Proposition du budget 2025 visant à supprimer les réévaluations cycliques des pesticides
Le 12 novembre 2025, cette lettre a été envoyée à l’Honorable Marjorie Michel, Ministre de la Santé hcminister.ministresc@canada.ca
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Monsieur le Ministre Michel :
Objet : Proposition du budget 2025 visant à supprimer les réévaluations cycliques des pesticides
Nous sommes des organisations de santé et d’environnement ayant un historique d’engagement et d’expertise sur la réglementation des pesticides au Canada en vertu de la Loi sur les produits antiparasitaires et de son règlement d’application. Nous sommes alarmés par la proposition du gouvernement de modifier la Loi sur les produits antiparasitaires afin d’éliminer les réévaluations cycliques, comme annoncé dans le budget 2025 (Annexe 5 : Mesures législatives, Gestion durable des pesticides).
On ne saurait trop insister sur l’importance d’un processus solide de réévaluation après la mise sur le marché, afin de s’assurer que les risques pour la santé et l’environnement des pesticides homologués restent « acceptables ». Lorsque les réévaluations ont été introduites dans la Loi sur les produits antiparasitaires modifiée en 2002, c’est parce que le ministre de la Santé a reconnu que « le renforcement de la capacité à mener des réévaluations se traduirait par une meilleure protection de la santé et de l’environnement « 1 La Cour d’appel fédérale a reconnu le processus de réévaluation comme l’un des trois piliers soutenant l’objectif principal de la Loi sur les produits antiparasitaires, à savoir la protection de la santé publique et de l’environnement.2 Les réévaluations cycliques prévues à l’article 16, paragraphe 2, de la loi impliquent une réévaluation obligatoire des risques sanitaires et environnementaux d’un pesticide tous les 15 ans afin de s’assurer que les risques restent acceptables. Il s’agit d’un point de contrôle obligatoire important qui complète et soutient le pouvoir discrétionnaire du ministre d’entreprendre une réévaluation en vertu de l’article 16, paragraphe 2, de la loi. 16(1). Les réévaluations permettent une large consultation et un examen plus complet des risques sanitaires et environnementaux d’un produit que les examens spéciaux prévus à l’article 17 de la loi, dont le champ d’application est limité.
Les réévaluations offrent également une occasion importante de participation du public, répondant ainsi à l’objectif auxiliaire de la loi d’encourager la sensibilisation du public aux produits antiparasitaires en informant le public, en facilitant l’accès du public aux informations pertinentes et la participation du public au processus décisionnel.3 La participation du public est un autre pilier mis en avant par la Cour d’appel fédérale pour améliorer le processus décisionnel et accroître la confiance du public.
La proposition d’éliminer les réévaluations cycliques est encore plus préoccupante à la lumière d’une proposition distincte, annoncée dans le rapport de Santé Canada sur la réduction des formalités administratives, visant à modifier le Règlement sur les produits antiparasitaires afin d’éliminer la période de validité de 5 ans pour la plupart des pesticides.4 La suppression de la période de validité de 5 ans en faveur d’une homologation indéfinie éliminera les décisions de renouvellement des pesticides, qui constituent un point de contrôle substantiel « rationalisé » pour l’évaluation des risques entre les décisions majeures (telles que les réévaluations).5 Si le gouvernement élimine les décisions de renouvellement et les décisions obligatoires de réévaluation cyclique, l’évaluation des risques post-commercialisation des pesticides sera considérablement affaiblie et pourrait être entièrement discrétionnaire.
Nous sommes également préoccupés par le manque de transparence de cette proposition. Plusieurs de nos organisations ont participé, en tant que parties prenantes, au processus de consultation de plusieurs années sur le « programme de transformation » de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) et ont pris part à de nombreuses consultations concernant des matières actives spécifiques. Tout au long de ce processus, l’ARLA a consulté et élaboré des politiques visant à améliorer ses processus afin de favoriser la mise en œuvre des obligations statutaires et réglementaires de l’ARLA en vertu de la loi et des règlements, y compris les politiques sur la surveillance continue et l’effort proportionnel. À aucun moment au cours de ces années de consultation, il n’a été question d’éliminer les réévaluations cycliques.
