Policy

Commentaire sur la proposition de l’ACIA concernant la réglementation des plantes génétiquement modifiées

Résumé

Le gouvernement canadien est en train de décider comment réglementer les plantes développées à l’aide de nouvelles technologies connues sous le nom d' »édition de gènes » ou d' »édition du génome ». L’édition de gènes est un ensemble relativement nouveau de techniques de génie génétique utilisées pour modifier l’ADN des plantes, des animaux et des micro-organismes afin de changer leur phénotype (caractéristiques observables).

L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) est chargée de réglementer les plantes génétiquement modifiées (OGM) en matière de sécurité environnementale. Elle le fait sous l’autorité du règlement sur les semences – partie V, qui définit les critères permettant de déterminer si les plantes sont considérées comme des « plantes à caractères nouveaux » (VCN) et, le cas échéant, comment elles sont réglementées(1 ) . Actuellement, toutes les plantes génétiquement modifiées sont soumises à la partie V et doivent être approuvées par l’ACIA avant d’être mises sur le marché. L’ACIA propose de modifier son interprétation de ce règlement afin que la plupart des nouvelles plantes créées par édition génétique soient exemptées de la partie V du règlement sur les semences, ce qui leur permettrait d’être disséminées dans l’environnement (c’est-à-dire plantées) sans aucune surveillance réglementaire ni notification. Par conséquent, les entreprises pourraient vendre ces produits sans fournir de données à l’ACIA, ni notifier à l’autorité de régulation, au public ou aux fermières qu’ils sont génétiquement modifiés.

Santé Canada est responsable de la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux et doit évaluer et approuver les VCN utilisés dans l’alimentation humaine ou animale et en informer le public avant qu’ils ne soient vendus au Canada. Santé Canada et l’ACIA proposent de nouveaux documents d’orientation réglementaire axés sur les VCN mis au point grâce à la technologie de l’édition génétique. Un guide réglementaire ne modifie pas le règlement, mais indique aux régulateurs comment l’interpréter lorsqu’ils l’appliquent à des cas particuliers. Un guide réglementaire doit aider les personnes ou les entreprises à comprendre ce qu’elles doivent faire pour se conformer à la réglementation ; il ne doit pas modifier l’intention de la réglementation.

Santé Canada a tenu une consultation sur son projet de lignes directrices relatives à la réglementation des aliments modifiés génétiquement en avril et mai 2021 (voir le mémoire de la Nationale des Fermiers ici), et prévoit de rendre compte de ce qui a été entendu à l’automne 2021.

Les orientations proposées par l’ACIA permettraient aux développeurs de plantes (sociétés de biotechnologie) de décider eux-mêmes si leur produit répond aux critères de l’ACIA pour être réglementé en tant que VCN. Elle propose d’exempter de la réglementation les plantes génétiquement modifiées qui ne contiennent pas d’ADN étranger si elles ne sont pas susceptibles d’avoir l’un des quatre impacts environnementaux énumérés par l’ACIA. En outre, les critères proposés exempteraient certaines plantes génétiquement modifiées qui possèdent un caractère précédemment approuvé par l’ACIA, même si le caractère approuvé se trouvait dans une autre espèce végétale ou avait été développé à l’aide d’une technologie différente.

Les approbations continues de l’ACIA éliminent donc progressivement la « nouveauté » et élargissent les motifs d’exemption. En outre, le guide propose d’autoriser les développeurs de plantes à demander des lettres officielles de l’ACIA pour confirmer que leur produit est exempté de la réglementation, et que ces lettres pourraient rester confidentielles. Ces lettres pourraient être utilisées pour créer des précédents permettant aux développeurs d’usines d’éviter la réglementation dans d’autres pays, ou pourraient être utilisées pour faire avancer des accords commerciaux privés. Au lieu de procéder à une évaluation transparente de la sécurité pour protéger l’intérêt public, l’ACIA, en proposant ces lettres, fournirait en secret un service à des sociétés privées.

La réglementation est un élément de notre système de gouvernance démocratique. La réglementation fixe des limites aux activités des individus et des entreprises par le biais d’un processus de responsabilité publique.. Le pouvoir réglementaire est à la fois autorisé et limité par les lois adoptées par le Parlement. Les règlements sont élaborés et mis en œuvre par des fonctionnaires responsables devant le ministre de leur département. Les règlements conformes à la législation n’entrent en vigueur qu’après avoir été approuvés par le ministre compétent ou le cabinet dans son ensemble. Il existe donc une ligne de responsabilité directe entre les règlements et les Canadiens par l’intermédiaire du Parlement.

