrées alimentaires sont nécessaires pour disposer d’une capacité fiable et à long terme pour nourrir notre population. Cela permettra d’augmenter la capacité nationale de production alimentaire, de réduire les risques de perturbation de la chaîne d’approvisionnement et de minimiser les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture.

Les programmes de gestion des risques de l’entreprise (GRE) – Agri-stabilité, Agri-investissement, Agri-relance et Agri-protection (assurance-récolte) – sont défavorables aux exploitations agricoles plus petites et diversifiées qui jouent un rôle clé dans l’augmentation de la capacité de production alimentaire nationale et la revitalisation des communautés rurales. Les MRE existantes comportent également des incitations perverses et sont appliquées de manière incohérente par les provinces. Le remplacement de ces programmes par un ensemble basé sur un cadre de multifonctionnalité agricole permettrait de renforcer les pratiques environnementales, la disponibilité des aliments, le transfert de connaissances, la sécurité alimentaire et la dignité économique des fermières en tant que valeurs fondamentales interdépendantes dans la conception des politiques et des programmes, des caractéristiques qui offrent des avantages à la fois privés et publics.

Nous recommandons de financer un groupe de travail participatif en 2026-27 pour concevoir de nouveaux programmes à mettre en œuvre lorsque le cycle actuel du Cadre stratégique pour l’agriculture se terminera en 2028. Ce nouveau cadre devra :

  • accroître la capacité du Canada à produire, transformer, stocker et distribuer des denrées alimentaires destinées à la consommation intérieure afin de garantir un approvisionnement fiable en denrées alimentaires nutritives et de haute qualité pour les résidents du Canada ;
  • préserver les revenus des fermières ;
  • faire progresser l’atténuation des GES et soutenir l’adaptation aux effets du changement climatique sur les exploitations et les infrastructures agricoles ;
  • améliorer la biodiversité, la qualité/conservation de l’eau et la réduction de la toxicité ;
  • promouvoir l’inclusion sociale et la diversité des fermières et des travailleurs du secteur alimentaire ;
  • favoriser l’installation réussie des jeunes et des nouveaux fermiers ; et
  • renforcer le dynamisme des communautés rurales et la qualité de vie en milieu rural.

Nous recommandons au gouvernement fédéral de s’associer aux gouvernements provinciaux et municipaux pour mettre en place un cadre national d’achat de produits alimentaires locaux, inspiré du Programa de Aquisição de Alimentos du Brésil, pour les écoles, les hôpitaux, les prisons et les autres établissements publics.

La perte de fermières au Canada – 23% des fermes de 2001 disparues d’ici 2021 – est une crise économique et sociale imminente qui ne peut être résolue par l’automatisation et la technologie numérique. L’expansion de la capacité du marché intérieur et la construction d’un système agricole et alimentaire plus résilient et plus robuste nécessitent une main-d’œuvre plus importante où tous les travailleurs de l’industrie agricole et alimentaire ont des droits du travail complets, y compris des permis de travail ouverts et une voie vers la citoyenneté pour les travailleurs migrants, ainsi que des extensions de permis de travail pour fournir un statut aux travailleurs migrants pendant que les demandes de résidence permanente sont traitées.

La stratégie du Canada en matière de main-d’œuvre agricole doit tenir compte de la saisonnalité en permettant aux travailleurs agricoles saisonniers résidents d’avoir accès à un revenu décent tout au long de l’année, grâce à une combinaison d’options d’assurance-emploi prolongée et d’emplois contre-saisonniers, selon les besoins.

Nous recommandons de réviser les programmes de travailleurs migrants temporaires du Canada, ainsi que la législation et la réglementation en matière d’immigration, afin de garantir des droits du travail complets et une voie d’accès fiable à la résidence permanente.

Nous recommandons de réviser le programme d’assurance-emploi du Canada afin de le rendre accessible aux travailleurs agricoles saisonniers qui résident au Canada.

Le Canada doit maintenir et renforcer la gestion de l’offre. Accroître l’accès aux quotas pour les jeunes et les nouveaux fermiers, et soutenir les opportunités de développer des systèmes de production alternatifs dans le cadre de la gestion de l’offre, favorisera le renouvellement et la résilience, préviendra la volatilité et les perturbations, et permettra la sécurité alimentaire à long terme et l’indépendance vis-à-vis du marché américain pour les produits laitiers, le poulet, les œufs et la dinde.

Nous recommandons un financement pour renforcer la capacité des offices de commercialisation à développer les programmes pour les nouveaux arrivants et les possibilités de production/transformation alternatives.

La sélection végétale publique est un élément essentiel de la réussite agricole du Canada. L’année 2025 a marqué le 100e anniversaire du Laboratoire fédéral de la rouille, créé pour étudier la maladie des plantes (rouille des tiges) et sélectionner des variétés résistantes à la suite des pertes de rendement désastreuses causées par les épidémies. Aujourd’hui, le changement climatique affecte les conditions de croissance, les ravageurs et les maladies des plantes, et l’atténuation des effets exige des variétés qui donnent de bons résultats avec des intrants réduits. La sélection privée se concentre sur les rendements pour les investisseurs, ce qui se traduit par des coûts de semences et d’intrants plus élevés pour les fermières, et par la négligence des cultures dont les superficies sont plus petites ou dont les achats de semences sont moins fréquents. Pour développer des semences qui répondent aux besoins des fermières et du Canada en matière de systèmes de culture performants et diversifiés dans un contexte de changement climatique, il faut rétablir un engagement total en faveur de la sélection végétale publique jusqu’au niveau de la variété finie.