En effet, l’élimination des réévaluations cycliques n’est pas cohérente avec ces politiques récemment finalisées (ou presque), ce qui suggère qu’il s’agit d’un amendement législatif proposé à la hâte, dont les ramifications n’ont pas été suffisamment prises en compte. La politique de surveillance continue stipule que la surveillance continue « est un processus complémentaire qui soutient mais ne remplace pas les exigences énoncées dans la Loi sur les produits antiparasitaires, y compris les demandes d’homologation, de modification, de réévaluation et d’examen spécial ».6 Les résultats du triage énoncés dans la politique de surveillance continue prévoient que, lorsque les informations sur un sujet particulier n’atteignent pas le seuil de déclenchement d’un examen spécial, elles seront conservées pour être examinées lors de la prochaine réévaluation cyclique complète – un résultat qui n’a pas de sens en l’absence de réévaluations cycliques.
De même, le projet de politique d’effort proportionnel indique que la politique d’effort proportionnel « complète, mais ne remplace pas, les exigences énoncées dans la LPA, y compris les réévaluations, les examens spéciaux et les demandes d’homologation ». En outre, la catégorisation d’un pesticide dans le cadre de la politique d’effort proportionnel dépend largement du résultat des décisions de réévaluation.
L’élimination des réévaluations cycliques affaiblirait considérablement la surveillance exercée par Santé Canada sur les risques des pesticides pour la santé et l’environnement. Nous vous demandons de nous rencontrer d’urgence pour discuter de cette proposition. En outre, nous demandons instamment au gouvernement de retirer immédiatement cette proposition ; en l’absence d’un tel retrait, nous demandons à participer à la consultation publique sur cette proposition législative.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués,
Société Ecojustice Canada
Bronwyn Roe, juriste salariée
Défense de l’environnement
Tim Gray, directeur exécutif
Les Amis de la Terre Canada
Beatrice Olivastri, PDG
La sécurité alimentaire, c’est important
Mary Lou McDonald, Présidente
Fondation David Suzuki
Pierre Iachetti, directeur exécutif
Fédération canadienne de la faune
Sean Southey, Directeur général
Association canadienne du droit de l’environnement
Theresa McClenaghan, directrice exécutive et conseillère juridique
Prévenir le cancer maintenant
Meg Sears, présidente
Association canadienne des médecins pour l’environnement (CAPE)
Sabrina Bowman, directrice exécutive
Nature Canada
Ted Cheskey, directeur naturaliste
Réseau canadien d’action sur les biotechnologies
Lucy Sharratt, Coordinatrice
Vigilance OGM
Thibault Rehn, Coordinateur
Union Nationale des Fermiers
David Thompson, directeur exécutif
cc : Frédéric Bissonnette, directeur général de l’ARLA(frederic.bissonnette.@hc-sc.gc.ca)
1 House of Commons Debates, 37th Parl, 1st Sess, Vol 137, No 163 (April 8, 2002) at 1625 (Hon. Anne McLellan).
2 Loi sur les produits antiparasitaires, SC 2002, c 28, s. 4(1) ; Safe Food Matters Inc. c. Canada (Attorney General), 2022 FCA 19 au para 1 : « Ce qui ressort du système législatif et réglementaire, ce sont trois piliers qui soutiennent l’objectif de protection de la santé publique et de l’environnement : i) une approche rigoureuse, basée sur la science ; ii) un processus de réévaluation solide lorsque l’on en sait plus sur le produit ; et iii) la possibilité pour le public de participer afin d’améliorer la prise de décision et d’accroître la confiance du public dans ce processus ».
3 LCP, art. 4(2)(c).
4 Rapport de Santé Canada et de l’Agence de santé publique du Canada sur la réduction des formalités administratives (8 septembre 2025), Thème 4 : Rationalisation de la réglementation, simplification des règles et amélioration de la flexibilité : Limiter le renouvellement des produits antiparasitaires.
5 Amis de la Terre Canada c. Canada (Procureur général), 2025 FC 300 , paragraphes 34-37, 44.
6 Politique de l’ARLA en matière de surveillance continue des pesticides (14 octobre 2025).