L’ACIA et Santé Canada présentent le débat actuel sur la réglementation des plantes génétiquement modifiées comme une question de sécurité, alors qu’il s’agit en réalité d’une question de pouvoir. Les directives réglementaires proposées par l’ACIA et Santé Canada réduisent considérablement le rôle du régulateur public et étendent la capacité des entreprises privées à agir sans contrainte. On peut affirmer que les orientations réglementaires proposées ne sont pas cohérentes avec le règlement et que Santé Canada et l’ACIA outrepassent leur autorité en utilisant des orientations réglementaires pour modifier l’intention du règlement. Ces propositions de lignes directrices réglementaires ouvrent la voie à une réduction progressive de la surveillance publique et à l’extension de l’introduction non réglementée de plantes génétiquement modifiées, en particulier celles produites par édition de gènes. L’objectif de la partie V du règlement sur les semences est de réglementer l’introduction de nouvelles plantes, et non de les déréglementer. Les documents de discussion de la consultation présentent une vision non critique de la technologie d’édition de gènes, minimisant les risques, alors que sa nouveauté et son potentiel à apporter des changements jusqu’ici inimaginables aux génomes des plantes signifient qu’un contrôle public prudent et bien informé de son application est nécessaire.

Un petit nombre de multinationales contrôlent la technologie d’édition génétique grâce aux brevets qu’elles détiennent : Corteva détient des brevets exclusifs sur les principales technologies CRISPR/Cas. ChemChina (Syngenta), Bayer, BASF possèdent également de nombreux brevets importants relatifs à l’édition de gènes. Ces quatre entreprises contrôlent non seulement plus de 60 % du marché mondial des semences, mais elles dominent également le marché des pesticides, des autres produits chimiques et des produits pharmaceutiques. Elles sont responsables devant leurs actionnaires et leur devoir est d’accroître la valeur actionnariale en maximisant les bénéfices.

Les orientations réglementaires proposées renforceraient le pouvoir de Corteva, ChemChina, Bayer, BASF et d’autres grandes entreprises de semences et de produits chimiques de façonner l’avenir du système agricole et alimentaire du Canada dans leur propre intérêt. En fournissant à ces entreprises des outils leur permettant d’accroître leur capacité à tirer profit des semences, des produits chimiques et du travail des fermières qui cultivent les aliments et gèrent les exploitations, le gouvernement fédéral permettrait à ces entreprises de devenir encore plus puissantes tout en empêchant les futurs régulateurs et décideurs politiques d’intervenir dans l’intérêt du public.

Des informations sur la manière de participer à la consultation de l’ACIA figurent à la fin du présent document.

Qu’est-ce que l’édition de gènes ?

Les nouvelles technologies génétiques utilisées dans la sélection végétale ont pour but de créer de nouvelles variétés. Les partisans de l’édition génétique mettent en avant la capacité de la technologie à apporter des changements radicaux aux plantes, non seulement plus rapidement, mais aussi sans que les méthodes traditionnelles de sélection des plantes ne le permettent. L’édition de gènes peut également être utilisée pour modifier l’ADN des animaux (y compris les humains), des champignons et des organismes unicellulaires. L’édition de gènes, également appelée édition du génome, utilise des techniques telles que CRISPR/Cas pour modifier l’ADN sur une cible spécifique du génome d’une plante, d’un animal ou d’un microbe. Le génome est l’ensemble des gènes ou du matériel génétique présents dans une cellule ou un organisme. CRISPR est l’outil d’édition de gènes le plus connu à l’heure actuelle, mais de nouveaux outils d’édition de gènes encore plus puissants sont en cours de développement (2).

La technologie d’édition de gènes peut être utilisée pour modifier la fonction de l’ADN d’une plante en réduisant au silence ou en forçant l’expression de gènes spécifiques, en supprimant des gènes et/ou en modifiant l’emplacement des gènes dans le génome. Elle peut également être utilisée pour ajouter de nouvelles séquences génétiques à des endroits spécifiques. On s’attend à ce que de nombreuses plantes génétiquement modifiées soient produites en utilisant une séquence « éditeur » composée d' »ADN étranger » (trouvé à l’origine dans un autre organisme) pour modifier l’ADN de la plante, puis en retirant l’ADN « éditeur » une fois qu’il aura apporté des modifications au génome. Bien qu’il ait été modifié par ce processus, l’ADN de la plante n’est pas considéré comme « étranger », même s’il a été modifié d’une manière qui n’est pas possible dans le cadre d’une reproduction biologique naturelle.

