Comme si les concessions sur les produits laitiers de l’ACEUM n’étaient pas assez mauvaises….
Les Canadiens s’inquiètent à juste titre des concessions faites par le nouvel accord commercial nord-américain en matière de gestion de l’offre. Les fermières sont également très préoccupées par l’atteinte portée à l’intégrité du système canadien de contrôle de la qualité des céréales. La capitulation de notre gouvernement sur ces questions a sans doute été encouragée par les lobbyistes des entreprises qui avaient facilement accès à nos négociateurs. Il est profondément inquiétant, bien que non surprenant, que le projet d’accord États-Unis-Mexique-Canada (ACEUM) comporte au moins trois chapitres qui consacrent formellement l’influence des entreprises sur la prise de décision gouvernementale. Si l’USCMA entre en vigueur, il sera encore plus difficile pour les gouvernements élus des trois pays d’agir de manière responsable dans l’intérêt public.
Le CHAPITRE 26, COMPÉTITIVITÉ, établit un comité de la compétitivité composé de représentants des gouvernements du Canada, des États-Unis et du Mexique (les parties) afin de promouvoir une intégration économique plus poussée entre les parties et de renforcer la compétitivité des exportations nord-américaines. Ce chapitre présente une série d’objectifs, d’engagements et de tâches visant à faire de l’Amérique du Nord une zone de libre-échange et un bloc commercial tournés vers l’extérieur, et à permettre aux trois pays de lutter contre les « pratiques de distorsion du marché de la part des non-Parties » qui affectent la région. Le comité identifiera les projets et les politiques prioritaires pour développer une infrastructure physique et numérique moderne liée au commerce et à l’investissement, et pour améliorer la circulation des marchandises et la fourniture de services au sein de la zone de libre-échange.
Au chapitre 26, le Canada a convenu que le Comité de la compétitivité doit donner aux « personnes intéressées » des occasions régulières et opportunes de fournir des informations sur les moyens d’améliorer la compétitivité. L’USCMA définit le terme « personne » comme une personne physique ou une entreprise. Ainsi, l’ACEUM donne aux entreprises un siège permanent à la table des négociations, comme si leurs intérêts étaient équivalents aux intérêts nationaux. Chaque année, ce comité doit rendre compte de ses travaux à la Commission du libre-échange et formuler des conseils et des recommandations en vue d’améliorer la compétitivité de l’économie nord-américaine. La Commission supervise l’USCMA et est habilitée à envisager des modifications de l’accord.
Le chapitre 26 entrave la souveraineté économique du Canada, le rendant extrêmement vulnérable à tout droit de douane punitif qui pourrait être utilisé pour « rendre à l’Amérique sa grandeur » et qui pourrait être imposé en raison des exemptions de sécurité nationale des États-Unis dans le cadre de l’accord. Elle ancre fermement les intérêts économiques du Canada, mais aussi son infrastructure même, dans les États-Unis, empêchant toute solution de rechange telle que la diversification de nos marchés d’exportation ou le développement indépendant de notre propre économie nationale.
Le chapitre 28, intitulé « BONNES PRATIQUES RÉGLEMENTAIRES », encourage l’harmonisation réglementaire dans le but d’accroître les échanges commerciaux. Elle exige des parties qu’elles publient un rapport annuel sur leurs modifications réglementaires et sur les coûts et avantages annuels estimés des réglementations économiquement significatives adoptées au cours de l’année écoulée, ainsi qu’un avis sur les modifications réglementaires proposées pour l’année à venir.
Les pays doivent informer les « personnes » des deux autres pays et leur permettre d’accéder à leurs processus de consultation réglementaire nationaux et aux données qui les étayent. Il crée également un mécanisme permettant aux « personnes » des autres pays de l’USCMA de formuler des suggestions de modification ou d’abrogation des réglementations existantes. Ces exigences en matière de rapports ne sont pas seulement onéreuses, mais semblent conçues pour garantir que les lobbyistes des entreprises soient informés à l’avance et disposent d’informations qui leur permettraient d’influencer les nouvelles réglementations.
Le chapitre 28 établit également un comité des bonnes pratiques réglementaires composé de représentants du gouvernement de chaque pays, y compris des hauts responsables d’organismes de réglementation et d’agences de réglementation clés, telles que l’Agence canadienne d’inspection des aliments et l’Agence de réglementation de la gestion des pesticides. Ce comité encouragera la compatibilité et la coopération réglementaires, en vue de faciliter les échanges entre les parties. L’ACEUM définit la coopération réglementaire comme « un effort entre les parties pour prévenir, réduire ou éliminer les différences réglementaires inutiles entre les juridictions afin de faciliter le commerce et de promouvoir la croissance économique, tout en maintenant ou en améliorant les normes de santé et de sécurité publiques et de protection de l’environnement. »
La réglementation est une fonction essentielle du gouvernement. Le pouvoir de réglementer découle de la législation adoptée par nos représentants élus. La réglementation crée le cadre dans lequel l’action est autorisée. Ces limites sont une question d’intérêt public et devraient être fixées par des processus démocratiques légitimes dans le but de protéger et d’améliorer l’intérêt public en fonction des priorités de la population. Le chapitre 28 vise à harmoniser la réglementation entre les trois pays de l’USCMA, même si les citoyens qui élisent ces gouvernements ont des histoires, des cultures, des valeurs et des circonstances très différentes. L’harmonisation de la réglementation sur la base de l’avis de « personnes » intéressées dans l’intérêt du commerce porte fondamentalement atteinte à la démocratie en remplaçant l’ensemble des considérations par les intérêts financiers étroits des entreprises.
Au chapitre 34, DISPOSITIONS FINALES, nous trouvons une clause de caducité de facto. Au cours du processus de renégociation de l’ALENA, nous avons entendu dire que la clause d’extinction de 5 ans proposée par le président Trump avait été rejetée par le Mexique et le Canada, qui considéraient qu’il s’agissait d’une rupture d’accord. Mais ce qui a abouti à l’USCMA semble être une clause d’extinction alambiquée d’une durée de six ans. Le chapitre sur les dispositions finales stipule que l’accord négocié par l’USCMA durera six ans en l’état, avant d’être réévalué. Si les trois pays sont d’accord, il restera intact pendant les 16 années suivantes. Dans le cas contraire, la Commission du libre-échange procédera à des examens conjoints annuels jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit conclu et que toutes les parties soient prêtes à l’accepter pour une nouvelle période de 16 ans. Toute partie peut quitter l’ACEUM moyennant un préavis écrit de six mois, laissant les deux autres parties dans un accord bilatéral.
Les examens conjoints effectués après la sixième année semblent mettre en place un processus de renégociation continue et fragmentaire. Il s’agit d’une recette pour une pression constante de la part des lobbyistes des entreprises – et de l’ambition américaine – pour éroder la souveraineté économique et politique des trois pays sans attirer l’attention de l’opinion publique. Après avoir lié le Canada et le Mexique à l’économie américaine dans le cadre des mesures de compétitivité du chapitre 26 et de l’harmonisation réglementaire du chapitre 28, les deux pays sont vulnérables à l’intimidation si les États-Unis décident de brandir la menace d’un retrait avec un préavis de six mois.
Si le Canada ratifie l’ACEUM, il portera non seulement un coup sévère à nos secteurs laitier et céréalier, mais sacrifiera également de larges aspects de la souveraineté démocratique du Canada.
Pour lire les chapitres complets, voir :