Nous recommandons une augmentation de 15 % du financement total de la sélection végétale publique, y compris le transfert de matériel génétique prometteur jusqu’au niveau de la variété finie pour tous les types de cultures, y compris les variétés à faible niveau d’intrants, à distribuer sans redevance.

Nous recommandons qu’ AAC s’engage à embaucher des sélectionneurs en début et en milieu de carrière ainsi que du personnel technique en sélection végétale afin de conserver et de reconstruire la capacité de sélection végétale du secteur public.

Partout au Canada, les revenus de l’agriculture ne parviennent pas à couvrir le coût croissant des terres agricoles. Les terres agricoles étant de plus en plus financiarisées, elles deviennent inaccessibles aux aspirants jeunes et nouveaux fermiers sans s’endetter massivement. La dette agricole totale a augmenté de 20 milliards de dollars entre 2023 et 2024, dont une grande partie est constituée de dettes foncières. Les sociétés d’investissement et les sociétés de capital-investissement achètent des terres agricoles pour spéculer, obtenir des revenus locatifs et placer leur argent en toute sécurité en période de turbulences. Les investisseurs passifs et les institutions financières capitalisent sur les besoins des fermières en maximisant les loyers et les prix des terres. Lorsque les fermières doivent payer des loyers et des hypothèques excessifs, elles disposent de moins d’argent pour d’autres dépenses, ce qui rend la survie des entreprises locales plus difficile.

En décourageant les investissements passifs dans les terres agricoles, on contribuerait à rétablir la relation entre le prix des terres agricoles et leur valeur productive, à libérer davantage de revenus pour la prospérité locale, à promouvoir la sécurité alimentaire à long terme et les moyens de subsistance en milieu rural, et à empêcher que nos meilleures terres agricoles ne deviennent des zones d’étalement urbain ou des autoroutes.

Nous recommandons de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) afin de créer un registre public national divulguant la propriété effective de toutes les terres agricoles, c’est-à-dire les personnes qui détiennent ou contrôlent ces investissements.

Nous recommandons de modifier la loi sur l’impôt sur le revenu afin d’éliminer le traitement de tous les investissements des sociétés de capital-investissement dans les terres agricoles, de supprimer l’exonération des plus-values pour les investissements des sociétés de capital-investissement dans les terres agricoles et d’exiger des propriétaires étrangers qu’ils paient une surtaxe de 100 % sur tous les dividendes des fonds de capital-investissement détenant des terres agricoles.

L’agriculture adopte de nombreux outils numériques et basés sur le cloud, y compris l’IA, plus rapidement qu’ils ne peuvent être évalués. La « formation » à l’IA générative n’est pas transparente, ce qui rend difficile l’évaluation de ses résultats. En 2024, Horizons politiques Canada a qualifié l’IA de « perturbateur sociétal à forte probabilité et à fort impact, avec des effets synergiques ».

Nous recommandons au gouvernement fédéral d’adopter une approche prudente en ce qui concerne l’utilisation de l’IA par le gouvernement lui-même, et d’élaborer un cadre réglementaire et de gouvernance solide pour l’IA au Canada, avec un financement pour la surveillance, la recherche et la capacité d’application afin d’agir lorsque des impacts nuisibles potentiels sont détectés.

Nous recommandons au gouvernement fédéral d’établir un cadre de gouvernance numérique qui permette aux fermiers de bénéficier des données générées sur leurs exploitations et de limiter la manière dont les big data agricoles peuvent être collectées et/ou utilisées par les grandes entreprises agroalimentaires, les employeurs agricoles et les entreprises ag-tech.

Nous recommandons la mise en place d’un service de cloud computing financé par l’État et géré comme un service public par le gouvernement fédéral afin de contrer le pouvoir monopolistique des entreprises technologiques, d’offrir un choix et de défendre la souveraineté économique et politique du Canada.

Résumé des recommandations :

– Accroître la capacité opérationnelle et réglementaire du gouvernement fédéral pour faire face à des crises multiples, y compris les menaces américaines contre la souveraineté du Canada.

– Augmenter les fonds alloués aux organismes de réglementation dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture, veiller à ce qu’ils ne soient pas accaparés par la réglementation et qu’ils aient le mandat et la capacité d’appliquer correctement les réglementations d’intérêt public.

– Créer une institution fédérale de recherche et de vulgarisation agricole pour les fermiers, les scientifiques et les agronomes afin d’identifier et de résoudre ensemble les problèmes liés à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci.

– Concevoir une nouvelle série de programmes de soutien à la souveraineté alimentaire basés sur la multifonctionnalité de l’agriculture.

– Établir un cadre national d’achat de produits alimentaires locaux en partenariat avec les gouvernements provinciaux et municipaux.

– Élaborer une stratégie en matière de main-d’œuvre agricole afin d’assurer la production alimentaire nationale et de soutenir la dignité économique des travailleurs résidents et migrants.

– Améliorer la capacité des offices de commercialisation de la gestion de l’offre à ajouter de nouveaux entrants et d’autres possibilités de production/transformation.

– Augmenter les fonds destinés à la sélection végétale publique.

– Créer un registre public de la propriété effective de toutes les terres agricoles.

– Créer des mesures fiscales dissuasives pour réduire l’inflation des terres agricoles.

– Réglementer l’intelligence artificielle (IA) et élaborer un cadre juridique pour la gouvernance des données agricoles.