Avec l’édition de gènes, les développeurs de plantes peuvent modifier des sites spécifiques du génome d’une plante, mais ils n’ont pas un contrôle total sur les résultats. Les cellules « lisent » les instructions de l’ADN qui leur indiquent de produire des protéines spécifiques. Les « mots » de l’ADN consistent en une série de paires de bases moléculaires disposées dans un ordre spécifique dans la molécule d’ADN en spirale. La technologie d’édition de gènes sépare les séquences existantes sur le site cible du génome et s’appuie sur le mécanisme de réparation de la cellule pour recomposer la molécule d’ADN, soit en ajoutant une nouvelle séquence, soit en supprimant une séquence existante. Le processus ne se déroule pas toujours comme prévu. L’éditeur de gènes peut également modifier d’autres parties du génome, ce qui entraîne des « effets hors cible ». Les modifications apportées au site cible peuvent également avoir des effets non intentionnels, appelés « effets sur la cible ». Le processus d’édition de gènes peut amener la cellule à réarranger son propre ADN – brouillant les « mots » génétiques et leur donnant de nouvelles significations. Elle peut entraîner l’effacement de grandes quantités d’ADN, supprimant ainsi des « paragraphes » entiers du livre, ou l’insertion de nombreuses séquences dupliquées, ajoutant ainsi de nouveaux « paragraphes ». Certains des outils d’édition de gènes à ADN étranger utilisés pour diriger et couper l’ADN peuvent également s’incorporer de manière inattendue à l’ADN original de la plante. Un grand nombre de nos cultures vivrières importantes, telles que le blé et le maïs, sont polyploïdes – elles possèdent plusieurs paires de chromosomes, ce qui accroît à la fois leur complexité génétique et le risque d’erreurs d’édition de gènes.

Comme nous l’avons vu lors de la chaleur et de la sécheresse extrêmes de l’été 2021, le stress peut amener les plantes à exprimer des caractéristiques atypiques telles qu’une maturité plus précoce, une taille plus courte, moins de graines dans les cultures céréalières et dans les bisannuelles telles que les carottes et les betteraves, qui montent en graine dès leur première année – même lorsqu’elles n’ont pas été génétiquement modifiées. De nouvelles recherches dans le domaine de l’épigénétique – les effets intergénérationnels des contraintes environnementales sur l’expression des gènes – montrent que les organismes peuvent hériter des changements provoqués par l’expérience des parents sans modifier leur ADN. Les nouvelles connaissances scientifiques sur l’épigénétique pourraient avoir des conséquences importantes sur la compréhension des risques et des résultats complexes de l’édition de gènes au fil du temps.

En bref, il n’existe pas encore de connaissances complètes sur l’édition de gènes, le développeur de la plante n’a pas un contrôle total sur les actions du matériel génétique utilisé pour modifier le génome de la plante, et la réponse de la plante aux modifications de son génome n’est pas entièrement prévisible. Ce qui peut sembler être de petites modifications dans la séquence des gènes peut amener la plante à « lire » son ADN d’une nouvelle manière, ce qui l’amène à produire des protéines imprévues, à activer des gènes normalement « silencieux » et à faire taire des gènes qui sont normalement exprimés. Ces protéines non prévues et l’expression ou l’inhibition inattendue de gènes peuvent avoir une incidence sur l’impact environnemental des plantes modifiées et peuvent affecter la physiologie des plantes en général, ou lorsqu’elles sont soumises à un stress particulier.

Même lorsque le processus d’édition de gènes aboutit exactement aux changements souhaités par les développeurs de plantes, l’intérêt de l’utilisation de la technologie d’édition de gènes est de créer un nouveau génome qui n’existait pas auparavant, de le faire rapidement et, dans de nombreux cas, de modifier des parties du génome que les techniques de sélection conventionnelles ne faisant pas appel au génie génétique n’affectent pas. Il n’y a pas de correspondance univoque entre les gènes et les protéines ou les caractéristiques. Il y a encore beaucoup de choses que l’on ne sait pas sur la relation entre l’ADN et les cellules individuelles et les organismes entiers. Ainsi, un inventaire complet de la séquence du génome des plantes génétiquement modifiées ne permet pas de savoir comment les gènes modifiés fonctionneront dans l’organisme vivant.

Que changeraient les orientations proposées par l’ACIA ?

L’ACIA propose d’exempter la plupart des nouvelles plantes créées par édition génétique de la partie V du règlement sur les semences. Les végétaux exemptés peuvent être disséminés dans l’environnement (c’est-à-dire plantés) sans aucune surveillance réglementaire ni notification.

Les orientations réglementaires actuelles stipulent que « le statut de VCN est déterminé par la présence d’un caractère nouveau dans une plante, quelle que soit la méthode utilisée pour l’introduire« (3). [emphasis in the original]

Selon les orientations proposées, les plantes génétiquement modifiées ne seraient couvertes par la partie V que si elles appartiennent à des espèces qui n’ont jamais été cultivées au Canada auparavant, si elles contiennent de l’ADN étranger ou si elles présentent un caractère susceptible d’entraîner l’une des quatre incidences sur l’environnement énumérées dans le règlement :

1. rendre le contrôle plus difficile en supprimant une option de gestion ;
2. introduire ou renforcer une toxine, un allergène ou un autre composé susceptible d’avoir des effets négatifs sur des organismes non ciblés dans l’environnement ;
3. améliorer sa survie dans la nature au point de devenir une mauvaise herbe envahissante ; ou
4. provoquerait ou renforcerait la présence d’un organisme nuisible aux végétaux ou créerait un réservoir pour un organisme nuisible aux végétaux (toute espèce, souche ou biotype de végétal, d’animal ou d’agent pathogène nuisible aux végétaux ou aux produits végétaux).

Les orientations proposées exempteraient les plantes génétiquement modifiées lorsque les concepteurs du produit déterminent que leurs nouvelles caractéristiques n’ont pas eu l’un des quatre impacts susmentionnés et si l’ADN étranger utilisé pour introduire ces nouvelles caractéristiques est ensuite supprimé.

Aux fins de la réglementation, la nouveauté d’une plante dépend du concept d' »équivalence substantielle », que l’ACIA définit comme « aucune différence significative dans l’utilisation spécifique et la sécurité de la plante par rapport aux plantes de cette espèce qui ont été cultivées au Canada ». Les décisions prises sur la base de l’équivalence en substance ne peuvent pas être vérifiées scientifiquement, car le concept repose sur des hypothèses et des critères subjectifs qui ne sont ni définis ni rendus publics.

Selon les orientations proposées, les nouvelles plantes dont les caractères sont jugés substantiellement équivalents à ceux de plantes précédemment approuvées sans conditions seront exemptées de l’application de la partie V. Au fil du temps, de moins en moins de plantes génétiquement modifiées seront couvertes par la partie V. Les approbations antérieures de plantes OU de caractères seront considérées comme suffisantes pour permettre la dissémination dans l’environnement de nouvelles plantes sans autre examen, même lorsque le caractère en question est introduit dans une espèce différente de celle qui a fait l’objet de l’approbation initiale.

L’ACIA a déjà approuvé des OGM qui ont eu les effets négatifs sur l’environnement censés justifier une réglementation : les cultures tolérantes aux herbicides (par exemple, RoundUp Ready) ont réduit les possibilités de lutte contre les mauvaises herbes et accéléré l’évolution des mauvaises herbes résistantes aux herbicides ; les cultures résistantes aux insectes (Bt) ont favorisé l’évolution de la résistance au Bt chez les parasites des plantes, comme la chrysomèle des racines du maïs, et ont eu des effets négatifs sur les espèces non ciblées ; les cultures tolérantes aux herbicides ont accru leur potentiel d’invasion des écosystèmes naturels (4). Étant donné que les plantes génétiquement modifiées présentant ces caractéristiques seraient également considérées comme « substantiellement équivalentes » aux OGM précédemment approuvés, il existe un manque de clarté important quant à la question de savoir si ces impacts négatifs sur l’environnement entraîneraient effectivement une réglementation au titre de la partie V.

Il appartient aux développeurs de plantes de déterminer si leur nouvelle plante génétiquement modifiée est soumise à la partie V. Ils sont fortement incités à minimiser les risques environnementaux potentiels et à faire preuve de laxisme dans leurs efforts pour détecter tout ADN étranger qui aurait pu être incorporé dans le génome modifié, afin d’éviter les coûts liés à la procédure réglementaire. S’ils pensent que leur produit est exempté, ils peuvent demander une lettre officielle de l’ACIA pour confirmer l’exemption. L’enquête de consultation de l’ACIA demande si ces lettres devraient être rendues publiques. Si elles restent confidentielles, l’ACIA fournira un service privé en secret au profit des développeurs de semences qui cherchent à obtenir une déclaration officielle selon laquelle leur produit n’est pas soumis à la réglementation canadienne, tout en refusant au public la possibilité de savoir si la plante a fait l’objet d’une édition génétique.

L’ACIA peut ne pas être d’accord avec le développeur de l’usine et déterminer que l’usine est finalement soumise à la partie V. Le promoteur peut faire appel de cette décision s’il n’est pas d’accord. En revanche, si les membres du public ne sont pas d’accord avec une décision de l’ACIA, ils n’ont aucun recours.

Pour consulter le texte complet de la proposition de directive de l’ACIA, cliquez ici.

Quels sont les enjeux ?

Absence de débat public
La politique de longue date de l’UNF sur les aliments génétiquement modifiés stipule que « tous les Canadiens, qu’ils soient fermiers ou non, doivent s’engager dans un débat éclairé sur la modification génétique des aliments. Les citoyens doivent examiner les aliments génétiquement modifiés dans le contexte social, historique, environnemental, économique et éthique le plus large possible. À l’issue de ce débat, les citoyens – et non les entreprises qui promeuvent ces produits – doivent décider d’accepter ou de rejeter les aliments génétiquement modifiés ». (Lisez la politique complète ici).

Au cours de l’élaboration des projets de directives réglementaires, l’ACIA et Santé Canada ont tenu au moins huit réunions avec le groupe de pression CropLife Canada, spécialisé dans les biotechnologies et les pesticides, et plusieurs autres réunions avec des « parties prenantes » dont CropLife faisait partie. En janvier 2020, Santé Canada a créé un groupe de travail gouvernement-industrie composé de représentants de CropLife Canada, de l’Association canadienne du commerce des semences (aujourd’hui Semences Canada) et du Conseil des grains du Canada (dont le président-directeur général de CropLife est le vice-président), ainsi que de représentants de l’ACIA en tant qu’observateurs, afin de contribuer à l’élaboration de ses orientations réglementaires (5). Tant Santé Canada que l’ACIA ont activement sollicité l’avis des entreprises qu’ils réglementent et ont conçu les documents d’orientation proposés en fonction des priorités de l’industrie.

L’édition de gènes est une nouvelle technologie de génie génétique puissante qui pourrait perturber le système agricole et alimentaire du Canada. Comment, où et dans l’intérêt de qui les techniques peuvent être utilisées, sont des questions qui concernent tous les Canadiens, et pas seulement les développeurs de produits. La consultation de l’ACIA et les consultations récemment fermées de Santé Canada n’offrent pas la possibilité d’une discussion publique complète et significative. Les orientations proposées empêcheraient les Canadiens d’avoir le dialogue public nécessaire sur les plantes génétiquement modifiées avant qu’elles ne soient introduites dans notre système alimentaire et agricole.

Pas de base scientifique
L’ACIA prétend utiliser un processus décisionnel fondé sur la science. L’accent mis sur la science semble être moins une question de dévouement à la science qu’une justification pour maintenir une attention étroite sur les questions techniques afin d’exclure les préoccupations légitimes et valables du public concernant les implications plus larges de ses décisions. Dans les orientations réglementaires proposées, l’ACIA affaiblit à plusieurs égards ses prétentions à une réglementation fondée sur la science. En exemptant les plantes génétiquement modifiées au motif qu’elles ne contiennent pas d’ADN étranger, l’ACIA assimile l’absence d’ADN étranger à l’absence de risque. Cette approche ne tient pas compte d’un principe fondamental de la science, à savoir que la science crée continuellement des connaissances et que les nouvelles recherches révèlent de nouvelles compréhensions. Le gouvernement encourage vigoureusement l’innovation, mais avec les orientations proposées, l’ACIA rejette fermement toute curiosité scientifique concernant les impacts connus ou futurs de ces innovations.

L’exemption proposée pour les plantes génétiquement modifiées qui ne contiennent pas d’ADN étranger ou qui sont « substantiellement équivalentes » à des VCN déjà approuvés empêcherait le public d’accéder aux informations sur ces plantes génétiquement modifiées et empêcherait l’ACIA de rechercher les informations nécessaires pour évaluer leurs effets à long terme sur l’environnement. L’élargissement des exemptions réglementaires libère l’ACIA de cette obligation et fait peser par défaut la charge, les coûts et les risques d’impacts futurs sur les fermières et le grand public.

Les orientations proposées supposent également, de manière non scientifique, une connaissance de l’avenir avec les dérogations accordées aux versions génétiquement modifiées de plantes dont les caractéristiques ont déjà été approuvées. Elle part du principe que tous les résultats possibles de l’édition génétique se situent dans la fourchette des résultats déjà connus des régulateurs de l’ACIA. Cette exemption regroupe également un large éventail de modifications génétiques spécifiques qui aboutissent au « caractère substantiellement équivalent », mais n’a aucune curiosité scientifique pour les éventuelles modifications génétiques involontaires qui aboutissent à des caractéristiques (ou à des caractères non documentés) qui, en réalité, font partie du phénotype de la plante, c’est-à-dire de ses caractéristiques observables lorsqu’elle est cultivée dans diverses conditions dans l’environnement.

Les orientations proposées s’appuient sur des entreprises privées pour déterminer si leur produit est soumis à la réglementation, et il n’y a donc pas de transparence quant aux recherches qui appuient leurs décisions, le cas échéant. L’ACIA ne peut donc pas évaluer les conclusions de l’entreprise. Si une entreprise décide que son produit doit être approuvé par l’ACIA, cette dernière se contente d’examiner les données fournies par l’entreprise. Les informations soumises pour les approbations réglementaires sont considérées comme des informations commerciales confidentielles et ne peuvent être divulguées en vertu de la loi sur l’accès à l’information. Refuser l’accès du public aux données n’est pas scientifique, car le processus scientifique est basé sur l’ouverture. La science progresse grâce à l’examen des études par les pairs, à la reproduction des expériences et à l’application de nouvelles idées pour tester les conclusions passées. En protégeant et en encourageant le secret des données utilisées pour soutenir les approbations et commercialiser les produits, l’ACIA contredit son engagement déclaré en faveur d’une prise de décision fondée sur la science.

Atteinte prévisible aux marchés sensibles
Les nouvelles technologies génétiques sont controversées. Il existe des marchés sensibles où les plantes génétiquement modifiées ne sont pas acceptées par les consommateurs et/ou où les réglementations nationales exigent des approbations gouvernementales rigoureuses. Tous les pays n’ont pas encore finalisé leur approche réglementaire des plantes génétiquement modifiées. Les orientations réglementaires proposées par l’ACIA exempteraient de nombreuses plantes génétiquement modifiées non seulement de toute évaluation environnementale, mais aussi de toute obligation de notification au public. Il n’y aurait aucune transparence quant à la question de savoir si une nouvelle variété cultivée au Canada est le produit de l’édition de gènes. Pour les marchés sensibles, cela pourrait se traduire par le rejet des exportations canadiennes de cultures dont on sait ou dont on soupçonne qu’elles contiennent des variétés génétiquement modifiées. Lorsque le lin canadien a été contaminé par la variété de lin OGM Triffid, dont l’enregistrement a été retiré, tous les fermiers, que leurs semences aient été contaminées ou non, ont subi des pertes en raison du rejet généralisé du marché et du coût de la remise en état de l’approvisionnement en semences de lin. Une situation similaire est prévisible à la suite de l’exemption de nombreuses plantes génétiquement modifiées de la réglementation canadienne.

Les normes internationales relatives à la production biologique certifiée interdisent l’utilisation de plantes génétiquement modifiées (6). Sans notification publique de toutes les variétés génétiquement modifiées, les fermières biologiques risquent de planter par inadvertance des semences interdites et de contaminer des cargaisons biologiques en vrac. Cela porterait préjudice à l’agriculteur individuel, aux agriculteurs dont les céréales ont été mélangées à la variété interdite, et potentiellement à tous les agriculteurs cultivant cette culture si un rejet généralisé se produisait sur les marchés importants.

La pollinisation croisée de cultures conventionnelles avec des variétés génétiquement modifiées est une autre voie de contamination et de perte de marché. Bien que les orientations de l’ACIA incluent la prise en compte du flux génétique comme facteur permettant de déterminer si une nouvelle plante doit être réglementée, l’histoire montre que l’ACIA ne prend pas en compte les impacts de ce risque sur les fermières dont les moyens de subsistance seraient affectés. La luzerne génétiquement modifiée a été approuvée alors que l’ACIA savait parfaitement que la luzerne est une culture à pollinisation par les insectes et que la luzerne sauvage poussant dans les fossés, les anciens champs de foin et sur d’autres terres non agricoles constituerait un vecteur de flux génétique incontrôlé. Étant donné que la luzerne génétiquement modifiée a été approuvée, une variété de luzerne génétiquement modifiée qui ne contient pas d’ADN étranger ou dont les caractéristiques sont jugées substantiellement équivalentes à celles de la luzerne résistante au glyphosate et/ou à faible teneur en lignine qui a été approuvée serait exemptée de l’application de la partie V en vertu des orientations proposées.

Les brevets intensifient le contrôle des entreprises
Les plantes génétiquement modifiées seront couvertes par des brevets. Les semences des variétés de plantes génétiquement modifiées seront protégées par un brevet, comme le sont aujourd’hui les autres plantes génétiquement modifiées. L’édition de gènes sera probablement utilisée pour introduire de nouvelles caractéristiques dans une plus grande variété de cultures, notamment les céréales telles que le blé, l’orge et le seigle, ainsi que le lin, la caméline, les pommes de terre, les cultures horticoles et les légumineuses telles que les pois, les haricots et les lentilles. Les variétés génétiquement modifiées de ces cultures seraient brevetées, ce qui obligerait les fermières qui les cultivent à acheter des semences chaque année et à payer des redevances au détenteur du brevet. L’utilisation de semences de variétés génétiquement modifiées conservées à la ferme serait interdite.

La propriété des brevets liés à l’édition de gènes est très concentrée. Corteva, l’entreprise composée des anciennes divisions agricoles de Dow et DuPont, a été la première entreprise à obtenir une licence pour utiliser CRISPR/Cas9 pour les cultures et elle détient des droits de propriété intellectuelle exclusifs pour les applications de la technologie CRISPR/Cas dans les principales cultures ainsi que des droits non exclusifs pour d’autres applications agricoles. Corteva a créé une « communauté de brevets » pour contrôler l’accès et l’utilisation des technologies CRISPR/Cas par le biais d’accords de licence confidentiels avec d’autres entreprises. Syngenta, qui appartient à ChemChina, possède également de nombreux brevets sur les plantes génétiquement modifiées. Les détenteurs des brevets fondateurs accordent des licences gratuites aux chercheurs, mais toute application commerciale de la technologie, telle que la vente de semences, est soumise à des conditions et à des redevances.

Certaines demandes de brevet pour des produits génétiquement modifiés sont formulées de manière si large qu’elles brouillent la distinction entre l’édition de gènes et la sélection conventionnelle. On craint que ces brevets n’englobent des variétés sélectionnées de manière conventionnelle présentant des caractéristiques identiques ou similaires à celles développées grâce à l’édition de gènes. Cette ambiguïté peut être conçue pour permettre aux détenteurs de brevets sur l’édition de gènes de revendiquer des droits de brevet sur les variétés traditionnelles également (7). La portée trop large de certains brevets liés à l’édition de gènes, combinée au manque de transparence quant à savoir si une variété est éditée génétiquement, signifie que les fermières risquent davantage d’être poursuivies pour violation de brevet si elles utilisent, sans le savoir, des semences couvertes par un brevet.

Conclusion

Les orientations réglementaires proposées par l’ACIA permettraient à de nombreuses plantes produites par édition génétique d’être testées sur le terrain et disséminées dans l’environnement sans aucune surveillance réglementaire. Elle supprimerait l’accès à la documentation publique nécessaire aux chercheurs indépendants pour étudier l’impact de ces plantes sur l’environnement ou l’approvisionnement alimentaire.

Le cadre réglementaire adopté pour la réglementation des produits génétiquement modifiés ouvrira également la voie à la réglementation des microbes et des animaux génétiquement modifiés (par le biais de la loi canadienne sur la protection de l’environnement) pour un éventail plus large d’utilisations comme les aliments, les bioréacteurs, les usines biochimiques, les additifs pour les sols, etc. Bien que nous n’en ayons pas parlé dans ce document, les orientations proposées couvrent également les arbres génétiquement modifiés, ce qui est clairement en dehors de l’expertise de l’ACIA et de l’intention du règlement sur les semences. Ainsi, les implications de la voie de déréglementation proposée par l’ACIA vont au-delà de l’agriculture et de l’alimentation.

L’absence de réglementation publique par le biais de l’exemption de la partie V a pour effet de privatiser la réglementation des semences génétiquement modifiées : les entreprises utiliseront des brevets et des licences pour contrôler l’accès à la technologie et l’utilisation de ces semences. À moins d’une réglementation stricte, les entreprises poursuivront leurs propres intérêts commerciaux sans se soucier des conséquences sociétales plus larges.

En tant que régulateur public, habilité par des lois et des règlements adoptés par des membres du Parlement démocratiquement élus, l’ACIA est responsable devant le public, et non devant les entreprises qu’elle réglemente. Elle a le devoir de protéger l’intérêt public. Les orientations réglementaires proposées visent à décharger l’ACIA de ses responsabilités en créant un mécanisme permettant de réduire et de minimiser progressivement sa surveillance des semences génétiquement modifiées. Cela est contraire à l’intention du règlement lui-même et doit donc être rejeté. Toutes les plantes génétiquement modifiées, y compris celles développées à l’aide de la technologie d’édition de gènes, doivent être soumises à la réglementation de la partie V du règlement sur les semences.

Consultation publique – comment participer

La consultation publique sur les orientations réglementaires proposées par l’ACIA est ouverte jusqu’au 16 septembre 2021. Il se présente sous la forme d’un questionnaire en ligne. Le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB) a produit un guide utile pour le questionnaire afin d’aider les membres du public à apporter une contribution significative. Cliquez ici pour télécharger le guide du RCAB, puis cliquez ici pour remplir le questionnaire de l’ACIA ou envoyez un courriel au Bureau de la biosécurité végétale à l’adresse PBO@inspection.gc.ca.

Références :

(1) Règlement de la loi sur les semences, partie V https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/regulations/c.r.c.,_c._1400/page-20.html#docCont

Faites-nous part de vos réflexions : Guide pour déterminer si une plante est assujettie à la partie V du Règlement sur les semences, ACIA
https://inspection.canada.ca/about-cfia/transparency/consultations-and-engagement/share-your-thoughts/eng/1619740964754/1619741042405

(2) Les autres technologies d’édition de gènes comprennent la mutagenèse dirigée par oligonucléotide (ODM), la technologie des nucléases à doigt de zinc, les méganucléases, la cisgénèse, la greffe sur un porte-greffe transgénique, l’agro-infiltration, l’élevage inversé et la génomique synthétique.

(3) Directive 94-08 (Dir 94-08) Critères d’évaluation pour la détermination de la sécurité environnementale des plantes à caractères nouveaux, https://inspection.canada.ca/plant-varieties/plants-with-novel-traits/applicants/directive-94-08/eng/1512588596097/1512588596818#a1

(4) Enquête sur les OGM, Rapport 2 : Les cultures génétiquement modifiées sont-elles meilleures pour l’environnement ? Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, mai 2015. http://gmoinquiry.ca/wp-content/uploads/2015/05/Are-GM-crops-better-for-the-environment_-E-web.pdf

(5) Réunions et correspondance sur l’élaboration de nouvelles orientations réglementaires pour les nouveaux aliments
https://www.canada.ca/en/health-canada/services/food-nutrition/genetically-modified-foods-other-novel-foods/transparency-privacy-regulatory-guidance-novel-foods/meetings-correspondence.html

(6) Prise de position : Génie génétique et organismes génétiquement modifiés, adoptée par l’IFOAM – Organics International World Board au nom du mouvement biologique mondial, novembre 2016. https://www.ifoam.bio/sites/default/files/2020-03/position_genetic_engineering_and_gmos.pdf

(7) Nouvelles plantes génétiquement modifiées et alimentaires : L’impact perturbateur des brevets sur les sélectionneurs, la production alimentaire et la société
Christoph Then, Andreas Bauer-Panskus et Ruth Tippe. Testbiotech e. V., Institut pour une évaluation indépendante de l’impact de la biotechnologie. https://www.testbiotech.org/sites/default/files/Patents_on%20new%20GE.pdf